Archives

La crise aura des effets durables sur les budgets du secteur communal

Une enquête menée par l'Association des maires de France et la Banque des Territoires offre un panorama précis des conséquences en 2020 de la crise sanitaire et économique sur les budgets des communes et de leurs groupements. Elle permet aussi de percevoir les évolutions qui sont à attendre cette année. Se dessine notamment la volonté des acteurs locaux de réaliser leurs projets d'équipements. Mais cela pourrait conduire à augmenter les taux de la taxe sur le foncier bâti. Plus du tiers des maires ont déclaré envisager cette option.

Afin de toujours mieux mesurer l'impact de la crise sanitaire sur les finances du secteur communal, l'Association des maires de France (AMF) publie les résultats d'une enquête menée en 2020 en partenariat avec la Banque des territoires (voir tous les résultats ci-dessous). 1.869 communes et intercommunalités à fiscalité propre, représentant près de 20% de la population française, ont été interrogés, y compris sur leurs perspectives en 2021.

Présentée le 3 mai, l'étude s'intéresse en particulier aux pertes de recettes qu'ont connu les communes et leurs groupements à partir du mois de mars 2020. Au rang des plus touchées figurent les ressources tarifaires. 46% des communes et 54% des intercommunalités à fiscalité propre ayant répondu déclarent enregistrer en 2020 une baisse de ces recettes, liée à la fermeture des services publics (équipements sportifs et culturels, établissements périscolaires…). Cette baisse s'est élevée en moyenne à 27% (pour les communes comme pour leurs groupements), mais elle est plus prononcée pour les villes de 20.000 habitants et plus. La plupart des autres structures interrogées constatent une stabilité des recettes tarifaires et une infime part (1% et 2%) déclarent connaître une hausse. Au total, l'AMF évalue la perte nette de recettes tarifaires à plus de 2 milliards d'euros en 2020 et déplore l'absence totale de compensation par l'État.

Des frais liés à la crise, mais aussi des économies

Qu'en est-il des autres recettes ? S'agissant des redevances issues du domaine public, 32% des communes estiment enregistrer une baisse. Le recul est là encore sévère (en moyenne 34%) et plus fort pour les communes dont la taille dépasse 20.000 habitants. De même que la forte contraction de la taxe de séjour (- 42% pour les communes et - 37% pour les intercommunalités), la réduction de ces recettes est toutefois parfois prise en compte dans le cadre du filet de sécurité des recettes du bloc communal pour 2020, dispositif de la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020 (LFR3). De leur côté, les recettes de versement mobilité perçues par les intercommunalités seraient en baisse de 14%. Une perte que l'État vient compenser par des avances remboursables faites aux autorités organisatrices de la mobilité, dans les conditions définies par la loi du 30 novembre 2020 de finances rectificative pour 2020 (LFR4).

Pour le bloc communal, le coup est rude. D'autant qu'il a eu à supporter des dépenses supplémentaires liées à la crise sanitaire : achat de masques et de gel hydroalcoolique, vêtements et matériels de protection, équipements informatiques pour le télétravail, versement de primes exceptionnelles aux agents et aides aux entreprises (pour les intercommunalités) ont pesé sur les budgets locaux. Au total, hors économies liées à la fermeture des services, les communes et les intercommunalités affirment avoir connu en 2020 des dépassements respectifs de 4% et 5% en moyenne de leurs dépenses de fonctionnement par rapport à leurs prévisions. Le constat dressé en février par le député LREM Jean-René Cazeneuve, selon lequel "ça n'irait pas si mal" – puisque les dépenses réelles de fonctionnement des budgets principaux du bloc communal ressortent en 2020 à un niveau supérieur à celui de 2018 – "ne correspond pas à la réalité vécue dans les territoires", a critiqué Antoine Homé, président de la commission finances et fiscalité locales de l'AMF. Mais l'association le reconnaît aussi : dans le même temps, les achats de biens et services ont baissé de 4,3% en 2020 et les fermetures de services publics ont généré des économies.

Contraction des impôts économiques

En 2021, il n'est pas sûr que les choses s'arrangent. Avec le maintien de l'ouverture des services publics, on ne retrouve pas les économies réalisées l'an dernier. Cette année, les dépenses de fonctionnement du bloc communal pourraient donc grimper. C'est ce que craint l'AMF. Les élus locaux pointent aussi la poursuite des dépenses liées à la crise sanitaire, lesquelles sont d'autant plus élevées que les communes doivent à présent financer les centres de vaccination. Le gouvernement a pour l'instant opposé "une fin de non-recevoir" à la demande des maires pour une compensation de ces frais liés à la politique de santé, qui relève de la compétence de l'État, indique Philippe Laurent, l'autre président de la commission finances et fiscalité de l'AMF.

