La réforme de la justice présentée en conseil des ministres
Nicole Belloubet, ministre de la Justice, a présenté sa réforme de la justice ce 20 avril en conseil des ministres. Au menu des changements annoncés : la fusion, très contestée, des tribunaux d'instance et de grande instance, l'expérimentation d'un tribunal criminel départemental et la création de pôles spécialisés dans les départements qui ont plusieurs tribunaux de grande instance.
La réforme de la justice présentée ce 20 avril par Nicole Belloubet en conseil des ministres va-t-elle simplifier et faciliter l'accès à la justice, comme le souhaite le gouvernement, ou mettre fin à la justice de proximité ? Les avis sur la question sont très partagés, et l'opposition au projet de loi est continue depuis quelques mois, malgré six mois de concertation, notamment sur le volet qui concerne l'organisation territoriale.
Ce projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit la fusion entre les tribunaux d'instance, des lieux de justice de proximité où sont traités les petits litiges du quotidien (surendettement, loyers impayés, tutelles…) et les tribunaux de grande instance, où se traitent les gros litiges et délits. Objectifs : simplifier l'organisation et améliorer l'accueil du justiciable via une seule entrée et un seul mode de saisine. "Lorsque le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance sont situés dans la même ville, ils seront regroupés. Le justiciable n’aura plus à se demander s’il doit saisir le tribunal d’instance ou le tribunal de grande instance", indique ainsi le document. En revanche, dans les villes où il n'existe actuellement que des tribunaux d'instance, ils seront tous maintenus. Il s'agit de l'une des plus fortes craintes : la disparition de lieux de justice au fil de la réforme. Pour l'Union syndicale des magistrats (USM), la fusion pourrait conduire à la suppression de plus de 300 tribunaux d'instance et de la fonction du juge d'instance. Pourtant, la ministre de la Justice l'assure : il n'y aura pas de fermeture de tribunal, la fusion étant administrative. Pas de fermeture, et pas non plus de changement pour le justiciable. Mais le projet intervient dix ans après la réforme de la carte judiciaire de l'ancienne ministre Rachida Dati, qui avait traumatisé les tribunaux… Pour cette réforme, les magistrats craignent que les tribunaux deviennent des "chambres détachées des TGI".
Des pôles spécialisés
Autre disposition : la possibilité de créer des pôles spécialisés dans les départements qui ont plusieurs tribunaux de grande instance. 37 départements ont deux tribunaux de grande instance sur leur territoire, et 11 en ont plus de trois. Les chefs de cour pourront proposer de spécialiser des tribunaux de grande instance dans les contentieux techniques de faible volume en matière civile ou pénale, créant des blocs de compétences. "La liste de ces matières sera fixée par décret en Conseil d'Etat", précise le texte. Les magistrats considèrent que ce processus risque de dévitaliser les petits tribunaux et d'éloigner les justiciables de la justice.
Dans deux régions comprenant plusieurs cours d'appel, une expérimentation aura également lieu : elle permettra de conférer à des chefs de cour d'appel des fonctions d'animation et de coordination pour plusieurs cours d'appel et de spécialiser des cours d'appel dans certains contentieux civils.
Expérimenter un tribunal criminel départemental
Le projet de loi compte aussi expérimenter un tribunal criminel départemental pour obtenir un jugement des affaires civiles plus rapide. Ce tribunal, composé de cinq magistrats mais pas de jurés populaires, traiterait les crimes punis jusqu'à 20 ans, soit 57% des affaires actuellement jugées par les cours d'assises. De leur côté, les cours d'assises continueront à juger les crimes punis de plus de vingt ans, comme les meurtres et les assassinats, ainsi que les crimes commis en récidive, et continueront aussi à juger l'ensemble des crimes en appel. Cette mesure est reçue plus positivement par la profession, et notamment l'USM, sachant que les cours d'assises sont actuellement surchargées et que les délais de détentions provisoires s'en trouvent très allongés.
Un budget en hausse de 24% et une transformation numérique
Le projet de loi prévoit une augmentation du budget de la justice de 24% d'ici à 2022, soit 1,6 milliard d'euros supplémentaires en cinq ans. Une grande partie sera réservée aux prisons et à la création de 6.500 emplois. Le texte prévoit la construction de 7.000 places de prison d'ici 2022, contre 15.000 promises durant la campagne d'Emmanuel Macron.
La transformation numérique est aussi au cœur du projet, avec un effort d'équipement à hauteur de 500 millions d'euros pour les services judiciaires. La saisine de la justice en ligne est ainsi prévue. Le projet crée aussi une procédure dématérialisée pour le règlement de petits litiges. Si les parties sont d'accord, le juge pourra statuer sans audience. Les victimes pourront aussi porter plainte en ligne, ou se porter parties civiles à l'audience par voie dématérialisée.
Le texte simplifie la procédure civile : il généralise l'obligation préalable de tentative de règlement amiable pour les litiges civils jusqu'à 10.000 euros avant de pouvoir saisir un juge et étend l'obligation d'avoir un avocat dans des affaires complexes.
Concernant les peines, le projet de loi proscrit les détentions courtes mais assure l'application de celles de plus d'un an. Il développe aussi les alternatives à la prison : travaux d'intérêt général, bracelet électronique, stage... Enfin, si la réforme prévoyait la création d'un parquet national antiterroriste positionné au tribunal de grande instance de Paris pour les infractions terroristes, les crimes contre l'humanité et les crimes et délits de guerre, aucune disposition en ce sens n'est pour l'heure présente dans le projet de loi, le gouvernement souhaitant prolonger la réflexion avant de le dessiner de manière définitive.