Habitat / Fonction publique - La crise du logement touche les fonctionnaires... et les services publics
La crise du logement touche tout le monde, même les fonctionnaires. Alain Dorison, ancien inspecteur général des finances aujourd'hui retraité, et Chantal Chambellan Le Levier, administratrice civile hors classe, le montrent très bien dans un rapport intitulé "Faciliter l'accès au logement des agents publics", remis le 14 juin à Annick Girardin, ministre de la Fonction publique, en présence d'Emmanuelle Cosse, ministre du Logement et de l'Habitat durable. La mission concernait plus précisément l'accès au logement des 3,6 millions agents des trois fonctions publiques (*), prioritairement - mais non exclusivement - de catégorie B et C, dans les zones de fortes tensions sur le marché du logement, tant en location qu'en accession. La mission devait proposer des solutions de logement reposant principalement sur des investissements privés.
Le rapport part du constat de difficultés concrètes rencontrées par les agents, arrivant en zones tendues, soit lors de leur première affectation, soit lors d'une mutation, réalisée ou non à la demande de leur administration, à trouver et louer un logement décent. Certains d'entre eux, notamment de catégorie B et C (titulaires et contractuels à durée indéterminée assimilés) ont des difficultés à trouver un logement abordable, adapté à leurs besoins familiaux, à moins d'une heure de leur domicile, alors même que cette population est solvable. La mission a même eu vent d'agents dormant dans leur véhicule !
182.000 agents travaillant à Paris et en petite couronne résident en grande couronne
Selon l'Insee, environ 182.000 agents publics travaillent à Paris et en petite couronne et résident en grande couronne, tandis qu'environ 20.000 d'entre eux résident hors de l'Ile-de-France. Et encore, "ce chiffre n'appréhende pas toutes les situations et notamment l'éloignement domicile-travail au sein de la grande couronne", précise le rapport. Outre l'Ile-de-France, les rapporteurs ont noté des difficultés dans le territoire franco-genevois, dans les Alpes-Maritimes et dans plusieurs grandes métropoles régionales.
La cause est connue et concernent tous les actifs de classes moyenne et populaire : "Depuis plusieurs années, ni les rémunérations principales des agents publics les plus modestes, ni l'indemnité de résidence, initialement créée à cette fin, ne sont en mesure d'accompagner la progression des dépenses de logement des agents les plus modestes dans les zones les plus tendues."
Et cela ne va pas s'arranger avec les réorganisations de l'Etat et des hôpitaux, "qui conduisent à la relocalisation des équipes tant à Paris, en petite couronne, ou dans de grandes métropoles régionales, dans des zones où le logement est souvent très tendu", note le rapport.
Péril dans la continuité de service public
Or "les durées de transports excessives nuisent à la fois à la qualité de service et à la qualité globale de la vie au travail", insistent Alain Dorison et Chantal Chambellan Le Levier, ainsi que sur "la capacité des administrations à rester attractives et à fidéliser leur personnel". Et c'est d'autant important pour les "keys workers", c'est-à-dire ceux qui exercent une activité essentielle au fonctionnement d'un service public ou d'un territoire : infirmières, aides-soignantes, gardiens de la paix, enseignants du second degré, agents de la propreté...
Les préfets de l'Ain et de la Haute-Savoie ont repéré que les difficultés d'accès au logement dans le franco-genevois "dégradent de manière aggravée le service public, au point de mettre en péril sa continuité dans l'enseignement, la police, le réseau du Trésor public et la santé".
La première des préconisations du rapport est d'ailleurs d'améliorer la connaissances des besoins en faisant effectuer par l'Insee un suivi régulier du logement des agents publics, et de la durée de leurs trajets domicile-travail et de publier ce suivi dans le Rapport annuel sur l'état de la fonction publique, établi par la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP).
Du logement intermédiaire ciblé pour les agents publics
Les quatre préconisations suivantes visent à améliorer l'efficacité des politiques de réservation. Quatre autres entendent "promouvoir un investissement responsable dans le logement en faveur des agents publics", en créant un fonds dédié prioritairement au logement des agents publics, en lançant des appels à projet dans le logement intermédiaire avec des opérations ciblées en faveur de logements de type T1 pour les agents publics primo-arrivants ou mutés en zone tendue.
Sans surprise, plusieurs préconisations visent à "relâcher du foncier". On y retrouve l'idée de recenser les biens publics pouvant faire l'objet d'opérations de constructions de logements, ou encore celle de "labelliser des projets en démembrement de propriété au bénéfice du logement social en zone très tendue".
Une proposition porte sur l'évaluation des besoins de caution locative des agents primo-arrivants en zone tendue, "de manière à mettre en place un mécanisme de caution adapté aux besoins". Quatre préconisations tracent les contours d'un "système de présentation-réservation robuste". Et la dernière propose d'encourager l'épargne salariale des agents publics.
"Ce rapport va nous aider à dynamiser la construction de logements au bénéfice des fonctionnaires, dans une perspective de mixité sociale", a commenté Annick Girardin.
Valérie Liquet
(*) 1,7 million d'agents dans la fonction publique territoriale, 1,1 million d'agents de la fonction publique d'Etat, 0,8 million d'agents dans la fonction publique hospitalière. Source : Insee, 2013.
81% des agents sont éligibles au parc social, 12% y logent effectivement
Les 5,73 millions de foyers, dont un membre au moins est agent d'une fonction publique, se répartissent entre 1,83 million de foyers propriétaires de leur logement (31,9%, contre 39,9% pour l'ensemble des ménages français), 1,72 million de propriétaires accédant (30%, contre 18,4%), pour lesquels un prêt immobilier finançant le logement est en cours de remboursement, 0,68 million de foyers logés dans le parc HLM (11,9%, contre 14,9%), 1,21 million logés dans le parc privé (21,1%, contre 23,1%), le solde des foyers se partageant entre des logements gratuits, des hôtels et des locations meublées.
81% sont éligibles au parc social : 20% au PLAI, 35% au PLUS, 20% au PLS, 6% au PLI et 19% sont hors plafonds. Les chiffres changent sensiblement selon la fonction publique. C'est, pour la territoriale, respectivement : 27% pour le PLAI, 41% pour le PLUS, 15% pour le PLS, 4% pour le PLI ; 13% sont hors plafonds. Etat : 15%, 31%, 21%, 6% et 27% hors plafond. Hospitalière : 17%, 39%, 18% et 4%. 22% de ces ménages sont hors plafonds.
Ceux qui sont logés en HLM se répartissent selon les plafonds comme suit :
- agents de la fonction publique territoriale : 45% relèvent du PLAI, 40% du PLUS, 11% du PLS et 1% du PLI ; 3% sont hors plafond ;
- agents de la fonction publique d'Etat : 39% relèvent du PLAI, 38% du PLUS, 14% du PLS, 3% du PLI, et 6% sont hors plafond ;
- agents de la fonction publique hospitalière : leur répartition est respectivement de 29%, 59%, 7%, 2%, 3% étant hors plafond.
V.L.