Or, côté recettes, les perspectives ne sont pas roses, en particulier pour les intercommunalités. Elles s'attendent à une baisse de 6% de leur produit de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), l'une de leurs principales ressources (près de 5,2 milliards d'euros en 2020). Du coup, l'effet de ciseaux – phénomène résultant d'une évolution des recettes de fonctionnement plus faible que celle des dépenses de fonctionnement – qui s'est produit en 2020 pourrait perdurer en 2021 et même en 2022, redoute l'AMF. Ces chiffres alarmants sont toutefois à comparer aux estimations de la direction générale des finances publiques, qui laissent entrevoir une baisse un peu supérieure à 1% en moyenne de la CVAE en 2021. En outre, les plus fortes réductions de cet impôt donneront lieu à des compensations, via la prolongation cette année du filet de sécurité des recettes fiscales du bloc communal.

La réduction des marges de manœuvre budgétaires n'est guère favorable à l'investissement du bloc communal. Après avoir atteint 36 milliards d'euros en 2019 (subventions d'équipement comprises, mais hors remboursements), celui-ci a connu un recul historique de 15,6% en 2020, selon les estimations de l'AMF et de la Banque des Territoires. C'est une contraction deux fois plus forte que lors d'une première année de mandat habituel – si l'on met de côté l'année 2014, première année de forte baisse des dotations.

L'investissement au rang des priorités 

Qu'en sera-t-il en 2021 ? La chute de l'investissement local pourrait s'estomper, au moins pour les communes. En effet, une faible part d'entre elles (12% des communes de moins de 20.000 habitants et 8% de celles qui dépassent ce seuil) prévoient de revoir à la baisse leurs investissements en 2021. Il faut toutefois noter que du côté des intercommunalités, plus de 20% anticipent cette perspective. Mais il faut surtout retenir qu'une large majorité des structures du bloc communal (75% des communes et plus des deux tiers des intercommunalités) maintiennent leurs prévisions d'investissements en 2021.

Une partie d'entre elles bénéficieront des dotations de soutien à l'investissement, qui ont été accrues en 2020 et 2021, avec une enveloppe supplémentaire de 1 milliard d'euros. De l'argent frais qui n'est pas réparti de manière optimale, critique toutefois l'AMF. Le fléchage des dotations d’investissement "laisse de côté des investissements indispensables à la reprise comme le rachat de murs commerciaux pour faire face à la menace de disparition de nombreux petits commerces de centre-ville, ou l’éclairage public", pointe notamment l'association. Elle aurait préféré que soient allouées des ressources supplémentaires "libres d'emploi" (prenant par exemple la forme d'une avance du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée). Une hausse de la dotation globale de fonctionnement aurait aussi permis, selon les maires, de soutenir directement les recettes de fonctionnement et donc la capacité à financer les projets.

Hausses fiscales en 2021 ?

L'AMF prône aussi l'instauration d'un "pacte de stabilité État-collectivités" permettant d'améliorer la visibilité des collectivités et donc le déploiement de leurs investissements. Avec cette proposition, les maires entendent prendre l'exact contrepied des contrats de maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités. Mi-avril, le ministre en charge des Comptes publics s'est dit favorable au retour – sous une forme différente et élargie – de ces dispositifs, qui avaient été mis en œuvre entre 2018 et 2020 pour 321 grandes collectivités (voir notre article du 19 avril). Des intentions qui n'enthousiasment pas vraiment l'AMF. Celle-ci "rejette fermement toute velléité" de retour de "ces outils de contrainte de la gestion locale".

Avec une épargne dont l'évolution est incertaine, voire menacée, les communes et leurs groupements pourraient recourir davantage, dans les mois prochains, à l'emprunt pour financer leurs investissements, estime Philippe Laurent. Le contexte de taux d'intérêts demeurant bas les y incite. Pour maintenir les investissements, les maires pourraient aussi décider de nouvelles hausses d'impôts. Avant le vote des taux au début de l'année, 36% des dirigeants municipaux envisageaient ainsi d'augmenter les taux des impôts locaux, en moyenne de 2 à 3%, principalement pour la taxe foncière, selon l'AMF. L'année 2021 pourrait donc mettre fin à plusieurs années au cours desquelles les communes avaient peu activé le levier fiscal. En 2020, seulement 7% des communes avaient augmenté leurs taux de fiscalité.