Le CNLE marque son opposition à la loi pour le plein emploi
Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté appelle à un moratoire sur le décret "sanction" attendu dans le cadre de l’application de la loi plein emploi, faute de garanties suffisantes sur le volet "accompagnement" des allocataires du RSA.

© CNLE et Adobe stock
L’inquiétude du monde associatif vis-à-vis de la loi pour le plein emploi ne faiblit pas. Après les mises en garde du collectif Alerte (lire nos articles du 18 novembre 2024 et du 25 avril 2024), c’est au tour du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté (CNLE) d’enfoncer une nouvelle fois le clou. Dans son avis diffusé ce mardi 18 mars, il livre son "analyse des risques d’exclusion sociale" induits par la réforme qu’il critiquait déjà dans un précédent avis (lire notre article du 22 avril 2024)
Le CNLE demande un moratoire sur le décret d’application de la loi portant sur la modification du régime des sanctions, qui est attendu en principe d’ici la fin du premier semestre et doit permettre d’appliquer la nouvelle sanction dite de "suspension-remobilisation" (lire notre article du 6 janvier). Et considère qu’un "équilibre des engagements de la collectivité d’une part, des personnes d’autre part doit être trouvé".
Outre qu’elle est susceptible de dégrader les conditions matérielles d’existence, cette nouvelle sanction pourrait "être à l’origine d’un accroissement du travail dissimulé" ou d’une hausse du non-recours. "La crainte de l’effet sanction peut conduire les allocataires à ne pas demander un droit auquel ils pourraient pourtant prétendre", affirme le CNLE. L’esprit de la mesure contredit la logique "non-punitive" des expérimentations menées en parallèle dans les "territoires zéro non-recours" (voir notre article sur ces expérimentations).
15 heures d’activité : des dérives toujours possibles
L’obligation d’effectuer 15 heures d’activité "exerce une pression démesurée pour les publics", estime le CNLE, malgré les dérogations annoncées et faute de précisions sur leurs conditions d’application. "Glissement vers du travail gratuit", "substitution à des emplois publics ou privés", "bénévolat imposé et non choisi", "chantiers d’insertion déguisés" : malgré les dénégations répétées des autorités et les exceptions prévues à cette norme, le Conseil met en garde contre ces potentielles dérives.
Dans un communiqué diffusé lundi 17 mars, le collectif Alerte, qui s’inquiète de voir "de plus en plus de personnes au RSA frapper à la porte de [ses] associations parce que guidées par la peur de perdre ce maigre revenu", annonce pour sa part son refus de participer à tout "mécanisme de contrôle des 15 heures d’activité" si celles-ci prenaient la forme du bénévolat.
Le risque d’un accompagnement déficient
L’opposition ferme du CNLE à la logique de sanction tient au manque "d’assurance de l’effectivité du volet accompagnement", également analysé dans l’avis. Le CNLE se montre en effet très sceptique quant à l’accompagnement "rénové" des bénéficiaires du RSA. Sa généralisation a été décidé sans évaluation pertinente des expérimentations dans les territoires pilotes, ni moyens budgétaires à la hauteur des besoins.
Si un bilan a bel et bien été établi (lire notre article du 19 décembre 2024), il a été conduit "sur la base du volontariat" et dans "des territoires au sein desquels les acteurs locaux avaient l’habitude de travailler ensemble". De quoi "supposer que les problèmes liés à la coordination territoriale resteront majoritaires lors du changement d’échelle", analyse l’instance.
Contrat d’engagement : un consentement "mi-libre/mi-éclairé"
Attachée à "proposer un parcours d’insertion adapté à chaque situation", le CNLE s’interroge sur les effets de la nouvelle procédure d’accompagnement dans son ensemble. La nouvelle procédure d’orientation gérée par France Travail (lire notre article) à la suite de l’inscription automatique (lire notre article), pourrait provoquer une "mauvaise appréhension" des situations, "une déshumanisation de l’accompagnement" et une "standardisation".
Le refus de signature du contrat d’engagement sous un mois exposant à des sanctions, le CNLE pointe le risque d’un consentement "mi-libre/mi-éclairé de l’allocataire" dans un tel délai et faute d’avoir pu "s’approprier les démarches et le contenu du contrat". Au final, "la définition d’une offre raisonnable d’emploi pourrait ne pas correspondre à sa situation et ses aspirations effectives, au même titre que la définition du nombre d’heures d’activité auquel il sera soumis".
"Les travaux du CNLE sur l’analyse de l’évolution de la pauvreté soulignent que la recherche du plein emploi ne suffit pas à éradiquer la pauvreté, du fait de l’existence d’emplois précaires sur le marché du travail", relève enfin l’organisme, appelant à examiner de plus près les "allers-retours entre emploi précaire et RSA" et à s’interroger sur "la définition à donner à un emploi décent, permettant de sortir durablement de l’assistance sans mettre sa santé en péril".