Commande publique - Le dilemme de la maintenance dans les bâtiments publics : faire ou faire faire ?
La 157e session d'études de l'Association pour l'achat dans les services publics (Apasp) a abordé le thème, peu souvent étudié, de la maintenance dans les bâtiments publics. Cette thématique est pourtant d'actualité à l'heure où les collectivités territoriales et leurs établissements publics "redécouvrent" leur patrimoine public dans le sens d'une meilleure valorisation. Les nouveaux contrats complexes que sont les partenariats public-privé (PPP), les marchés de réalisation et d'exploitation ou de maintenance (REM) et les marchés de conception, de réalisation et d'exploitation ou de maintenance (CREM) participent à cette récente prise de conscience puisqu'ils inscrivent la maintenance sur le long terme. Comme l'a rappelé le président de l'association, Jean-Marc Peyrical, la protection du patrimoine public a une valeur constitutionnelle. La maintenance des bâtiments mérite donc une attention toute particulière.
Faire ou faire faire ?
La personne publique doit-elle se charger directement de la maintenance de ses bâtiments ou est-il préférable de faire appel à des prestataires extérieurs ? Telle a été la question centrale du colloque de l'Apasp. Pour Philippe Ricci, le directeur gestion du patrimoine immobilier de Socotec, il s'agit d'orienter son choix entre un manager d'équipes et un manager de projets, c'est-à-dire le "chef d'orchestre" des différents intervenants.
La multiplicité des intervenants pour gérer et entretenir le patrimoine public (le propriétaire, le gestionnaire, l'utilisateur et le mainteneur) conduit à s'interroger sur les prestations à faire soi-même ou au contraire à faire réaliser par des prestataires extérieurs. Philippe Ricci préconise un audit d'entretien général sur l'immobilier, les équipements et la maintenance afin de déterminer les ressources disponibles pour chaque action et de mesurer les risques. L'enjeu est d'arriver à maîtriser son organisation tout en pensant la maintenance de manière globale et sur le long terme.
L'"externalisation" permet de se concentrer sur son cœur de métier. Pour la maintenance-exploitation, "le cœur de métier est de garantir un service, une continuité de services, améliorer une valeur d'usage, améliorer une valeur de cession possible". Elle entraîne le "transfert d'une partie de la production de l'intérieur vers l'extérieur" de la structure. De plus, "c'est un levier pour décider" car la réalisation externe peut s'inscrire en tout ou partie dans la section investissement du budget alors que la réalisation interne se retrouve en section de fonctionnement.
Ainsi, il n'y a pas une solution unique à la question du faire ou du faire faire. La personne publique se doit avant tout de répondre aux bonnes questions : qu'est-ce qu'elle fait ou fait faire ? Vers quel type de prestataire se tourner ? Quelles sont ses ressources ?
Plusieurs exemples ont été développés par Philippe Ricci pour illustrer les domaines dans lesquels une externalisation était envisageable : la rénovation énergétique, la sécurité incendie, le bilan émission gaz à effet de serre ou encore la question de l'accessibilité.
L'acheteur public doit faire sa propre matrice afin de savoir s'il est pertinent ou non d'externaliser. Cela permet de mieux décrire une prestation, de rédiger les contrats et de définir les règles du jeu des consultations. Aucun CCAG ne traite spécifiquement des opérations de maintenance et d'exploitation. Les prestations de maintenance étant considérées comme des marchés publics de service, le pouvoir adjudicateur pourra se référer au CCAG Fournitures courantes et services et au CCAG Techniques de l'Information et de la Communication. Pour l'avocat Charles Pareydt, il est important d'adapter les clauses du CCAG afin de prendre en compte les spécificités du marché.
Quels sont les enjeux de la maintenance ?
Les personnes publiques doivent veiller au respect de la règlementation en matière de bâtiments publics. La maintenance permet de mettre un ouvrage public en conformité avec les normes établies en matière de travaux publics, notamment celles permettant l'accessibilité aux personnes en situation de handicap.
La maintenance est un enjeu de taille car elle nécessite des moyens financiers importants. La difficulté est de déterminer combien cela va coûter tout en sachant que le service public est gratuit.
Seules les missions qui ne relèvent pas du service public pourraient être externalisées. En ayant recours à un prestataire extérieur, les frais de pilotage entraînent un surcoût de 15% à 20% de la prestation. Le gérant du cabinet Assistance à projets, patrimoine et partenariats (A3P), Hervé Philippe, a cité le cas de l'Insep qui a tout externalisé en contrepartie d'une forte réduction de ses effectifs. Cette évolution a nécessité une restructuration et une nouvelle organisation de l'administration.
