La stratégie de dématérialisation de l’Etat réinterrogée par les sénateurs
Face aux critiques des sénateurs sur la stratégie 100% dématérialisation, le secrétaire d’Etat au numérique Mounir Mahjoubi a annoncé des inflexions. Au-delà des ajustements proposés, c’est l’accompagnement des personnes souffrant d’illectronisme – et les moyens affectés – qui inquiète les élus de la chambre haute.
Lors d’un débat organisé le 20 février 2019 au Sénat sur la fracture numérique et les inégalités d’accès aux services publics, Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat au numérique, a annoncé des inflexions dans la stratégie gouvernementale qui prévoit de dématérialiser 100% des démarches administratives d’ici 2022. Il est vrai, qu’au cours des derniers mois, les critiques ont fusé de toutes parts, à commencer par le Défenseur des droits, auteur d’un rapport au vitriol sur les dérives de la dématérialisation (notre article).
Les téléservices de l’ANTS recadrés
Les sénateurs se sont faits l’écho de ces critiques. "Le tout-numérique ne peut être l’unique solution. Si la préservation de l’accès aux services publics, y compris dans les zones rurales les plus reculées, constitue bien une priorité pour le gouvernement, il lui faudra conserver une diversité d’approches", a résumé Viviane Artigalas (PS). Face aux critiques, particulièrement vives sur la télédémarche de demande de carte grise gérée par l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), le secrétaire d’Etat a annoncé des aménagements. "Pour certaines démarches, nous ne pouvions à aucun moment entrer en relation avec un être humain. Aujourd’hui, c’en est fini ; nous faisons tout pour que, dans toutes les démarches en ligne, cela n’arrive plus jamais", a-t-il assuré. La direction des systèmes d’information de l’Etat, la Dinsic, a été missionnée pour auditer les 200 démarches en ligne les plus utilisées par les Français pour vérifier le respect de certaines règles : lisibilité sur téléphone mobile, respect des normes d’accessibilité numérique, compatibilité France connect pour simplifier l’authentification des usagers et, enfin, possibilité d’être mis en relation avec un agent public à un moment de la procédure. Cet audit sera rendu public dans les prochaines semaines. Par ailleurs, les usagers auront bientôt la possibilité de donner leur avis sur les services en ligne et de le partager sur internet.
Une cartographie en cours des structures d’accompagnement
L’accompagnement des 13 millions de Français souffrant d’illectronisme, a ensuite été abordé, les représentants des territoires ruraux appelant à des réponses spécifiques. "Quelles synergies entre numérique et points de rencontre physiques, en particulier avec le réseau des MSAP (Maisons de services au public (MSAP, NDLR) ?" s’est interrogé Yves Bouloux (LR). "Les MSAP sont de jolis outils, mais en vérité, faute de présence humaine, d’accompagnement, de moyens, ils ne fonctionnent pas", a renchéri Guillaume Gontard (CRC). "Il n’y a pas de solution unique" et "nous devons faire de la dentelle territoriale", a expliqué Julien Denormandie, ministre en charge du logement, venu aux côtes de Mounir Mahjoubi pour défendre la stratégie de l’Etat en matière de lutte contre les fractures numériques. Au-delà des MSAP, l’objectif est en effet de mobiliser l’ensemble des points d’accueil existants pour aiguiller les usagers vers des structures capables de les accompagner ou de les former. Des structures de médiation de tous types – associations, MSAP, EPN… - que l’Agence du numérique est en train de cartographier parallèlement à la création de "schémas départementaux d’inclusion numérique territoriale", dont la généralisation est annoncée pour la fin 2019. Ces schémas auront pour point d’ancrage un "hub territorial", centre de ressources et de formation des animateurs numériques territoriaux.
L’insuffisance des moyens pointée du doigt
Les hubs sont financés à hauteur de 5 millions d’euros (voir l’appel à projets clos en décembre), 10 millions étant fléchés en direction du "pass numérique", contribution versée par l’Etat pour permettre aux personnes en détresse numérique d’accéder à un accompagnement. Le dispositif est actuellement en phase de test dans une dizaine de départements a précisé le secrétaire d’Etat. "Est-ce suffisant ? En réalité, nous le savons, ces 15 millions agrègent des dispositions disparates dont la plupart existent déjà sur le territoire, mais qui ont échoué à régler la question de fond de l’illectronisme, qui conjugue fracture sociale, difficultés de mobilité, problèmes territoriaux, illettrisme et isolement", a taclé Anne-Catherine Loisier (UDI).