Transports publics : un abonnement unique et pas cher, "banco" ou pas ?
Un "passe rail" pour prendre tous les trains régionaux à un prix modique ? Portée depuis plusieurs mois par le ministre délégué aux Transports, Clément Beaune, l'idée a été relancée ce 4 septembre par Emmanuel Macron. Mais les régions restent très sceptiques. Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, et cinq autres dirigeants de grandes collectivités ont par ailleurs co-signé ce 5 septembre une tribune dans Le Monde rappelant au gouvernement que "financer les transports en commun est une urgence écologique et sociale".
Le "Deutschlandticket" est dans toutes les têtes : un abonnement qui permet en Allemagne, depuis le 1er mai, de voyager sur tous les réseaux urbains (métro, bus, tramways) et dans les trains régionaux du pays pour 49 euros par mois. La mesure, financée à parité par l'État fédéral et les Länder, doit coûter trois milliards d'euros par an jusqu'en 2025.
"J'ai demandé au ministre des Transports de lancer avec toutes les régions qui sont prêtes à le faire le même dispositif", a déclaré Emmanuel Macron, interrogé ce 4 septembre par le youtubeur Hugo Travers (voir notre article de ce jour). "Toutes les régions qui sont prêtes à le faire avec l'État, banco", a-t-il ajouté, rappelant qu'elles avaient en France la main sur la tarification de leurs TER. "Banco !" a réagi Clément Beaune sur X (ex-Twitter). "Pour l'écologie et le pouvoir d'achat, créons ce passe #train en France, l'État et les régions ensemble."
Le ministre délégué aux Transports évoque depuis plusieurs mois "un passe à la française, qui soit simple, attractif, pas cher", qu'il voudrait lancer avant l'été 2024. Première source de confusion : Clément Beaune l'envisageait "pour les jeunes", mais le président de la République n'a pas fait cette distinction lundi.
On évoque mardi dans l'entourage du ministre "un 'passe rail' qui va permettre de proposer une offre de transport propre (avec) les TER, les Intercités, les bus, les métros, les trams..." Un porte-parole évoque "un cycle de discussion avec les régions (...) qui va se formaliser à la fin du mois". L'idée est selon lui d'intégrer "dans un premier temps" les TER, qui dépendent des régions, et les Intercités, qui dépendent de l'État. Les transports urbains, financés par les agglomérations, attendront.
Interrogations sur le financement
"Un train d'avance ou un train de retard ?" a ironisé sur X (ex-Twitter) la présidente de la région Occitanie, Carole Delga (PS). "En @Occitanie, si tu prends le TER régulièrement et que tu as -26 ans, ce n'est pas 49EUR... c'est déjà ZÉRO EURO depuis deux ans. Peu importe où tu vas."
"Le président de la République a souvent de très bonnes idées, mais il faut surtout qu'il arrête d'avoir des idées avec le pognon des collectivités locales", a réagi sur Franceinfo Franck Dhersin, vice-président des Hauts-de-France chargé des transports. "Je dis au président de la République banco ! Mais c'est votre idée et vous la financez", a-t-il ajouté, notant que sa région dépense déjà 530 millions d'euros par an pour faire rouler ses TER, subventionnés à 75%. Le passe annuel ferait baisser les recettes et obligerait les régions à acheter davantage de trains pour répondre à une inévitable hausse de la fréquentation, selon lui.
Au-delà de ce passe aux contours encore bien flous, Clément Beaune voudrait que les régions harmonisent les prix des transports locaux. "Parfois, dans un sens ou dans l'autre d'un TER, on n'a pas la même tarification, ce n'est pas tout à fait compréhensible pour les usagers", avait-il remarqué en mai.
De fait, la liberté tarifaire accordée aux régions leur a donné beaucoup d'imagination, avec leurs propres barèmes, leurs propres promotions, leurs propres cartes de réduction... Celles-ci s'ajoutent aux cartes nationales de la SNCF, lesquelles sont acceptées, ou pas, dans les TER, selon les endroits et les périodes.
