Education / Tourisme - Des colonies innovantes pour "attirer le chaland"
"Je suis convaincue que les colonies ne sont pas qu'une aide au départ, l'ambition c'est d'être un levier d'émancipation (…). Je suis très attachée aux colonies, mais les défendre, ce n'est pas s'enfermer dans un conservatisme sépia. Je partage la volonté de construire un nouveau modèle qui vise à créer les bases des colonies de demain." Ce qu'elle nomme les "colonies innovantes", la ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports en est persuadée, sauveront le système en place qui visiblement... n'a plus sa place. La question de l'avenir des colonies de vacances a été débattue au Sénat, à l'initiative du groupe communiste, ce mardi 10 juin, presque un an après la remise du rapport d'information sur la désaffection des Français pour ce dispositif qui connaît depuis 20 ans une chute de fréquentation de moitié : 28 millions de nuitées de colonies de vacances en 1995, 14 millions aujourd'hui... Il aura d'ailleurs été souvent question du rapport de Michel Ménard (voir notre article ci-contre) ce mardi dans l'hémicycle. Un air de "déjà lu, déjà entendu, déjà dit" dans les remarques des différents sénateurs qui ont à tour de rôle apporté une touche d'histoire, de déception mais aussi d'espoir pour l'avenir des colonies, que personne ne semble vouloir voir disparaître.
"On n'use plus ses souliers sur des kilomètres"
Beaucoup de chiffres et de pourcentages cités pendant ces 2 heures dont on retiendra que 3 millions d'enfants ne partent jamais en vacances. Les raisons, reprises à droite comme à gauche si l'on peut dire, sont connues de tous : baisse des aides de l'Etat, des Caisses d'allocations familiales, des comités d'entreprise, une hausse des activités proposées pour correspondre au mieux aux nouveaux désirs "mercantiles" des parents comme des enfants. "Il est fini le temps où l'on usait ses souliers sur des kilomètres", rappelle, fataliste, le sénateur RDSE des Hautes-Pyrénées François Fortassin. Aujourd'hui comme il le résume : "Il faut attirer le chaland !" Les collectivités semblent être bien souvent à court d'aides et d'idées pour pallier les frais que nécessitent l'entretien, la mise aux normes des centres de colonies (même La Poste a vendu tous ses centres, a rappelé le sénateur)... sans compter les frais de personnel en constante augmentation due, entre autres, aux nouvelles normes concernant le repos des moniteurs (11 heures de repos consécutives, difficile à tenir lors des séjours, où la surveillance est aussi de mise la nuit, rappelle Alain Dufaut, sénateur du Vaucluse, UMP, qui "s'associe à l'idée" de repenser ce statut). Toutes ces charges sont répercutées sur le prix des séjours, engendrant des vacances à deux vitesses : soit, comme le rappelle François Fortassin, un système associatif très demandé en milieu péri-urbain (journée à la mer) qui profite aux enfants très défavorisés, soit une offre réservée aux enfants favorisés ; une scission qu'il voit comme "une véritable brèche du pacte républicain". Quid des enfants des classes moyennes ? Ils sont tout simplement exclus du système, comme l'affirmait déjà le rapport l'année dernière.
Le secteur est de plus en plus dominé par les professionnels, c'est un constat unanime. La concurrence est sévère, même au sein des structures "classiques". Comme l'a rappelé, entre autres, la sénatrice socialiste du Nord Delphine Bataille, entre une journée de scoutisme à 10 euros/jour, une journée de centre à 35 euros/jour et une journée de colos à 63 euros/jour, les comptes pour les familles sont vite faits. Suppression des bons de vacances et gel des seuils sociaux pendant 3 ans terminent de ternir le tableau pour Isabelle Pasquet (groupe communiste, Bouches-du-Rhône) qui y voit "une mesure dramatique pour le pouvoir d'achat des Français et donc des vacances". Souvent sollicitée au cours des temps de paroles des uns et des autres, la ministre a fait apparaître sa carte magique destinée à offrir un avenir au dispositif moribond, qui au passage devrait peut-être changer de nom selon la sénatrice écologique Corinne Bouchoux, car "colonies, ça ne fait plus rêver".
Les colos innovantes, qu'est-ce que c'est ?
