Investissements d'avenir - La Cour des comptes souhaite un recadrage stratégique des PIA
Au moment où l'Etat travaille à un nouveau programme d'investissement d'avenir (PIA), le troisième du genre, la Cour des comptes dresse un bilan en demi-teinte des deux premières versions. Une "démarche exceptionnelle" mais qui connaît des "dérives à corriger", juge-t-elle.
Le premier PIA a été lancé par Nicolas Sarkozy en 2010 sous le nom de "Grand Emprunt" doté de 35 milliards d'euros, suite au rapport d'Alain Juppé et Michel Rocard intitulé "Investir pour l'avenir". Une formule reprise par François Hollande en 2013 avec une nouvelle enveloppe de 12 milliards d'euros. Dès l'origine, il s'agissait de promouvoir des "projets d'excellence" dans l'enseignement supérieur, les biotechnologies, l'énergie, la ville de demain, le véhicule du futur, le numérique… L'objectif était aussi de relancer l'investissement dans une logique contracyclique en période de crise.
La mise en œuvre de ces plans a été très progressive et il est encore "trop tôt" pour jauger leurs résultats réels sur l'économie, a déclaré le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, le 2 décembre, lors de la présentation du rapport devant la commission des finances de l'Assemblée nationale. Leurs effets sur l'investissement ne sont pas à la hauteur de l'ambition de départ. "La Cour ne constate pas d'augmentation de l'effort d'investissement de l'Etat depuis 2010, compte tenu du PIA. La part des dépenses d'investissements dans les dépenses de l'Etat est au même niveau en 2014 qu'en 2000, autour de 8%, après avoir atteint 10% en 2008 et 2010 avec le plan de relance", a souligné Didier Migaud.
Régime d'exception budgétaire
La Cour relève également que les crédits réellement disponibles se montent en fait à 24 milliards pour le premier PIA et à 10 pour le second, en raison d'un mécanisme complexe dit de "dotations non consommables" : des crédits placés par l'Agence nationale pour la recherche (15 milliards pour le PIA 1 et 3,3 pour le PIA 2) sur un compte au Trésor et dont seuls les intérêts sont versés aux bénéficiaires finaux : laboratoires d'excellence (Labex), initiatives d'excellence (Idex) ou équipements d'excellence (Equipex).
La Cour considère que le régime d'exception budgétaire des PIA qui a permis "une gestion plus centralisée des investissements" et "une meilleure priorisation des actions financées" n'est "plus légitime". L'idée de départ était de soustraire ces crédits au calcul des déficits publics et au contrôle du Parlement afin de "sanctuariser" des investissements de long terme.
Les fonds reposent en effet pour une large part sur des prêts et des prises de participation qui ne sont pas pris en compte dans le calcul des déficits publics et du respect de la règle des 3% du PIB. Ces opérations représentent environ 29% des deux enveloppes disponibles (hors dotations non consommables). Par ailleurs, les fonds des PIA ne sont pas soumis au vote annuel du budget (le Parlement ne vote que l'enveloppe globale). Mais près de 20% des crédits ne répondent pas à la vocation première de ces programmes, "soit parce qu'ils se substituent à des crédits budgétaires ordinaires au lieu de s'y additionner, soit parce qu'ils financent des actions qui ne relèvent pas des priorités du PIA". Le PIA 1 a ainsi été utilisé pour financer des opérations lancées avant sa création mais sans financements : deux projets de réacteurs nucléaires (900 millions d'euros), l'opération Campus (1,3 milliard d'euros), le plateau de Saclay (1 milliard d'euros), la recapitalisation d'Oséo (140 millions d'euros) et France Brevets (50 millions d'euros). Il s'est aussi substitué à des financements préexistants : projet de l'A350, le fonds démonstrateur de l'Ademe… Or ces pratiques se sont accrues avec le PIA 2, constate la Cour. "La prolongation du PIA, ainsi que les débudgétisations de plus en plus importantes auquel il donne lieu rendent de plus en plus injustifiées certaines de ses spécificités, en particulier la gestion extrabudgétaire de ses crédits", insiste-t-elle.
Rien sur les régions
La Cour redoute un report de ces pratiques sur les finances à moyen terme. Elle pointe notamment les risques que comportent les dotations non consommables. Ces dernières "pourraient conduire l'Etat à verser, sans limite de durée, des intérêts aux bénéficiaires pour une dépense budgétaire annuelle pouvant atteindre 300 millions d'euros par an, ou à leur verser les dotations elles-mêmes", explique-t-elle, dans son communiqué. Elle recommande que le PIA 3 "prenne la forme d'un programme budgétaire placé sous la responsabilité du Premier ministre, avec des règles spécifiques en matière de régulation budgétaire". Ce retour dans le giron de Matignon donnerait plus de poids au commissariat général à l'investissement (CGI), qui tient les cordons de la bourse, vis-à-vis des différents ministères tentés de puiser dans la caisse pour effectuer des redéploiements de crédits. Alors que le PIA2 s'est éloigné des priorités stratégiques de départ, la Cour invite "à un nouvel exercice de réflexion stratégique sur les investissements de l'Etat dans le domaine productif".
A quelques jours des élections régionales, on notera de grandes absentes dans ce rapport : les 13 futures régions. Louis Schweitzer, le commissaire général à l'investissement, avait récemment plaidé pour que 500 millions d'euros sur les 10 milliards annoncés pour le PIA 3 soient confiés aux exécutifs régionaux.