Le coût de la maintenance dépend de plusieurs paramètres. En premier lieu, il faut tenir compte du niveau de maintenance (cinq niveaux définis par l'Afnor), mais également du type de maintenance. Ainsi, le coût de la maintenance préventive et de la maintenance corrective ne s'apprécie pas de la même façon. La maintenance préventive consiste à intervenir sur un équipement avant que celui-ci ne soit défaillant, afin de tenter de prévenir la panne. La maintenance corrective permet l'intervention sur un équipement une fois que celui-ci est défaillant. D'après Antoine Laine, expert immobilier de la société A3P, la maintenance corrective est de plus en plus privilégiée par rapport à la maintenance préventive, car les bâtiments ont aujourd'hui une durée de vie plus courte qu'auparavant.
L'organisation du maître d'ouvrage est également une notion qui entre dans le coût de la maintenance. En effet, ce maître d'ouvrage peut avoir recours à des compétences internes, faire intervenir des sous-traitants spécialisés ou encore en déléguer la gestion. L'avocat Jean-Pierre Gohon souligne que le choix du recours à des compétences internes pour effectuer la maintenance peut s'avérer coûteux puisqu'il faut gérer la formation du personnel, les questions de délocalisation et d'équipements.
Du type de contrat et de l'obligation de moyens ou de résultat mis en œuvre dépend aussi le coût de la maintenance. Enfin, le coût global doit également être pris en compte.
Selon l'avocat, il est préférable de "se tourner vers une gestion planifiée, organisée, qui ne peut pas être celle d'une réactivité au quotidien et au coup par coup". "Il faut réfléchir à une organisation sur les conditions de la maintenance en fonction de budgets prédéterminés."
Il considère que pour un coût moindre, la maintenance sera moins efficace. Des choix importants et stratégiques s'avèrent donc indispensables.
Stratégie organisationnelle de la maintenance dans les bâtiments publics
L'avocat Jean-Pierre Gohon a proposé d'utiliser l'accord-cadre multi-attributaire pour les marchés d'entretien des bâtiments. Cet outil juridique présente l'avantage de référencer les entreprises potentielles en amont pour préciser les prestations dans des contrats subséquents postérieurs.
Pour globaliser ses prestations de maintenance, l'acheteur public peut également opter pour le partenariat public privé, sous réserve d'une définition rigoureuse des besoins.
Dans le cadre de la maintenance, un contrat de performance énergétique (CPE) peut également être mis en œuvre. Conclu entre un pouvoir adjudicateur et une société de services d'efficacité énergétique (SSEE), ce contrat peut permettre non seulement l'amélioration de la performance énergétique d'un bâtiment ou d'un parc de bâtiments mais aussi cibler la diminution des consommations d'énergie par rapport à une situation de référence contractualisée.
Références : Norme Afnor NF EN 13306:2001 ; Conseil d'Etat, 19 février 2007, N° 274758 ; Conseil d'Etat, 20 juin 2007, N° 256974.
Définition de la Norme AFNOR
La norme Afnor de 2001 définit la maintenance comme "l'ensemble de toutes les actions techniques, administratives et de management durant le cycle de vie d'un bien, destinées à le maintenir ou le rétablir dans un état dans lequel il peut accomplir la fonction requise".
Jurisprudence
Dans un arrêt du 19 février 2007, N° 274758, le Conseil d'Etat a considéré que la responsabilité de la région était engagée à l'égard d'un élève ayant subi un accident dans un lycée, alors même que le défaut d'entretien fautif semblait imputable à un agent de l'Etat. Les dommages découlant des travaux exécutés dans un lycée engagent la responsabilité de la région, gardienne de l'ouvrage. Dans un autre arrêt du 20 juin 2007, N° 256974, impliquant un usager ayant chuté en s'écartant du chemin habituel emprunté par les visiteurs, le Conseil d'Etat conclut à un partage de responsabilités entre la commune et l'usager qui a subi l'accident. Si "la partie de la citadelle dans laquelle s'est produit l'accident ne comportait aucune signalisation de dangers", l'usager avait lui-même commis une imprudence.
Les outils d'aide à la gestion du patrimoine immobilier
Il existe trois outils d'aide à la gestion du patrimoine immobilier. Le logiciel Système d'information du patrimoine (SIP), le logiciel Gestion de maintenance assistée par ordinateur (GMAO) - qui s'adresse au service de la maintenance et permet le suivi jusqu'à la panne - et, enfin, le logiciel Gestion technique centralisés (GTC). Certains logiciels SIP peuvent faire une partie de GMAO. Il est indispensable que le cahier des charges techniques internes soit très précis afin de guider les entreprises. Chaque phase de l'opération doit être validée avec le maître d'œuvre pour faire respecter le cahier des charges. Il faut une compétence prouvée et reconnue en GMAO et GTC.