Le Covid-19 va-t-il inciter la Commission à changer sa position sur l'accès aux soins en milieu rural ?
L'Afccre a tiré le signal d'alarme : en l'état, la future politique de cohésion exclurait pour la France tout financement en matière d'accès aux soins dans les territoires ruraux. Si la situation n'est peut-être pas aussi tranchée, il est certain que le secteur ne figure (figurait ?) pas en tête des préoccupations de la Commission. L'association plaide pour un rééquilibrage des priorités de la programmation et l'assouplissement des contraintes réglementaires pesant sur le secteur de la santé. Un appel qui, Covid-19 aidant, a désormais davantage de chances d'être entendu.
"L'accès aux soins de santé ne figure plus parmi les champs d'intervention des Fesi retenus pour la France, hormis pour l'outre-mer." L'alerte lancée par l'Association française du conseil des communes et régions d'Europe (Afccre) au président de la République, dans un courrier du 3 février dernier, prend une nouvelle résonance avec la propagation du virus Covid-19. Car si, comme l'a rappelé hier Emmanuel Macron, "la santé n'a pas de prix", elle a un coût, plutôt exponentiel en la matière...
L'Afccre tire cette conclusion de l'examen des projets de règlements de la nouvelle politique de cohésion de la Commission du 29 mai 2018 – et plus particulièrement des recommandations adressées à la France le 27 février 2019 dans le cadre du Semestre européen. Elle l'a formalisée noir sur blanc dans une première contribution à l'instance nationale de coordination et de préparation de l'accord de partenariat (Incopap) – qui vise à préciser les modalités de mise en œuvre et les priorités d'intervention des fonds européens structurels et d'investissement (Fesi) en France et dont la première réunion s'est tenue en décembre –, adoptée par son comité directeur le 23 janvier dernier.
L'association juge en effet que les objectifs de la politique de cohésion qui y sont dessinés limitent d'une part "les investissements en matière d'infrastructures de santé aux seules régions ultrapériphériques dans le cadre de l'objectif stratégique 4" et restreignent d'autre part la question de l'accès aux soins "aux seules zones urbaines défavorisées dans le cadre de l'objectif stratégique 5", avec par ailleurs "une enveloppe sous dotée". Rappelons que pour la prochaine programmation 2021-2027, la Commission demande en effet de flécher les crédits du fonds de développement régional Feder vers 5 objectifs stratégiques. L'objectif 4 correspond à une Europe "plus sociale" (emploi, formation, intégration, santé…), en lien avec le Fonds social européen, et le 5 à une Europe "plus proche des citoyens par l'encouragement du développement durable et intégré des zones urbaines rurales et côtières et des initiatives locales".
Une situation jugée d'autant critique compte tenu "des évolutions relatives au futur pilier développement rural de la PAC" et "des baisses proposées des enveloppes et la limitation drastique des possibilités d'investissement au titre du Feader".
Crier avant d'avoir mal ?
La situation n'est toutefois peut-être pas – encore ? – aussi critique que la dépeint l'association. D'abord, comme elle le rappelle elle-même, ces recommandations "n'ont pas de caractère impératif". La Commission ne dit rien d'autre dans sa communication du 27 février 2019, un "document de travail" destiné à "fourni[r] la base pour un dialogue entre la France et [s]es services". En outre, ce document précise explicitement que, "étant donné que les seules régions françaises moins développées se trouvent parmi les régions ultrapériphériques, [il] attire systématiquement l'attention sur la situation spécifique" de ces régions. Et dans ses préconisations pour l'objectif 4, il mentionne bien que "l'accès aux soins de santé se dégrade dans les zones rurales".
Par ailleurs, dans sa recommandation – officielle – du 9 juillet concernant le programme national de réforme de la France pour 2019, le Conseil européen plaidait bien pour "un renforcement des investissements" dans le système de santé, "qui pourrait aider à réduire les disparités régionales en matière d'accès aux services, en particulier [nous soulignons] dans les régions ultrapériphériques". Notons toutefois qu'il y estimait aussi que le succès de "la nouvelle stratégie d'assainissement budgétaire couvrant toute la durée du quinquennat […]dépendra de la réalisation des objectifs de dépense[s] fixés pour les administrations centrale et locales et pour le système de santé"… Un discours qui a beaucoup vieilli en l'espace de quelques jours !
Enfin, l'objectif 4 du projet de règlement prévoit bien de manière générale de "garantir l'égalité de l'accès aux soins de santé grâce au développement des infrastructures, y compris les soins de santé primaire".
Mieux vaut prévenir que guérir !
Pour autant, en matière de santé comme de budget, mieux vaut prévenir que guérir. L'alerte de l'Afccre est donc plus que bienvenue. D'autant qu'une chose est pour le coup certaine : la France, dans le cadre de la nouvelle politique de cohésion, devra consacrer au moins 60% des fonds Feder à l'objectif 1 ("Une Europe plus intelligente", incluant la recherche & développement, la digitalisation, le soutien aux PME) et au moins 85% des fonds aux objectifs 1 et 2 ("une Europe plus verte"). Les trois autres devant se contenter de la portion congrue, dans un contexte de réduction budgétaire (l'objectif 3 ayant trait à une Europe "plus connectée" : haut débit, transport, mobilité...).
Or, avant même l'apparition du Covid-19, l'accès aux soins constituait une préoccupation majeure de tous les Français, et particulièrement des ruraux, tenant d'ailleurs "une place prépondérante dans le développement d'un sentiment d'abandon vécu par les usagers du service public et les élus locaux" selon les mots du sénateur Jacques Genest dans le rapport qu'il a récemment remis sur l'implantation des services de l'État dans les territoires (voir notre article). Ce qui avait d'ailleurs conduit les participants au Grand Débat national à ranger la santé au rang des missions devant être transférées aux collectivités locales (voir notre article).
Rééquilibrer les priorités, lever les freins réglementaires
Dans sa contribution, l'Afccre émet plusieurs recommandations afin de "rééquilibrer les priorités d'intervention de la future programmation". Outre l'assurance de pouvoir financer l'accès aux soins de santé pour tous les territoires français (réécriture de l'objectif 4), elle propose de reconsidérer la concentration thématique de la programmation "afin de dégager des marges de financement crédibles pour les objectifs stratégiques 4 et 5".
L'association propose par ailleurs de simplifier la réglementation du secteur, voire de l'en affranchir totalement. Elle suggère ainsi de permettre la participation de publics cibles, d'adapter le formalisme administratif aux spécificités d'une action et/ou de ses bénéficiaires, d'exonérer l'accès aux soins de santé des règles européennes de la concurrence (en particulier la réglementation des aides d'État) "en tant qu'activité purement locale n'ayant aucune incidence sur les échanges intracommunautaires", d'assouplir l'application des règles liées au pacte budgétaire européen (limitant l'endettement public) "afin de stimuler les investissements liés à l'accès aux soins de santé" ou encore d'exclure ces projets, "générant par nature de nouvelles dépenses de fonctionnement", des règles des "contrats de Cahors". Nul doute que l'actuelle crise sanitaire offre de nouvelles perspectives à ces recommandations. À quelque chose malheur est bon, dit le proverbe.