Aménagement numérique - Le Conseil d'Etat retoque le décret "connaissance des réseaux"
"C'est symboliquement et pratiquement grave", alerte Patrick Vuitton, délégué général de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca). Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 10 novembre, donne partiellement raison à la Fédération française des télécommunications et des communications électroniques qui avait attaqué le décret "connaissance des réseaux". Dans le cadre de la loi de modernisation de l'économie (LME), ce texte obligeait les opérateurs de télécoms à communiquer l'emplacement de leurs infrastructures aux collectivités locales pour éviter le doublonnage des réseaux de fibre optique (lire ci-contre notre article du 20 janvier 2010). La partie du décret concernant le dispositif de remise des informations vient donc d'être annulée. Conséquence : "Les données communiquées seront désormais très difficiles à exploiter", regrette le délégué général.
Depuis 2007, les opérateurs se sont toujours battus pour éviter d'avoir à fournir des données vectorielles géolocalisées (utilisables directement dans un système d'information géographique). "Ils ont tout inventé, y compris des problèmes de sécurité", souligne Patrick Vuitton. Que ces informations ne soient pas à mettre entre toutes les mains, c'est un fait dont tous, collectivités comme Etat, peuvent convenir mais de là à fournir désormais des images numérisées de plan inexploitables dans un système d'information géographique (SIG)... "Et pourquoi pas des cartes papiers avec des calques ?", surenchérit Yves Rome, président de l'Avicca, dans un communiqué du 26 novembre. Au moment du vote de la LME, de nombreux amendements avaient déjà tenté, en vain, de limiter la portée des articles imposants la connaissance de la localisation des réseaux et de la disponibilité des services sur le territoire.
Du temps gagné par les opérateurs, perdu pour les territoires
La "guérilla judiciaire" des opérateurs permet une fois de plus de retarder l'aménagement numérique au détriment de l'intérêt général. "Nous n'allons pas en rester là. La décision du Conseil d'Etat indique que le décret a dépassé la loi : c'est une interprétation. S'il faut préciser la loi, alors il ne reste plus qu'à réécrire une proposition d'article puis à trouver un véhicule pour la proposer au vote des parlementaires. Le gouvernement maîtrise bien l'ordre du jour des assemblées. Car il n'y a pas que les collectivités locales qui sont lésées, l'Etat l'est également. L'annulation d'une partie de ce décret va poser des problèmes aux préfectures de région en charge de l'élaboration des schémas de cohérence régionale sur l'aménagement numérique [Scoran]", prévient Patrick Vuitton. "C'est comme si les opérateurs s'amusaient à dégrader les informations en leur possession avant de les transmettre. Dans les textes, l'obligation est bien de mettre à disposition les données sous la meilleure forme dont ils disposent et non sous la pire. Il n'est pas possible de gérer des réseaux ainsi au XXIe siècle", conclut Patrick Vuitton. C'est "un véritable pied-de-nez au programme France numérique 2012, qui avait mis l’adoption rapide du décret en position numéro deux [sur 154 mesures, ndlr]", souligne le président de l'Avicca. Et ce au moment où Eric Besson reprend la main sur le développement de l'économie numérique, dans un ministère de l'Industrie également en charge de l'énergie.
Référence : Conseil d'Etat, décision 327062 du 10 novembre 2010.