Santé / Social - La situation des Ehpad va s'inviter dans la rentrée sociale
Agnès Buzyn aura bien besoin d'un été studieux pour préparer une rentrée qui s'annonce particulièrement chargée. Sa feuille de route comprend en effet une série de chantiers particulièrement lourds et politiquement sensibles. C'est le cas, par exemple, de la suppression du RSI et de l'adossement du régime à la Cnav, annoncés pour le 1er janvier 2018. Un délai qui semble peu réaliste, surtout lorsqu'on veut bien se rappeler que la "catastrophe industrielle" du RSI vient d'un rapprochement précipité, en 2005-2006, entre trois régimes préexistants (Canam, Cancava et Organic) et d'une répartition des rôles mal préparée avec les Urssaf...
Chantiers à rallonge
D'autres dossiers tout aussi complexes - et parfois aussi chauds - attendent la ministre des Solidarités et de la Santé : la finalisation du tiers payant généralisé (ou peut-être seulement généralisable), l'extension des vaccins obligatoires, un nouveau plan de lutte contre les déserts médicaux, les contrats responsables pour limiter les dépassements d'honoraires, le paquet de cigarettes à dix euros, la création d'un "service sanitaire" de trois mois pour les étudiants en médecine (afin de développer la prévention), la réforme des complémentaires santé... Sans oublier des engagements à moyen terme, comme l'évolution vers un système universel de retraite (avec le développement d'une approche notionnelle) ou la promesse d'un zéro reste à charge en optique à l'horizon 2022, tout en assumant la demande d'Emmanuel Macron d'une baisse des dépenses d'assurance maladie de quinze milliards d'euros sur la durée du quinquennat...
Les mauvaises surprises pourraient toutefois venir, dès la rentrée, d'une question qui ne figure pas dans la "feuille de route" d'Agnès Buzyn, correspond à une réforme déjà largement engagée et qui intéresse très directement les départements. Il s'agit en l'occurrence de la réforme de la tarification des établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et, plus largement, de la question de la prise en charge de la dépendance en établissement.
La tension monte dans les Ehpad
Depuis plusieurs mois, la réforme de la tarification des Ehpad - pourtant loin des ambitions initiales (voir notre article ci-dessous du 10 janvier 2017) - fait l'unanimité contre elle parmi les fédérations d'établissements (voir nos articles ci-dessous des 20 avril, 31 mai et 7 juillet 2017). Le 25 juillet, la Fédération hospitalière de France, qui avait déjà diffusé en mai et en juin deux communiqués demandant le retrait de la réforme, a ainsi publié un nouveau communiqué intitulé "Ehpad publics en danger : pourquoi attendre une déstabilisation massive annoncée pour agir ? La FHF réitère son alerte". Elle y dénonce à nouveau une perte de recette estimée à 200 millions d'euros du fait de la réforme et des inégalités sociales accrues. La FHF a d'ailleurs décidé de consacrer ses universités d'été, les 5 et 6 septembre, à la situation du secteur médicosocial public.
La FHF, qui représente environ 3.800 établissements médicosociaux, est très loin d'être la seule à faire entendre des protestations de plus en plus vives. C'est aussi le cas de l'Unccas (voir notre article ci-dessous du 7 juillet 2017) ou des fédérations de directeurs d'établissements Fnadepa et AD-PA, ainsi que de la Conférence nationale des directeurs d'établissements pour personnes âgées et handicapées (voir nos articles ci-dessous et du 20 avril et du 31 mai 2017).
Petite réforme et grands effets ?
A première vue, la réforme de la tarification des Ehpad peut pourtant sembler d'une ampleur limitée et - en tout cas - nettement moins ambitieuse que l'idée d'une remise à plat complète du système de tarification, un temps envisagée. Elle a été lancée par deux décrets du 21 décembre 2016, pris en application de l'article 58 de la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement (voir notre article ci-dessous du 10 janvier 2017). Ces textes de compromis reposent notamment sur la mise en œuvre d'un "forfait global relatif à la dépendance, versé par le département d'implantation de l'établissement, [...] auquel s'ajoutent les tarifs journaliers afférents à la dépendance acquittés par les autres départements [...], les participations acquittées par les résidents bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie, [...] ainsi que les tarifs journaliers acquittés par les résidents non bénéficiaires de cette allocation". Ce forfait global dépendance se combine avec le forfait global relatif aux soins et avec les tarifs journaliers relatifs à l'hébergement.
L'autre novation principale, qui ne soulève en revanche pas d'opposition majeure, est le remplacement des conventions tripartites (établissement ou service, ARS et département) par des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens, ou Cpom (voir nos articles ci-dessous du 24 janvier et du 13 mars 2017).
