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La directive Travel va-t-elle tuer les jolies colonies de vacances ?

La directive européenne Travel entrera en vigueur le 1er juillet. Visant initialement à protéger les touristes européens contre les défaillances d'organisateurs de voyages et de séjours touristiques, sa mise en oeuvre présente des effets collatéraux sur les accueils collectifs de mineurs (ACM) à caractère éducatif.

Adoptée le 25 novembre 2015, la directive Travel - ou plus précisément la directive 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées - entrera en vigueur le 1er juillet prochain. Alors que le ministère de l'Education nationale lance une nouvelle campagne nationale de promotion des colonies de vacances (voir encadré ci-dessous), cette perspective inquiète les organisateurs de camps et colonies de vacances et, plus largement, de tous les accueils collectifs de mineurs (ACM) à caractère éducatif, ainsi que ceux gérant des villages de vacances ou des maisons familiales agréées. Faute de dérogation, ces organisateurs (associations, communes, comités d'entreprise, mouvements de scoutisme...) pourraient en effet se trouver soumis aux mêmes obligations que les sociétés privées organisatrices de séjours touristiques.

Une directive qui ne change pas grand-chose en France, sauf pour les ACM

La directive Travel entend protéger les touristes européens contre d'éventuels abus ou défaillances d'organisateurs de voyages et de séjours touristiques, notamment en matière d'informations précontractuelles et contractuelles. En France, qui était déjà l'un des rares pays (avec le Portugal et le Danemark) à pratiquer, depuis 1992, la responsabilité de plein droit des organisateurs, la mise en œuvre de la directive ne devrait pas changer grand-chose. Les opérateurs français en attendent même un bénéfice en termes d'égalité de traitement avec leurs concurrents étrangers.
Mais il n'en va pas de même pour les ACM. Jusqu'à présent en effet, les organisateurs d'ACM sans but lucratif bénéficiaient, pour les séjours organisés sur le territoire français, d'une dérogation à l'obligation de s'immatriculer et à celle de justifier d'une garantie financière. Mais les textes transposant la directive européenne en droit interne - l'ordonnance 2017-1717 du 20 décembre 2017 et le décret 2017-1871 du 29 décembre 2017 - ont supprimé ces dérogations. A compter du 1er juillet prochain, les organisateurs d'ACM seront donc dans l'obligation de se soumettre à une immatriculation "tourisme" (auprès d'Atout France) et de justifier d'une garantie financière affectée au remboursement des fonds versés par le client et couvrant les frais de rapatriement si nécessaire.
L'ordonnance prévoit seulement une dérogation limitée aux personnes qui ne proposent des forfaits, des services de voyage ou ne facilitent la conclusion de prestations de voyage liées "qu'à titre occasionnel, dans un but non lucratif et pour un groupe limité de voyageurs uniquement".

Pas d'échappatoire ?

Dans une question écrite du 15 mars 2018, Denise Saint-Pé, sénatrice (Union Centriste) des Pyrénées-Atlantiques attirait l'attention sur cette situation. Elle faisait notamment valoir l'inutilité de l'extension de la directive aux organisateurs d'ACM, dans la mesure où "l'Etat apporte d'ores et déjà, dans le cadre de la réglementation ACM, une protection aux familles et une garantie de la qualité des activités et prestations proposées". Outre le contrôle de l'Etat sur ces organismes, l'article L.227-11 du Code de l'action sociale et des familles prévoit déjà, dans l'hypothèse d'un rapatriement de mineurs en cas de difficultés lors d'un séjour, que le préfet de département "prend, avec la personne responsable de l'accueil, les mesures nécessaires en vue de pourvoir au retour des mineurs dans leur famille".
Dans sa réponse, le ministre de l'Economie et des Finances rejette toute responsabilité dans cette situation et renvoie la balle au "texte de la directive et l'interprétation de la Commission européenne [qui] ne permettaient pas, lors du processus de transposition, de ménager une dérogation plus large". Ainsi, selon son article 2.2.b, "la présente directive ne s'applique pas [...] aux forfaits proposés et aux prestations de voyage liées facilitées, à titre occasionnel et dans un but non lucratif et à un groupe limité de voyageurs". D'après la réponse ministérielle, l'impossibilité de maintenir l'ancienne dérogation "a été confirmée par la Commission européenne lors des ateliers de transposition" organisés à Bruxelles.

Des solutions pour limiter le coût de la mesure

Il reste néanmoins une petite ouverture, mais qui pourrait se révéler source de contentieux. En effet, le ministre de l'Economie estime que, "selon l'interprétation de la Commission", "il appartient [...] aux organismes d'apprécier au cas par cas, en fonction de l'activité envisagée, leur situation au regard des nouveaux critères de dérogation".
Le ministre veut aussi rassurer les organisateurs d'ACM qui choisiraient de jouer le jeu de la directive. Il utilise pour cela différents arguments. Tout d'abord, plusieurs organismes accueillant des mineurs se sont d'ores et déjà immatriculés : Eclaireuses et éclaireurs de France, Fédération française d'éducation physique et gymnastique volontaire, Ligue de l'enseignement... Ensuite, "il existe des solutions pour que le coût de l'immatriculation et de la garantie financière ne soient pas prohibitifs". Si le coût de l'immatriculation est effectivement modeste (100 euros pour trois ans), il faudra néanmoins se tourner vers les banques ou les compagnies d'assurance pour la garantie financière, ou vers les deux garants associatifs spécifiques au secteur du tourisme : l'Union nationale des associations de tourisme et de plein air (Unat) et l'Association professionnelle de solidarité du tourisme (APST). Enfin, "les associations et organismes sans but lucratif gardent une possibilité intéressante, celle de s'abriter derrière la garantie d'une fédération ou union immatriculée", une solution qui ne convient pas forcément à des associations soucieuses de leur indépendance...
Dernière piste avant les vacances : sollicité par les associations, le cabinet du Premier indique travailler à des solutions juridiques permettant de sortir de l'impasse.

Références : Directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) n°2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil ; ordonnance n°2017-1717 du 20 décembre 2017 portant transposition de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées (Journal officiel du 21 décembre 2017) ; décret n°2017-1871 du 29 décembre 2017 pris pour l'application de l'ordonnance n°2017-1717 du 20 décembre 2017 portant transposition de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées (Journal officiel du 31 décembre 2017).

 

Une nouvelle campagne de promotion des colonies de vacances
Le 8 mai, le ministère de l'Education nationale a lancé, pour la quatrième année consécutive, une campagne de promotion des colonies de vacances. Elle s'appuie sur un jeu concours intitulé #ànouslacolo et s'adressant aux jeunes de 13 à 17 ans. Les objectifs sont de donner envie aux adolescents "de vivre cette expérience des colonies de vacances", mais aussi de "rassurer les parents sur le fait que les services de l’Etat sont mobilisés pour assurer le bon déroulement des colonies, veillant au respect des normes sanitaires et de sécurité ainsi qu’à la protection des mineurs".
Le jeu consiste, pour gagner l'un des dix séjours #Youtubers !, à poster sur les réseaux sociaux la photo de leur objet fétiche, "celui sans lequel ils ne partiraient pas en colonies de vacances", en mentionnant simplement le hashtag de l’opération #ànouslacolo.
Le dossier qui accompagne le lancement de cette campagne rappelle au passage l'importance du rôle social et éducatif des colonies de vacances. Développant "l'offre de loisirs à l'attention de ceux qui ne partent pas en vacances", elles ont accueilli l'an dernier 1,2 million d'enfants dans 39.000 séjours. Un message subliminal pour appeler à préserver une dimension importante du tourisme social.

 

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