La gratuité des transports publics fait son retour
Les partisans de la gratuité totale des transports publics retrouvent des couleurs. Après Bourges le 1er septembre dernier, Montpellier Méditerranée Métropole l’instaurera pour ses habitants à compter du 21 décembre prochain. Alors que le Covid l’avait mis sous l’éteignoir, les tensions sur le pouvoir d’achat des usagers, la transition climatique et la lutte contre la pollution, avec la mise en place des zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m), semblent la relancer.
Après avoir quelque peu disparu de la scène avec le Covid, qui a durement mis à mal les recettes du secteur (voir notre article du 29 septembre 2021), la gratuité totale des transports publics refait surface. À Bourges, depuis le 1erseptembre, dans les 20 communes d’AggloBus, toutes les lignes sont désormais gratuites sans conditions de domicile ou de lieu de travail, sept jours sur sept. "Si la gratuité des transports a démarré dans des villes de taille moyenne telles que Châteauroux ou Aubagne […], elle n’est pas réservée aux petites agglomérations", clame Montpellier Méditerranée Métropole, fière de devenir le 21 décembre prochain "la plus grande métropole européenne à l’instaurer pour tous les habitants [mais pas les visiteurs], tout le temps, et sur tout le territoire" – et la première métropole française.
Le pouvoir d’achat avant la planète
"L’expérience fera date", veut croire son président, Michaël Delafosse, qui vient de communiquer tous azimuts "à 100 jours de cette date historique", déjà connue (voir notre article du 3 février). "Ce dispositif concilie la protection de l’environnement et la défense du pouvoir d’achat", met en avant la métropole. Une étude réalisée par PwC au premier semestre à sa demande, auprès de certains de ses habitants, montre que la seconde préoccupation l’emporte largement. "L’impact positif de la gratuité sur le pouvoir d’achat ressort spontanément. Celui sur l’écologie ressort également, mais de façon plus modérée", est-il observé. Ce ne sont toutefois pas les seuls bénéfices que la métropole met en avant. Elle y voit également un moyen de soutenir le commerce de proximité – singulièrement celui du centre-ville de Montpellier, "en crise face à la concurrence des zones commerciales périphériques facilement accessible en voiture" – et de "mieux redistribuer l’impôt des Montpellierains". "Les visiteurs payent leurs transports en commun une seule fois à travers l’achat du billet, alors que les habitants les financent trois fois : une première fois à travers les tickets ou l’abonnement, une deuxième fois à travers leurs impôts locaux et une troisième fois à travers le versement mobilité, payé par les entreprises où ils travaillent", explique la métropole. Autre argument invoqué, la lutte contre la congestion de la métropole et la pollution de l’air. La mise en place des zones à faibles émissions-mobilité (ZFE-m), qui vise précisément à réduire cette dernière, pourrait encore alimenter la chaudière de la gratuité, le bannissement des véhicules les plus polluants, souvent détenus par les moins fortunés, faisant craindre une nouvelle révolte populaire. Pour preuve, c’est dans le cadre de la mise en place de sa ZFE-m que la métropole Aix-Marseille-Provence a décidé d’offrir depuis le 1er janvier dernier les six premiers mois de l’abonnement de son "pass intégral".
La gratuité ne suffit pas
Reste que "la gratuité, seule, ne suffit pas", explique l’Ademe, commentant lors d’une conférence de presse ce 12 septembre une récente étude publiée par l’observatoire des villes du transport gratuit (créé à l’initiative de la communauté urbaine de Dunkerque) sur "l’évolution du rapport des Dunkerquois à la mobilité automobile depuis la mise en œuvre de la gratuité des transports en 2018". Sa lecture, et singulièrement celle des nombreux verbatims recueillis, montre que si la gratuité a sans doute contribué au fait que des automobilistes de la communauté urbaine "sont désormais aussi des utilisateurs réguliers des transports en commun", il n’est pas certain qu’elle ait été "l’un des arguments majeurs de ce changement", comme elle l’affirme. D’une part, l’étude souligne que "la gratuité s’est accompagnée d’un choc d’offre important", avec la création de nouvelles lignes, notamment "chrono" et de parkings relais, le renforcement des fréquences, l’extension des horaires, le renouvellement des véhicules… D’autre part, l’on s’est efforcé de favoriser les transports en commun (voies réservées, priorité aux feux…) ou les modes doux au détriment de la voiture (suppression de stationnement, piétonnisation…). L’étude pointe ainsi le fait que "les nouvelles performances du réseau ont pu constituer un choc psychologique pour les automobilistes". Entre autres facteurs, s’ajoutent encore la hausse du prix des carburants – qui semble avoir eu au moins autant d’effet, si ce n’est plus, que la gratuité des transports publics, ou la simplicité d’utilisation que cette dernière induit : "Le bus arrive, je monte !" (à Montpellier, il faudra toutefois présenter son pass gratuité).
