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La lutte contre la fraude aux fonds européens "n'est toujours pas une priorité" d’après le rapport Joly

La fraude aux fonds européens est sous-estimée dans plusieurs pays européens et la Commission européenne "peine" à "mener à bien la lutte" contre ce phénomène, a conclu le rapport du sénateur français Patrice Joly (PS), rendu public le jeudi 25 juillet 2019. Avec 13,5 milliards d’euros de fonds européens reçus en  2017, la France en est le premier bénéficiaire. 

Première bénéficiaire des fonds européens avec 13,5 milliards d’euros reçus en 2017, la France a un "devoir d’exemplarité dans la gestion des fonds européens, et par conséquent, en matière de détection et de prévention de la fraude" d'autant plus grand, a estimé le sénateur français Patrice Joly (PS), rapporteur spécial des crédits de la participation de la France au budget de l’Union européenne et auteur d'un rapport publié 25 juillet 2019. En France, la lutte "constitue un exemple probant de l’articulation de la stratégie européenne avec des acteurs nationaux et régionaux", estime-t-il. La décentralisation de la gestion des fonds européens depuis 2014 s’est traduite par une évolution importante de l’architecture de la gestion de ces fonds. La même année, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite "Maptam" a transféré de l’État aux régions le statut d’autorité de gestion. Mais "face aux difficultés opérationnelles à régler, la lutte contre la fraude ne semble pas encore être considérée comme une priorité des autorités de gestion", a regretté le sénateur qui a présenté ses conclusions à la Commission des finances du Sénat le 17 juillet. 

Architecture de gestion des Fonds européens structurels et d'investissement (Fesi) en France

© Rapport Joly sur la lutte contre la fraude aux fonds européens

Des statistiques trompeuses 

"Si les scandales de détournement de fonds de la politique de cohésion sont régulièrement mis au jour, en particulier en Europe de l'Est, mais aussi en France, les statistiques relatives à la fraude continuent de la présenter comme un enjeu budgétaire marginal pour l'Union européenne", rappelle Patrice Joly. Ainsi, si l’on s’en tient aux chiffres, le préjudice financier au budget européen n’aurait été qu’à hauteur de 390 millions d’euros en 2017, soit 0,29 % des dépenses de l’Union.
Mais les statistiques "sont en réalité trompeuses", car "basées sur les signalements effectués par les États membres à la Commission européenne", souligne le sénateur. "Elles constituent davantage un baromètre de la lutte contre la fraude menée par les États membres, qu'une information exhaustive sur son ampleur", a-t-il souligné.

Des interprétations divergentes des irrégularités 

Patrice Joly, qui a conduit une quinzaine d'auditions et a effectué un déplacement à Bruxelles, constate "une grande disparité entre les États membres dans la capacité et la volonté de détecter la fraude", pointant tout particulièrement la France pour n'avoir signalé que cinq cas à Bruxelles depuis 2007. Ses différents interlocuteurs rencontrés, en France et à Bruxelles, ont fait état "d’interprétations divergentes par les États membres des irrégularités devant faire l’objet d’un signalement, en dépit des précisions apportées par les différents règlements européens".
Le rapport relève par ailleurs que le devoir de prévention, de détection et de correction des irrégularités repose principalement sur l’autorité de gestion. En 2018, la Cour des comptes européenne a procédé à un audit de la performance des mesures antifraude relatives aux dépenses de cohésion mise en œuvre par la France. Dans ses conclusions, transmises à Patrice Joly, elle relève "des lacunes en matière d’allocation des rôles de chaque entité – autorités de gestion et CICC – dans la chaîne de notification des soupçons de fraude". Ainsi, "à la complexité de l’architecture de la gestion des fonds européens s’ajoute celle de l’empilement des contrôles effectués", regrette le sénateur. 

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© CICC/ "A la complexité de l’architecture de la gestion des fonds européens s’ajoute celle de l’empilement des contrôles effectués", regrette le sénateur dans son rapport

"L’Olaf n'a pas réussi à s'imposer comme le chef d'orchestre"

Le sénateur regrette aussi le "manque de leadership" des services de la Commission européenne "pour mener à bien la lutte contre la fraude", et déplore que "l'Office européen antifraude (Olaf) n'ait pas réussi à s'imposer comme le chef d'orchestre d'une stratégie européenne". Malgré une autonomie budgétaire et administrative destinée à garantir son indépendance opérationnelle, l’Olaf constitue une direction de la Commission européenne, placée sous l’autorité du commissaire en charge du budget, peut-on lire dans le rapport qui souligne que “sans attributions judiciaires, l’Olaf mène des enquêtes administratives et adresse ultérieurement, si nécessaire, des recommandations judiciaires aux autorités judiciaires des États membres.
Fait notable, les informations sur lesquelles l’Olaf ouvre et conduit ses enquêtes proviennent des signalements des États membres, des institutions de l’Union européenne et des signalements anonymes de citoyens européens. Entre 2010 et 2017, l’Office a conduit près de 1.800 enquêtes et a recommandé le recouvrement de près de 6,6 milliards d’euros pour le budget de l’Union européenne (en incluant les fraudes aux dépenses et aux recettes).
Le sénateur estime toutefois que "la mise en oeuvre prochaine du parquet européen devrait permettre une amélioration certaine". La Commission européenne avait présenté dès 2013 un projet de règlement instituant le Parquet européen mais les négociations ont tardé en raison de l’opposition de plusieurs États membres. "La mise en oeuvre d’un parquet européen d’ici 2020 devrait permettre de franchir un nouveau cap", estime-t-il. En attendant une sécurisation du financement européen par le biais de contrôles plus stricts, le rapport formule des propositions pour "améliorer l'information disponible sur la fraude aux fonds européens (lire notre encadré ci-dessous). L’enjeu étant de renforcer la crédibilité de l’Union européenne et de préserver les fonds pour les bénéficiaires. 

Six recommandations du rapport

Le rapport formule des six propositions pour "améliorer l'information disponible sur la fraude aux fonds européens, renforcer les moyens liés à la prévention et à la détection de la fraude, et simplifier les contrôles pour alléger la charge administrative pesant sur le bénéficiaire".

Recommandation n° 1 : afin d’améliorer la qualité de l’information disponible en matière de fraude aux fonds européens, enrichir le contenu du rapport annuel de la Commission européenne sur la protection des intérêts financiers de l’Union européenne et la lutte contre la fraude par des données issues d’enquêtes sociologiques et des données transmises par les autorités de police et autorités judiciaires de chaque État membre. 
Recommandation n° 2 : afin d’améliorer le signalement des irrégularités pour la prochaine programmation 2021-2027, abaisser le seuil de signalement, actuellement fixé à 10 000 euros, en l’établissant, par exemple, à 5 000 euros. 
Recommandation n° 3 : étendre la pratique de l’audit unique par la Commission européenne et développer une approche proportionnée des contrôles afin de réduire la charge administrative supportée par le bénéficiaire final. 
Recommandation n° 4 : inciter à signaler tout type d’irrégularité, frauduleuse ou non, en améliorant l’information et la sensibilisation des autorités de gestion et en facilitant la remontée d’information à l’Olaf. 
Recommandation n° 5 : augmenter les moyens humains du service de coordination antifraude (Scaf) en France. 
Recommandation n° 6 : encourager les autorités de gestion à augmenter le nombre d’agents chargés de l’instruction des dossiers de demande de fonds européens.