Ces nouvelles colonies sont construites autour de trois enjeux, a annoncé la ministre.
Le premier : la reconquête de la confiance des parents. Souvent soulevée dans le débat, la question sécuritaire est devenue un frein au même titre que l'aspect financier pour certains parents. "Il est donc primordial que la colonie commence avant, entre parents et organisateurs, créant un lien qui sera maintenu pendant et après le séjour", préconise Najat Vallaud-Belkacem.
Le second enjeu est d'affirmer explicitement les spécificités des colonies : mettre en avant un projet pédagogique et des valeurs républicaines de mixité sociale, de laïcité, d'égalité, permettre l'accès de tous, notamment des handicapés... Un enjeu "essentiel" selon la ministre pour qui les lieux de rencontres et de mixité sont trop peu nombreux, surtout dans le climat actuel de "repli sur soi-même", a-t-elle avancé.
Le troisième et dernier enjeu porte sur la construction d'un modèle qui échappe à la "course aux armements" de la concurrence, selon les mots de la ministre. "Nous devons pouvoir revenir à des constructions plus rustiques, des hébergements légers plutôt que du dur, revenir dans les villages, les forêts..."
Des défis à prendre en main pour la ministre, qui souhaite proposer une "charte des colonies innovantes". "Il faudra faire connaître cette offre autour de campagnes publicitaires ; auprès des CAF, des comités d'entreprise...", préconise-t-elle. "Je souhaite engager des chantiers structurels, simplifier l'organisation des séjours", a-t-elle annoncé, soulignant le travail engagé par la SNCF pour développer "son offre en direction des groupes qui passera cet été de 1 million à 2,5 millions de places". "On va passer au crible les contraintes législatives, on a des marges de progression. Je vais mobiliser les moyens du fonds d'expérimentation de la jeunesse, il faut réorienter les moyens. La CAF a d'ailleurs déjà engagé le rééquilibrage des moyens financiers en direction des séjours de mineurs", a affirmé la ministre. Une mesure qui va dans le sens de ce que préconisait Michel Ménard dans son rapport, en prônant le rééquilibrage des aides des CAF en faveur des colonies. "Actuellement près d'un milliard d'euros, est fléché vers les accueils de loisirs", regrettait-il.
En revanche, Najat Vallaud-Belkacem ne s'est pas exprimée sur l'idée d'une taxe sur l'hôtellerie de luxe, une des 21 propositions du rapport, mesure jugée démagogique par le sénateur Joël Guerniau (UDI UC) qui a davantage insisté sur le rôle des chèques-vacances à promouvoir, mesure également préconisée dans le rapport, favorable à l'élargissant du dispositif aux salariés des petites entreprises.
L'animateur, ce personnage au statut à déterminer...
"Nous offrirons des séjours labellisés, et nous irons à la rencontre des comités d'entreprise pour les encourager à concentrer leurs achats en direction de ces séjours", s'est également engagée la ministre.
Concernant le statut des animateurs, il faut selon elle "offrir un cadre leur permettant de s'engager dans les projets éducatifs portés par les colonies de vacances tout en bénéficiant d'un statut protecteur". Une question a double-tranchant, un peu éludée malgré toute son importance. Pour mémoire, Michel Ménard se disait dans son rapport "favorable à la définition d'un statut de volontaire qui se distingue nettement de celui du salarié et garantisse une formation tout au long de la vie", dénonçant la décision du Conseil d'Etat du 10 octobre 2011 sur le principe du repos journalier du moniteur. Il est donc ici question du statut d'animateur bénévole : quelqu'un de professionnel, qui garantisse la qualité et la sécurité du service, du séjour, mais qui pourrait ne pas être payé comme un professionnel... Animateur volontaire, animateur bénévole ? Les mots sont à peine lâchés. La ministre ne s'est pas étendue sur le sujet, certainement faute de temps...
Mais elle a assuré que cet été, elle prendrait toute sa part à l'accompagnement de cette transformation qui garantit l'effectivité du droit aux vacances pour tous les enfants. Elle en fait un enjeu de justice sociale (on y conquiert son autonomie) et économique (pour garantir des retombées touristiques dans le futur). Car Najat Vallaud-Belkacem en est persuadée, "un enfant qui ne part pas en vacances est un adulte qui ne partira pas".