Les départements pointés du doigt
Mais les décrets de décembre 2016 sont loin de constituer le seul grief des fédérations d'établissements. Il faut y ajouter en effet la convergence des forfaits soins et la pression à la baisse des coûts exercés par les départements dans la fixation des tarifs. Certes, la convergence des forfaits soins pourrait se révéler positive pour la majorité des établissements, mais environ 15% pourraient y perdre des ressources en étant ramenés aux forfaits plafonds, pour un total estimé à 200 millions d'euros.
Sur le tarif dépendance, les fédérations, à l'image de la FHF, pointent la mise en place "d'un forfait dépendance basé sur la valeur d'un point départemental calculé sur les charges moyennes constatées dans l'ensemble des Ehpad du département, ce quel que soit leur statut, alors qu'encore une fois les règles de l'emploi public, les contraintes statutaires récentes (point d'indice, PPCR) et les avantages fiscaux acquis dans les Ehpad privés (CICE, CITS) sont si différentes et incompatibles avec un objectif de convergence"
Pour leur part, les directeurs d'Ehpad s'inquiètent "d'une application disparate de la mesure [de convergence, ndlr], chaque conseil départemental l'interprétant à sa manière" (voir notre article ci-dessous du 20 avril 2017). Ils disent constater également "un nivellement par le bas des contributions dépendance de plusieurs départements, la valeur de référence variant par département de moins de 6 euros à plus de 9 euros, sans aucune transparence sur les modalités de calcul".
Un redoutable effet de ciseaux
Ce contexte de durcissement budgétaire intervient alors que les charges connaissent une évolution inverse. L'exploitation de l'enquête Ehpa 2015 par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) des ministères sociaux met ainsi en évidence un profil de résidents des Ehpad à la fois plus nombreux, plus âgés et plus dépendants (voir notre article ci-dessous du 20 juillet 2017). Entre 2011, date de la précédente enquête Ehpa, et 2015, l'âge médian des résidents s'est accru d'une année et la proportion des résidents les plus dépendants (classés dans les GIR 1 à 4) est passée de 81% à 83%...
La question de l'encadrement en personnel - domaine dans lequel la France est en retard sur la plupart de ses grands partenaires - et des moyens matériels se pose donc avec une acuité accrue. En juin et juillet, le manque de moyens a même conduit à une grève rarement vue, dans un établissement du Jura, d'une durée de plus d'un mois, et qui a reçu le plein soutien... de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA).
Dans ces conditions, les fédérations professionnelles sont unanimes à demander une remise à plat complète de la réforme de la tarification ou, à tout le moins, un moratoire sur sa mise en œuvre.
Message bien reçu !
Agnès Buzyn est bien consciente de ces tensions et des risques de conflits. Dans un message lu devant le dernier conseil d'administration de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), la ministre des Solidarités et de la Santé affirme ainsi avoir "entendu les inquiétudes au sujet de la réforme du financement des Ehpad" (voir notre article ci-dessous du 6 juillet 2017). Elle annonce le lancement d'une étude prospective sur les besoins d'accueil à terme - "pour ne pas être pris au dépourvu" -, intégrant notamment la question du reste à charge. Tout en affirmant vouloir une application "pleine et entière" de la loi Vieillissement du 28 décembre 2015, elle entend aussi procéder à un bilan d'ensemble de ce texte avec tous les acteurs concernés.
Sur le point plus particulier de la réforme de la tarification, Agnès Buzyn annonce la création d'un "comité de suivi" de la réforme, présidé par Jean-Philippe Vinquant, le directeur général de la cohésion sociale, et associant la CNSA, des représentants des agences régionales de santé (ARS), l'Assemblée des départements de France et les fédérations représentant les gestionnaires d'Ehpad. Mais, comme le fait remarquer la FHF dans son communiqué du 25 juillet, "celui-ci ne s'est toujours pas réuni".
Des marges limitées et le retour d'une question escamotée
Il est vrai que les marges de manœuvre sont limitées. Il n'est pas attendu de geste particulier sur l'Ondam médicosocial pour 2018 (objectif national des dépenses d'assurance maladie). Et il est même peu probable que le taux de progression de 2,9% en 2017 sera maintenu en 2018, équilibre des comptes sociaux oblige.
Reste une question de fond : comme on le constate en matière de logement où la baisse surprise des APL va sans doute déboucher, face aux réactions, sur une réforme d'ensemble des aides logement, n'est-il pas temps d'évoquer un possible retour de ce qui aurait dû être le second volet - jamais abouti, ni même vraiment esquissé - de la loi Vieillissement, autrement dit une réforme de fond de la prise en charge de la dépendance en établissement ?