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Social - Le climat se dégrade dans les services sociaux des départements

Au début du mois de juin, les travailleurs sociaux du département de la Moselle lançaient un mouvement de grève largement suivi. L'objectif était alors d'attirer l'attention sur les difficultés rencontrées : demandes en hausse du fait de la dégradation de la situation économique, "exigences contradictoires" entre le volet social et le volet administratif du travail et "absence de véritable réponse, qui atteint chaque professionnel". L'Association nationale des assistants de travail social (Anas) avait alors apporté son soutien au mouvement. Dans son communiqué, l'association indiquait que "les professionnels de Moselle lancent aujourd'hui une alerte qui résonne dans tous les départements". Une assertion qui semble se confirmer aujourd'hui. Sans aller jusqu'au conflit ouvert, d'autres départements viennent de connaître ou connaissent actuellement des tensions dans leurs services sociaux. L'Anas cite notamment le cas des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, du Pas-de-Calais ou des Pyrénées-Atlantiques. Le spectre du conflit social du Puy-de-Dôme en 2006 - qui avait vu le département mettre à pied, pour une journée, 57 travailleurs sociaux et adresser un avertissement à huit autres (voir notre article ci-contre du 4 décembre 2006) - est ainsi de retour.
Le malaise qui tend à s'installer dans les services sociaux a plusieurs causes. La première tient à la multiplication des réformes. En seulement deux ans et demi, se sont ainsi succédé - pour ne citer que les principales d'entre elles - la création de la prestation de compensation du handicap (PCH) et des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), la réforme de la protection de l'enfance, la mise en place du RSA et la création de la mesure d'accompagnement social personnalisé pour les incapables majeurs (domaine dans lequel les départements n'intervenaient pas jusqu'à présent). S'y ajoute le désengagement de certains partenaires - à l'image de celui de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) - et les perspectives d'autres réformes, comme celles de l'adoption. Cette accumulation de mesures nouvelles crée une certaine saturation, y compris au sein de l'encadrement. Autre facteur de tension : l'accroissement de la demande sociale. Sur ce point, il convient toutefois de nuancer. Jusqu'à la fin de 2008, la tendance était plutôt à la baisse ou à la stabilité pour les deux principales catégories que prennent en charge les travailleurs sociaux de terrain : les personnes en insertion et les enfants et les familles en difficulté. Mais il est vrai que le mouvement est reparti à la hausse depuis le début de l'année pour les bénéficiaires du RMI/RSA. La tendance va inévitablement se poursuivre et s'amplifier dans les prochains semestres et l'aide sociale à l'enfance (ASE) ne va pas manquer de suivre avec quelques mois de décalage. En revanche, il faut rappeler que - contrairement au cas des CAF où sont survenus d'importants mouvements sociaux (voir notre article ci-contre du 18 mars 2009) - le RSA n'entraîne pas, en lui-même, de charge supplémentaire immédiate pour les travailleurs sociaux des départements (en dehors de la nécessité de s'adapter à un nouveau dispositif). La quasi-totalité des bénéficiaires du RSA "socle" depuis le 1er juin sont en effet des bénéficiaires du RMI, qui étaient déjà suivis par le département.
A ces considérations matérielles s'ajoute une inquiétude diffuse, mais bien réelle. Sans forcément suivre de près les débats nationaux sur la question, nombre de travailleurs sociaux s'inquiètent en effet face à la mise en oeuvre de deux réformes importantes : la création des agences régionales de santé (ARS) le 1er janvier prochain et le sort des départements dans la réforme des collectivités territoriales en préparation. Sur la création des ARS, les craintes concernent à la fois les pouvoirs très étendus donnés aux futures agences, y compris dans le domaine médico-social, et la "régionalisation" des politiques sanitaires et sociales. Sur le sort des départements, il n'est pas sûr que les tout récents propos du président de l'ADF, expliquant que l'avant-projet de loi sur les collectivités territoriales marque "la fin des départements", soient de nature à faire taire les inquiétudes (voir notre article ci-contre du 22 juillet 2009). Si l'on y ajoute quelques blessures symboliques - comme le "secret partagé" sur la protection de l'enfance, le recours croissant à des prestataires externes pour l'accompagnement des personnes en insertion ou la multiplication des missions d'audit externe sur l'organisation des services - et le fait que, selon l'Anas, "dans la plupart des cas, les réponses institutionnelles ne répondent pas aux besoins", on comprend aisément qu'il suffirait de peu de choses pour transformer un malaise latent en conflit ouvert.

 

Jean-Noël Escudié / PCA