Plan THD - La pénurie de fibre ne serait-elle qu'une bonne excuse ?
La pénurie de fibre optique et le manque de main-d’œuvre sont régulièrement avancés pour expliquer les retards dans les déploiements de la fibre à domicile. L’enquête de l’observatoire du THD, portée par les industriels et les collectivités, a souhaité objectiver le débat. Sans le clore pour autant.
La technologie FTTH est aujourd’hui plébiscitée partout dans le monde pour la desserte très haut débit, la Chine et les États-Unis figurant en tête des donneurs d’ordre, très loin devant la France. Cette demande génère une forte tension sur le marché mondial de la fibre, comme le révèle l’enquête de l’observatoire du très haut débit, dévoilée le 14 juin à Paris. Pilotée par la Fédération des industriels des réseaux d’initiative publique (Firip) avec le soutien de la Caisse des Dépôts, l’enquête associait pour la première fois cette année les collectivités territoriales au travers de l’Avicca. "Pour le moment, la courbe de l’offre suit celle de la demande mais de fortes tensions sont à prévoir car il s’agit de passer de l’installation de 2,7 millions de prises annuelles (2017) à 4 millions de prises par an dès 2018 si l’on veut tenir les objectifs du plan très haut débit", explique Pierre-Michel Attali, de l’Idate. "Notre secteur croît actuellement de 35% par an, ce qui est énorme, pour atteindre 4 millions de prises, il nous faudrait passer à 65% de croissance annuelle, ce qui n’est pas réaliste", a estimé Jacques De Heere, vice-président du Sycabel, syndicat qui représente en France les câbliers.
Une demande de fibre qui était prévisible
Pénurie il risque donc bien d’y avoir mais peut-être pas pour tout le monde. "Il faut distinguer les opérateurs intégrés, qui commandent très régulièrement de la fibre, des intégrateurs qui n’en commandent que ponctuellement", a précisé en effet Pierre-Michel Attali. En clair, les collectivités territoriales déployant des réseaux via des marchés de travaux pourraient être les premières victimes de la pénurie de fibre. Une situation qui exaspère l’Avicca. "Nous avons signé des contrats avec les industriels assortis d’engagements de déploiement chiffrés. Ceux-ci doivent être honorés. Qu’on ne vienne pas nous parler de pénurie pour expliquer les retards alors que cette situation était prévisible", a fustigé Ariel Turpin, délégué général de l’Avicca. Et celui-ci de souligner que le déploiement du THD était pour les collectivités une course d’obstacles (problématique d’adressage, difficulté de déploiement en arien et d’élagage, topologie des réseaux …) mais qu’à chaque problème il y avait son lot de solutions. La loi Elan (voir encadré) comporte du reste plusieurs mesures de simplification pour faciliter les déploiements en aérien et dans les immeubles.
La fibre en recherche de vocations
Autre sujet de débat, le manque de main-d’œuvre. Selon les calculs de l’Idate, le respect de objectifs du plan THD impose à la filière de trouver 16.000 équivalents temps pleins (ETP) spécialisés dans la fibre d’ici 2022, pour passer de 12.000 ETP à 28000. "Le problème n’est pas celui de la formation car nous avons aujourd’hui 37 plateaux Objectif Fibre répartis dans toutes les régions. Il y a en revanche un manque de communication et un déficit de vocations", a déploré Etienne Dugas, président de la Firip. Sur ce sujet, les collectivités estiment cependant avoir fait leur part. "Dés 2012 l’Avicca a soulevé la question de la main-d’œuvre en avançant des chiffres très proches de ceux qui nous sont présentés. Là encore on ne peut pas parler de problème de manque de visibilité", a estimé Ariel Turpin.
Antoine Darodes, directeur de l’Agence du numérique, a pour sa part dénoncé "les fausses excuses, car on nous a trop menti avec des promesses intenables". L’occasion pour le pilote du plan THD de rappeler la volonté du gouvernement de transformer les intentions des opérateurs en engagements opposables. Du reste, Monique Liebert Champagne, membre du collège de l’Arcep, a profité de l’occasion pour annoncer que la liste des communes où les opérateurs Orange et SFR prendront des engagements fermes au titre de l’article L33-13 du CPCE serait publiée très prochainement.
Quelques bonne nouvelles
Les chiffres de l’observatoire ont cependant été aussi l’occasion de partager quelques bonnes nouvelles dont se sont réjouis tous les participants. Ainsi, en matière de commercialisation, le taux de mutualisation - plus de deux opérateurs présents sur le RIP - a fait un bon de 6% en un an pour atteindre 30%. Côté financements ensuite, l’observatoire note une baisse drastique des niveaux de subventions publiques pour boucler les DSP, le secteur privé assurant l’essentiel des financements. Un appétit des acteurs privés qui conduit les auteurs de l’étude à estimer qu’il existe "des marges de manœuvre importantes dans le cadre de l’enveloppe initiale des 3,3 milliards € pour réussir les objectifs 2022 et 2025". Une marge d'environ 300 millions d'euros qui pourrait être affectée au financement des technologies alternatives qui sont plus que jamais indispensable pour satisfaire l’objectif du bon débit pour tous en 2020…
La loi Elan simplifie les déploiements
Les articles 63 et 64 de la loi portant sur l’évolution du logement, de l'aménagement et du numérique intègrent plusieurs dispositions visant à faciliter le déploiement de la fibre optique dans les territoires et à fiabiliser les engagements des opérateurs :
• facilitation de l’accès des opérateurs aux parties communes des immeubles pour déployer de la fibre et encadrement des délais dans lequel les copropriétés doivent délibérer sur la convention de raccordement
• simplification des modalités de mise en œuvre des servitudes pour permettre aux opérateurs de déployer plus facilement et plus rapidement des câbles optiques aériens ;
• fixation des sanctions pécuniaires auxquelles sont susceptibles d’être soumis les opérateurs en cas de non respects de leurs engagements de déploiement (1.500 € par local non raccordable pour un réseau filaire, 80.000 € par site non couvert pour un réseau radioélectrique).