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Transport de voyageurs - L'Autorité de la concurrence épingle la SNCF pour la gestion des gares

Dans un avis rendu public le 4 novembre, l'Autorité de la concurrence critique la gestion des gares par la SNCF, qui ne garantit pas selon elle un traitement équitable de tous les opérateurs ferroviaires. Elle invite aussi les autorités organisatrices de transports urbains à engager une réflexion sur l'allotissement de leurs appels d'offres.

Au lendemain de l'adoption définitive par le Parlement du projet de loi anticipant la prochaine ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, l'avis publié le 4 novembre par l'Autorité de la concurrence jette un froid, même s'il n'a qu'une valeur consultative. Selon cette instance, "le système de gouvernance de la mission de gestion des gares envisagé par la SNCF n'est pas satisfaisant. Il devrait être revu à l'instar des modèles qui ont été mis en place lors de l'ouverture à la concurrence des monopoles publics dans d'autres industries de réseau".

La nouvelle entité Gares et Connexions, créée en avril dernier par la SNCF à la suite de la remise d'un rapport au Premier ministre par la sénatrice Fabienne Keller, n'est pas jugée suffisamment "indépendante" des activités concurrentielles de la SNCF. La mise en place de cette entité avait notamment été critiquée par des concurrents potentiels comme Veolia Transport qui réclamaient le transfert de la gestion des gares à Réseau ferré de France (RFF), jugé plus neutre. "Le fait que cette entité soit placée sous l'autorité directe du président de la SNCF n'apparaît pas de nature à offrir des garanties suffisantes de transparence de la gestion des gares reposant sur d'autres facteurs que la seule bonne volonté de l'opérateur historique", ajoute l'Autorité de la concurrence. Elle recommande donc que "la gestion des gares fasse l'objet d'une séparation plus aboutie", soulignant que plusieurs modèles existent en la matière (séparation de propriété, juridique ou fonctionnelle).

En outre, elle s'inquiète du fait que la future Autorité de régulation des activités ferroviaires, instaurée par la loi votée le 3 novembre, n'a pas le pouvoir d'examen des tarifs d'accès en gare afin d'évaluer la sincérité des coûts exposés par la SNCF et de garantir aux nouveaux entrants la transparence des sommes facturées. Selon elle, le futur régulateur "doit être doté d'un pouvoir d'examen ex ante de ces tarifs au regard des coûts sous-jacents, afin de pouvoir apprécier s'ils répondent aux exigences réglementaires".

 

Faciliter l'interopérabilité des différents modes de transport

En outre, l'Autorité considère que la stratégie de diversification de la SNCF "doit faire l'objet de précautions particulières compte tenu de sa position extrêmement forte sur le transport ferroviaire". Elle cite notamment l'exemple des parcs stationnement à proximité des gares. Pour ne pas favoriser sa filiale Effia, la SNCF devrait ainsi "procéder de manière systématique à une mise en concurrence pour l'attribution de l'exploitation" de ces parcs situés sur le domaine public ferroviaire. L'Autorité estime également "indispensable" que tous les opérateurs de transport urbain et interurbain répondant à un appel d'offres en matière de transport public puissent disposer des informations concernant le transport ferroviaire, en particulier les horaires, dans les gares. "Ces informations doivent pouvoir être transmises dans des conditions non discriminatoires et sous format normé afin d'en permettre l'interopérabilité", ajoute-t-elle.
La SNCF a aussitôt réagi dans un communiqué, affirmant qu'elle "prendra évidemment en compte les recommandations de l'Autorité de la concurrence dans la finalisation de son projet afin d'assurer la séparation fonctionnelle effective entre d'une part la gestion des gares et d'autre part les activités de transporteurs ferroviaires". "Nous travaillons depuis le mois d'avril 2009 à la mise en place d'une nouvelle branche dédiée à la gestion transparente et non discriminatoire des gares, a commenté David Azéma, directeur général délégué en charge de la stratégie et des finances de la SNCF. Cet avis de l'Autorité de la concurrence, qui ne remet pas en cause nos choix, va nous aider à prendre le positionnement le plus juste dès la mise en place effective de cette nouvelle entité au 1er janvier 2010." Quant à l'intermodalité, la SNCF assure que "les précautions en la matière sont déjà largement mises en œuvre et continueront de l'être".

 

Transports urbains : l'allotissement des appels d'offres pour stimuler la concurrence

L'Autorité de la concurrence s'est aussi intéressée dans son avis aux transports urbains. Elle invite ainsi les autorités organisatrices à "engager une réflexion sur l'allotissement de leurs appels d'offres de transport public, tout en prenant en considération les intérêts des usagers". Selon elle, "si la délégation de la globalité d'un réseau sur une agglomération permet, dans une certaine mesure, à l'entreprise délégataire de bénéficier d'économies d'échelle, elle peut également conduire à un appauvrissement de l'offre, tant du point de vue du nombre d'opérateurs candidats aux appels d'offre que de celui de la qualité des services proposés". Ce risque d'"appauvrissement" est d'autant plus prégnant dans un contexte de renforcement éventuel de la concentration du secteur, avec le rapprochement annoncé en juillet dernier de Veolia Transport et de Transdev.
Pour à la fois stimuler la concurrence, faciliter l'entrée de nouveaux opérateurs et l'émergence de nouveaux services, l'Autorité propose donc la solution de l'allotissement des réseaux. Cette solution très fréquente à l'étranger – des villes comme Londres, Stockholm, Helsinki ou Copenhague la pratiquent depuis plusieurs années – peut être organisée par mode de transport (tramway, métro, bus) ou par zone géographique. Pour l'Autorité de la concurrence, ces expériences ont prouvé que l'allotissement pouvait être "un moyen pertinent d'améliorer l'efficacité de l'allocation et de la gestion des réseaux de transport urbain". "Du point de vue des autorités organisatrices, ce procédé pourrait permettre une comparaison continue des prestations fournies par les différents opérateurs en présence sur le réseau, et ce pendant toute la durée des délégations", souligne-t-elle.

Mais cette solution implique que les collectivités se réapproprient des compétences souvent exercées aujourd'hui par le transporteur délégataire : elles doivent ainsi disposer de moyens et de services capables de coordonner des opérateurs différents, en clair exercer pleinement le rôle de "gestionnaire de la mobilité". Autre condition mise en avant par l'Autorité de la concurrence : ne pas compliquer l'offre pour le consommateur. "L'intervention de plusieurs opérateurs sur un même réseau ne doit pas aboutir à une segmentation de la tarification ou des titres de transport, ce qui générerait pour les usagers des contraintes supplémentaires dans leurs déplacements et irait à l'encontre de la logique d'intermodalité."
 

Anne Lenormand