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Territoires - Le développement rural, égaré aux confins de l'agriculture et de la décentralisation

A Bruxelles, la politique régionale ne jure que par les villes et la PAC reste la chasse gardée des agriculteurs. Les mentalités devront progresser pour favoriser l'essor d'une économie rurale plus équilibrée.

Pressées de pouvoir utiliser plus librement les fonds européens, les régions auront une marge de manœuvre très étroite sur le développement rural entre 2014 et 2020. Le détail des dotations du Feader en donne la mesure : la fourchette de ce que les régions pourront vraiment gérer oscille entre 15% et 30% de l'enveloppe régionale. Certes, la politique agricole commune (PAC) évolue : le soutien direct aux revenus des agriculteurs cède du terrain au profit d'autres mesures et la Commission tente de "banaliser" le Feader en rapprochant ses finalités des autres fonds européens.

Même histoire

Mais le paysage ne suffit pas à bouleverser la donne. Sur les 26 mesures européennes pour le développement rural, une seule sort vraiment du cadre agricole. Un recul par rapport à 2007-2013, où l'UE réservait tout un axe au développement rural non agricole (création d'entreprises, services de santé, tourisme…) et exigeait même des Etats qu'ils y consacrent 10% minimum de leur enveloppe de Feader. Sans surprise, la France s'est contentée de ce plancher, quand d'autres Etats, comme l'Allemagne ou la Pologne, ont au contraire choisi d'aller au-delà.
La même histoire semble donc se répéter. Les réformes de la politique de cohésion et de la PAC s'égrènent tous les sept ans, mais en France la ruralité reste dans un angle mort. Pourtant, sur le terrain, le diagnostic est bien établi : "Les agriculteurs n'ont pas intérêt à se retrouver dans un désert, sans vie rurale, sans commerces, sans écoles ni services de santé", dit souvent Jean-Paul Denanot, président du Limousin et désormais en lice pour les élections européennes.
A Bruxelles, les pistes de réponses données par le commissaire Dacian Ciolos sont à méditer. "Je ne souhaite pas entrer dans le débat sur ce que Bruxelles devrait faire ou non, mais je m'interroge sur les raisons qui conduisent le milieu rural à se sentir si faible", avait-il lancé fin 2013, à l'occasion d'un séminaire à Bruxelles.

Vœux contradictoires

Pendant que le lobby agricole pèse de tout son poids et que les villes s'affirment comme le lieu où tout se joue, la ruralité reste en retrait. Constatant que le Feader étant encore plus tourné vers les agriculteurs qu'avant, les réseaux ruraux se sont désintéressés de la PAC et des négociations dès 2011, confirme un fin connaisseur du dossier.
Parfois, des élus se manifestent, constate-t-on à Bruxelles, mais en ordre dispersé et avec des voeux contradictoires… Quand certains souhaitent que le développement rural soit rattaché à la politique de cohésion pour en devenir un volet à part entière, d'autres soutiennent le contraire, préférant garder le statu quo actuel. Même logique sur la répartition des fonds européens. Avant la réforme de la PAC, la Commission était sommée de ne pas trop intervenir, afin que les choix soient les plus ouverts possible pour les territoires ruraux.
Changement d'ambiance une fois la réforme négociée : "Maintenant, je reçois des lettres des communautés rurales se plaignant que la Commission ne soit pas suffisamment directive pour amener les Etats membres à consacrer une allocation minimale au développement rural", remarque Dacian Ciolos.
En dépit des tergiversations, le futur cadre offre toutefois des évolutions intéressantes pour la France. Budgétairement, le pays a tiré son épingle du jeu, puisque le Feader atteint 9,9 milliards d'euros sur sept ans (euros courants), soit une progression d'un milliard par rapport à la période précédente.
D'autres pays, à l'instar de l'Italie, de l'Autriche, de l'Espagne ou encore du Portugal, ont également bénéficié de rallonges.

Négocier avec la Commission

En France, les aides traditionnelles à l'installation, les primes à l'hectare et les indemnités aux agriculteurs prédominent, mais le programme Leader, axé sur le montage de projets par les collectivités, les associations ou le secteur privé, ne s'est pas fait phagocyter. Bien au contraire, son budget est en progression nette : en France, il passe de 316 à 500 millions d'euros. Le résultat du cadrage de la Commission européenne, qui tenait à ce que chaque Etat lui consacre au minimum 5% de son enveloppe Feader.
L'impact dans les régions se traduit immédiatement. Dans le Limousin, le budget de Leader est multiplié par 2,5, passant de 12 à 29 millions d'euros. Cette semaine, une rencontre était prévue entre le conseil régional et les responsables de la Commission européenne, pour discuter des actions à financer. Les exécutifs régionaux savent qu'ils vont devoir "négocier" pour réaliser certaines actions à l'aide du Feader. Dans le Limousin, plusieurs idées sont au programme : développement du tourisme à la ferme, maisons de santé, très haut débit, diversification des arboriculteurs, prise en charge de certains frais lors du stockage de foncier pour faciliter la reprise d'exploitations par de jeunes agriculteurs, etc.
D'ici le 31 mars, les régions doivent toutes finaliser leur programme de développement rural. Si elles doivent se fondre dans l'épure du cadre agricole national, la décentralisation leur offre tout de même la possibilité d'adapter leurs priorités : certaines pourront choisir de privilégier le développement de l'agroalimentaire, d'autres l'élevage ou les circuits courts, etc.
Les rôles respectifs de l'Etat et des régions dans la nouvelle PAC seront au cœur d'un grand raout en juin, provisoirement baptisé le "printemps des territoires".