Le coup de froid sur l'industrie se confirme
Depuis le mois d'avril, le nombre de fermetures d'usines est supérieur aux ouvertures, avec un solde net de dix fermetures, selon le dernier pointage du cabinet Trendeo qui relève également un coup de froid sur l'emploi. Mais pour le spécialiste Olivier Lluansi, ce retournement n'est pas une surprise.
Les mauvais signaux apparus il y a quelques mois sur l'industrie se confirment. Sur six mois, le solde entre créations et fermetures d'usines reste positif mais pour combien de temps ? Car le rythme de fermetures progresse plus vite que les ouvertures, même si ces dernières restent supérieures. De janvier à juin 2024, le cabinet Trendeo comptabilise ainsi 61 fermetures, soit une progression de 9% par rapport à la même période l'an dernier, selon son analyse semestrielle publiée lundi. Dans le même temps, 79 ouvertures ont eu lieu, soit un recul de 4% par rapport aux premiers mois de 2023. Certes le solde reste positif avec 18 ouvertures de plus, mais il régresse de 30% (le solde était de 26 ouvertures au premier semestre 2023). Surtout le mois d'avril semble marquer un tournant : le cabinet comptabilise 37 ouvertures pour 47 fermetures…
Cette situation se répercute sur l'emploi. 10.950 emplois industriel ont été créés au premier semestre 2024, mais ce chiffre représente une chute de 44 % par rapport au premier semestre 2023 (à titre de comparaison, pour le spécialiste de l'industrie Olivier Lluansi, réussir la réindustrialisation impliquerait de créer 60.000 emplois par an). Plusieurs facteurs expliquent ce ralentissement : certains secteurs avaient connu en 2023 des annonces d'investissements importantes qui ne se sont pas reproduites : c'est le cas de l'électroniques avec le projet Carbon ou de l'aéronautioque avec des annonces importantes d'Airbus, Dassault et Thalès, qui "n’ont pas trouvé d’équivalent début 2024". Par ailleurs, les nuages s'amoncellent sur l'automobile qui passe en négatif, "principalement en raison de décisions de Stellantis". Et aussi du passage au véhicule électrique qui s'avère plus compliqué que prévu.
Un retournement qui n'est pas une surprise
C'est un véritable retournement qui devrait alerter le nouveau ministre de l'Économie, Antoine Armand. "Je me battrai pour que nos politiques d'investissement d'avenir, de soutien aux usines qui se créent, soient poursuivies et amplifiées", a-t-il déclaré dans une interview au Journal du dimanche, le 22 septembre. Pour Olivier LLuansi, ce retournement n'est pas vraiment une surprise. Le regain observé en 2021 et 2022 ayant surtout été tiré par le plan de relance, via notamment le fonds d'accélération des investissements industriels (un solde de 120 usines avait été comptabilisé en 2021). Or celui-ci s'est arrêté, alors que les difficultés se sont multipliées pour l'industrie, en particulier avec l'envolée du coût de l'énergie. Chargé par l'ancien ministre délégué à l'industrie Roland Lescure, début 2024, d'une mission sur la réindustrialisation à l'horizon 2035 (voir notre article du 28 mars), son rapport n'a pas été rendu public. Sans doute parce qu'il contenait certains constats qui n'avaient pas l'heur de plaire au commanditaire. Dans un ouvrage qui vient de paraître ("Réindustrialiser : le défi d’une génération", Déviations), l'expert estime que la politique de réindustrialisation s'est trop focalisée sur les start-up et les innovations de rupture, à travers France 2030, et pas suffisamment sur les territoires qui recèlent un "potentiel caché".
Le "potentiel caché des territoires"
"Les projets des PMI et des ETI ancrés dans les territoires sont accompagnés à hauteur de 100 millions d'euros par an via Territoires d'industrie et sont rarement éligibles à 'France 2030' (moins de 10%). Pourtant le potentiel du tissu créatif installé dans nos territoires représente les deux tiers du gisement de projets nécessaires à notre réindustrialisation", insiste l'ancien délégué interministériel aux Territoires d'industrie pour qui le redressement industriel est une affaire de vingt ans (Localtis reviendra prochainement avec lui sur le sujet). Ce message va-t-il être entendu à Bercy ? "Ce ministère, cela ne peut être que celui des territoires, de toutes les communes de France métropolitaines et d'outre-mer, et l'élu d'Annecy que je suis en fera une priorité absolue", a assuré Antoine Armand, dimanche, lors de la passation de pouvoir à Bercy.
Pour David Cousquer, dirigeant de Trendeo, "trois moteurs sont possibles pour une reprise : une nouvelle baisse des taux d’intérêt, ou les effets de la baisse annoncée tout récemment ; un plan de relance et de rattrapage européen et des perspectives politiques plus stables".