Le long chemin de l’expérimentation de la vidéoprotection intelligente
Un webinaire organisé le 18 octobre 2023 par l'Association nationale de la vidéoprotection (AN2V) a fait le point sur l’application du volet vidéoprotection de la loi sur les JO. En résumé, le démarrage effectif des expérimentations est lié à la sortie "imminente" de tous les textes réglementaires et à la sélection des industriels.
La loi 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux Jeux olympiques et paralympiques a prévu la possibilité d'expérimenter la vidéoprotection algorithmique lors d'événements sportifs ou culturels. Cinq mois après, et alors que la Coupe du monde de rugby se termine, les expérimentations sont cependant toujours au point mort. En cause, l'imbrication des textes règlementaires nécessaires à leur mise en œuvre, a expliqué Elisabeth Sellos-Cartel de la direction du ministère de l'Intérieur en charge du dossier, la DEPSA, lors d’un webinaire organisé le 18 octobre par l'Association nationale de la vidéoprotection (AN2V).
Décret RGPD en instance de publication
Deux articles de la loi concernent la vidéoprotection dans la loi JO, l'article 9, qui place la vidéoprotection dans le champ du RGPD et l'article 10, qui fixe le cadre des expérimentations. L'article 9 doit cependant être précisé par un décret pris après un avis de la Cnil. Ce texte, dont la publication est "imminente", sera assorti d'une circulaire aux préfets, également en cours de finalisation. Les délais s'expliquent notamment par la nécessité de mettre à jour les formulaires Cerfa de demande d'autorisation de systèmes de vidéoprotection. Au passage, la haut-fonctionnaire signale que les autorisations en cours devront être mises à jour : les titulaires devront se mettre en conformité avec le RGPD, qui impose dans certains cas de fournir une étude d’impact et, a minima, de mettre à jour les notices d’information du public selon les nouvelles prescriptions de la Cnil. Des consignes devraient cependant être données aux préfets pour une mise en œuvre "progressive".
Sélection en cours des solutions
L'article 10 prévoit pour sa part des expérimentations limitées dans le temps – elles s'arrêteront le 31 mars 2025 - et dans l'espace, assises sur des technologies maitrisées. Le décret du 30 août (voir notre notre article) a défini les catégories de lieux et d'évènements susceptibles d'être scrutés par des caméras dopées à l’intelligence artificielle. Il liste aussi précisément les usages de l'IA. En substance, il s'agit de repérer des objets ou comportements suspects lors d’événements culturels et sportifs majeurs ou dans des lieux ayant un fort enjeu de sécurité comme les transports. Il détaille aussi les garde-fous mis en œuvre, au premier rang desquels une prise de décision qui ne peut être qu'humaine.
Mais la loi impose aussi le recours à des technologies souveraines : en d'autres termes, il est hors de question de déployer tel quel une IA achetée sur étagère. Le ministère de l'Intérieur avait deux options :
- développer le système
- ou acheter des solutions dûment auditées sur des critères tels que les biais algorithmiques, les bases d’apprentissage ou la conformité RGPD.
Pour des raisons évidentes de délais, c'est cette seconde option qui a été retenue avec un appel d'offres lancé en août et clos le 11 septembre. Il comprend quatre lots – Ile-de-France, Paca, reste de la France et transports – et la liste des entreprises sélectionnées devrait être connue fin octobre. Les expérimentateurs devront impérativement recourir à ces solutions.
Evaluation indépendante des expérimentations
La loi impose enfin un contrôle des expérimentations, objet d’un décret publié le 11 octobre. Celui-ci a mis en place un comité de pilotage composé d’un collège de personnalités indépendantes, dont certaines désignées par la Cnil, et d’un collège utilisateurs. Ce comité assurera le suivi des expérimentations et devra remettre un rapport d'évaluation au Parlement au plus tard le 31 décembre 2024. Il devra évaluer les performances techniques, les effets opérationnels, l'impact des traitements algorithmiques et formuler des recommandations.
Une fois tous les textes réglementaires parus, les expérimentations vont pouvoir commencer. Il faudra dès lors une autorisation du préfet, commander l'une des solutions retenues par le ministère et assurer un suivi de l'expérimentation en transmettant au comité de suivi un rapport intermédiaire tous les trois mois. Que se passera-t-il au 31 mars 2025 ? La responsable du ministère de l'Intérieur a reconnu que les acteurs "avaient besoin de se projeter dans le long terme" tout en rappelant que le principe des expérimentations était… d'expérimenter, à savoir d'évaluer précisément les bénéfices des technologies au regard des atteintes aux droits des personnes.