La qualité des transports en commun : une "exigence"
L’étude met également en relief le fait que la voiture reste souvent indispensable, pour des raisons de lieu ou de temps (territoires non desservis, horaires décalés) ou d’usage (la "voiture caddie" ou la "voiture poussette"). "Si le bus ne vous conduit pas à votre destination, ou si vous mettez trois fois plus de temps qu’avec votre voiture, il aura beau être gratuit, vous ne le prendrez pas", résume un expert. Montpellier Méditerranée Métropole ne semble pas l’ignorer, puisque érigeant la qualité des transports en commun en "exigence qui va de pair avec la gratuité". Elle met ainsi en avant ses nombreux investissements pour améliorer l’offre existante (rénovation de rails, nouvelles rames…) et l’augmenter (création et extension de lignes…), ou encore pour sécuriser les usagers, avec la création d’une police métropolitaine des transports dès septembre 2023 (42 agents supplémentaires). Même logique à Bourges, où "plusieurs améliorations accompagnent la mise en place de la gratuité sur le réseau : modifications de certaines lignes, horaires élargis en soirée pour les lignes les plus importantes…" "La gratuité peut être une opération marketing pour mettre en valeur l’amélioration préalable du réseau. C’est ce qu’avait proposé la ville d’Amiens, en mettant en place la gratuité de ses transports pendant 5 semaines pour mettre en valeur les modifications opérées, dont la mise en place de bus à haut niveau de service", enseigne un expert de l’Ademe.
Une démarche financièrement soutenable ?
"Brigitte Fouré, maire d’Amiens, et Alain Gest, président d’Amiens Métropole, ont décidé de lancer une gratuité du réseau de bus du 11 mai au 16 juin 2019 afin de le faire connaître au plus grand nombre, puis d’instaurer cette gratuité tous les samedis", indiquait le communiqué de presse de l’époque, en date du 7 mai 2019. La collectivité avait même envisagé d’étendre cette gratuité au mercredi, avant d’y renoncer. Pis, elle a même été contrainte de revoir à la hausse les tarifs. Notamment en cause, l’inflation et la transition énergétique de la flotte. "Malgré la hausse de la fréquentation dans les bus (+55% depuis 2019), les recettes commerciales ne permettent pas l’autofinancement nécessaire pour assurer le fonctionnement et les investissements prévus", peut-on lire dans le journal de l’agglomération d’octobre dernier.
À Montpellier, on réfute l’idée selon laquelle "la gratuité réduit les investissements nécessaires au développement du réseau", mettant en avant le fait que "près d’1 milliard d’euros en 5 ans sont consacrés aux mobilités douces et alternatives à la voiture". Autre "idée fausse" contestée par la métropole, le fait que "les transports en commun sont déjà saturés". "En développant la marchabilité de la ville et les pistes cyclables, certains vont quitter les transports en commun pour adopter ces modes de transport", veut-elle croire. Elle met également en relief l’achat de matériel roulant pour renforcer l’offre. Dans tous les cas, si Martingale il y a, nul doute qu’elle ne manquera pas d’intéresser Île-de-France mobilités, priée il y a peu par l’Inspection générale des finances d’augmenter ses tarifs - pourtant jugés trop élevés (voir notre article du 9 mai) - et de stopper ses investissements (voir notre article du 21 juin 2023). Et plus largement la plupart des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), confrontées à un "mur" de dépenses de quelque 100 milliards d’euros d’ici 2030 (voir notre article du 5 juillet).
Comme chaque année désormais, se tiendront du 16 au 22 septembre d’une part la "Rentrée du transport public", et d’autre part la "Semaine européenne de la mobilité". La première, organisée par le GIE Objectif transport public pour le Groupement des autorités responsables de transport (Gart) et l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), entend "sensibiliser les Français à la mobilité durable en les incitant à prendre les transports publics près de chez eux". "Le transport public, premier réseau social de France", affirme le slogan de cette 17e édition, qui entend ainsi "mettre en valeur les femmes et les hommes du transport public, les agents autant que les voyageurs" et "rappeler que ce collectif engagé fait avancer la société". Chaque jour, plus de 103.000 professionnels prennent en charge plus de 10 millions de voyages, soulignent les organisateurs. Au cours de l’événement, autorités organisatrices de la mobilité et opérateurs proposeront diverses offres promotionnelles et/ou actions de sensibilisation. Non sans succès puisque le GIE indique qu’à la suite de la dernière édition, 80% des réseaux estimaient que l’opération avait contribué à fidéliser les clients et/ou en attirer de nouveaux. Un site est dédié à l’événement – rentreedutransportpublic.fr –, qui sera également relayé sur les réseaux sociaux (#RentreeTP @RentreeTP). La seconde a un objectif proche, puisqu’elle vise à inciter les citoyens et les collectivités à privilégier les modes de déplacements durables. Divers événements sont prévus dans de nombreux pays de l’Union, et même au-delà, que les organisateurs sont notamment invités à relayer sur les réseaux sociaux (#MobilityWeek #SEM2023 @mobilityweek). Ils sont recensés sur le site mobilityweek.eu. |