Quels que soient leurs tarifs, Clément Beaune veut d'ici 2025 qu'un "billet unique" permette de se déplacer d'un réseau à l'autre partout en France. Il parle là du support, citant l'exemple des Pays-Bas où l'on peut passer du train au tram avec la même carte, sur laquelle on charge des crédits avant le voyage. "Je pense que le support (unique) peut entraîner des simplifications de tarifs et inciter les autorités organisatrices à proposer des tarifs communs", a-t-il déclaré.
Enfin, illustrant la complexité du sujet, des passes ont déjà permis aux 12-25 ans de se déplacer en TER partout en France pour 29 euros par mois pendant les étés 2020 et 2021. Mais l'opération n'a pas été renouvelée, les régions préférant lancer des promotions locales.
"Financer les transports en commun est une urgence écologique et sociale" : tel est le titre de la tribune publiée ce 5 septembre dans Le Monde et co-signée par Valérie Pécresse, présidente (LR) de la région Île-de-France et d'Île-de-France Mobilités, et cinq autres dirigeants de grandes collectivités - Bruno Bernard, président (EELV) de la métropole de Lyon et de Sytral Mobilités, Christian Estrosi, maire (Horizons) de Nice, Jean-Luc Moudenc, président (ex-LR) de la métropole de Toulouse, Johanna Rolland, présidente (PS) de la métropole de Nantes, et Martine Vassal, présidente (LR) de Aix-Marseille-Provence métropole. "À l’heure de l’urgence climatique et de la réduction de nos dépendances à la voiture individuelle, les transports en commun sont une solution évidente, clament-ils. Qu’ils soient urbains, périurbains ou ruraux, ces services publics de première nécessité peuvent et doivent devenir l’emblème d’une transition écologique massifiée et planifiée. Las, de larges pans du territoire en sont toujours privés. Au sein même des grandes agglomérations, les inégalités de desserte sont criantes, les attentes considérables. Or, pour y répondre les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) que nous présidons sont loin de disposer des ressources nécessaires (…)." "Face à la situation, nous avons pourtant choisi d’activer toutes les marges de manœuvre dont nous disposions", affirment-ils. "Pour aller plus loin et répondre aux besoins d’investissement, il convient désormais d’explorer de nouvelles pistes de financement." Ils évoquent ainsi celle du "déplafonnement et de la modulation du versement mobilité". "Elle se justifie d’autant plus que, peu à peu, certaines communes ou quartiers de nos agglomérations bénéficient d’un maillage en lignes fortes (métro, tramway, bus à haut niveau de service) comparable aux standards parisiens, justifient-ils. La desserte de Paris et de l’Île-de-France a d’ailleurs elle-même nettement progressé ces dernières années. Il reviendrait ainsi aux AOM, en concertation avec les employeurs assujettis au versement mobilité, de définir les territoires où un taux supérieur aux plafonds actuels se justifie, et ceux vers lesquels les ressources dégagées doivent être affectées en priorité pour renforcer la desserte et le maillage en transports collectifs." Se disant "conscients des réticences que peut susciter l’idée d’un prélèvement supplémentaire sur les entreprises", ils estiment que des compromis sont possibles localement, car les employeurs sont parfaitement conscients des gains d’attractivité et de compétitivité qu’apporte une bonne connexion aux transports en commun (…)". D’autres pistes de financement existent. "Elles supposent une réflexion de fond sur l’évolution du modèle de financement des transports collectifs, soulignent les signataires de la tribune. Le Gart appelle, à juste titre, à ce que le futur modèle intègre une contribution directe de la fiscalité sur les mobilités carbonées au titre de la lutte contre le réchauffement climatique. Nous souhaitons que cette transformation s’amorce au plus vite, mais, à court terme, le seul levier pertinent qui puisse être activé est celui du versement mobilité." "Face au défi de la transition écologique des mobilités et de l’équité territoriale, vous pouvez compter sur notre détermination et notre engagement à travers des projets concrets, lancent les élus à l'adresse du gouvernement. En partageant ce volontarisme et en soutenant plus fortement les AOM dans les prochaines années, l’État peut se mettre en position d’amorcer un cercle vertueux d’investissements, tangibles et profitables à un très grand nombre de nos concitoyens", concluent-ils. |