Education - La rentrée numérique à l'école, entre ambition et incertitudes
La rentrée des classes a vu une nouvelle fois de nombreuses collectivités investir, de concert avec l'Education nationale, dans des équipements numériques pour les élèves. Alors que l'augmentation du rôle des TIC à l'école semble inéluctable, de nombreux défis restent à relever quant aux méthodes pédagogiques et technologiques à adopter, pour faire de l'engouement pour le numérique un véritable instrument pédagogique.
2016, une année qui se veut charnière
Lorsque le président François Hollande avait annoncé, fin 2014, un plan numérique pour l'école, il avait déclaré que "à la rentrée 2016, tous les élèves de 5e" seraient "équipés d'une tablette" et auraient "une formation numérique". Deux rentrées plus tard, malgré une révision à la baisse des objectifs, l'exécutif reste ambitieux. 25% des 5es sont effectivement équipés ; la ministre de l'Education, Najat Vallaud-Belkacem, déclare que cette rentrée "va marquer un déploiement massif du numérique dans nos écoles et nos collèges". François Hollande table désormais sur l'équipement de chaque collégien en outil numérique d'ici 2018. Cette ambition, dont les implications financières pourraient excéder le milliard d'euros, est un projet de longue date du côté des décideurs nationaux. Il fait l'objet d'un volontarisme des services centraux du ministère, comme en témoignent les révisions récentes des référentiels Carmo et Carine, qui rassemblent les préconisations sur la gestion du matériel numérique. Et ce, pour servir la "généralisation" de l'usage des terminaux numérique en classe.
Les collectivités cherchent la bonne formule
Nombre de collectivités se sont pleinement investies dans l'initiative du plan numérique pour l'école, à l'image du département de l'Essonne, qui investit 2,6 millions d'euros pour équiper plus de 10.000 collégiens en tablettes avant la fin de cette année scolaire. Pour le président du conseil départemental, François Durovray, interrogé par Localtis, le déclic est venu de visites sur le terrain, et d'une lecture : "Petite Poucette" de Michel Serres, qui décrit la jeunesse à l'ère du numérique. "On ne peut pas ignorer que l'outil numérique a pris une place dans la vie des jeunes : l'utiliser à l'école permet à chaque élève d'avancer à son rythme, et de libérer son esprit pour plus de réflexion." La décision du département de l'Essonne a été également motivée par l'appui de l'Etat qui, pour renforcer l'attractivité de son appel à projets "collèges numériques et innovation pédagogique", partage la charge de l'investissement à parité avec le département. Pour François Durovray, l'achat de tablettes s'est imposé comme une évidence, en complémentarité avec les équipements numériques collectifs, de type TBI. Malgré les sommes importantes, le président appréhende cette démarche comme un investissement rentable à long terme, même s'il concède la faible durée de vie des machines.
Il emboîte ainsi le pas, par exemple, à son voisin le Val-de-Marne, où le conseil départemental poursuit, pour la cinquième année consécutive, son programme de remise d'ordinateurs portables aux élèves entrant en 6e. Cette année, la totalité des 104 collèges du Val-de-Marne seront concernés. Au total, ce seront 77.500 élèves qui auront bénéficié de ce dispositif fin 2016. Avec, à partir de cette année, une nouveauté : "L'ordinateur portable des années 2012-2015 est remplacé par un ordinateur hybride, à la fois tablette et ordinateur portable", explique le département, qui relève que "le partenariat Etat et département" dans le cadre du plan national "permet de bénéficier d'une contribution financière de l'Etat importante et d'accroître la qualité du matériel mis à disposition".
Pour trouver la parade à des investissements lourds et parfois hasardeux, certaines collectivités prennent le temps de la réflexion, et explorent d'autres pistes pour équiper les élèves. Parmi ces possibilités, le principe du BYOD (Bring Your Own Device), qui permet d'intégrer à la classe les équipements numériques personnels des élèves. Une façon de faciliter l'implantation du numérique tout en en réduisant les coûts et en concentrant les efforts d'équipement sur les jeunes qui ne profitent pas des outils numériques dans leur propre foyer.
Les incertitudes financières et pédagogiques demeurent
Malgré les efforts des acteurs publics, l'impact pédagogique de l'utilisation des TIC reste contrasté. En 2015, l'OCDE avait publié une enquête Pisa selon laquelle le numérique à l'école ne permettait ni l'amélioration du niveau des élèves, ni la réduction des inégalités : ce résultat n'a pas échappé à l'attention des enseignants, qui sont encore nombreux à poser un regard suspicieux sur l'entrée du numérique à l'école. Une manière de se convaincre que la portée des TIC dépendra avant tout de leur prise prise en compte pédagogique, et de leur cohérence avec les besoins réels des élèves.
Qui plus est, malgré le plan numérique, la démarche des acteurs publics n'est pas encore pleinement stabilisée. Si les collectivités consentent d'importants efforts financiers, les départements et les régions s'inquiètent également des charges de maintenance des équipements informatiques des collèges et des lycées qui leur sont transférées en vertu de l'article 21 de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.
Au niveau de l'Etat, la convention scellée avec Microsoft en novembre 2015 pour assurer à titre gracieux la formation numérique du personnel pédagogique et la mise à disposition de son écosystème cloud (Office 365 éducation, Microsoft Azure Active directory...) était mise en cause devant la justice ce jeudi 8 septembre par les acteurs du logiciel libre. La décision du tribunal, attendue pour le 15 septembre, pourrait entraîner de nouvelles reconfigurations de la stratégie de l'Etat pour implanter le numérique à l'école.