La Cour des comptes européenne stigmatise la politique de soutien à l’agriculture biologique de l’UE
Dans un rapport spécial publié le 23 septembre, la Cour des comptes européenne dénonce vertement la politique de soutien à l’agriculture biologique de l’UE, déplorant qu’elle soit uniquement axée sur un objectif surfacique – 25% de surfaces cultivées en bio en 2030 –, par ailleurs non contraignant et dont elle doute qu’il puisse être atteint. Elle invite la Commission à revoir sa copie afin de mieux y intégrer "les objectifs environnementaux et de marché", en veillant en outre à la disponibilité de données mesurables et pertinentes qui font aujourd’hui défaut.
"Compte tenu de l’importance des dépenses de l’UE" qui y sont consacrées, la Cour des comptes européenne vient de passer à la moulinette la politique de l’UE en faveur de l’agriculture biologique pour la période 2014-2022, dans un rapport spécial peu amène publié ce 23 septembre. À ses yeux, les résultats ne sont en effet guère probants.
La surface comme unique boussole
Principal reproche de la Cour, le fait que l’UE n’ait pour le secteur biologique pour seul objectif – non contraignant qui plus est – que d’avoir 25% de sa superficie agricole utile cultivés en bio d’ici 2030. Une cible qui, en dépit des 12 milliards d’euros perçus par les agriculteurs sur la période 2014-2022 au titre de la politique agricole commune, via le Feader, lui paraît en outre hors d’atteinte. Cela supposerait en effet un doublement du rythme actuel d’adoption de la pratique (passer de 6% à 11% de croissance annuelle). Hypothétique, à l’heure où la surface consacrée au bio a régressé en France l’an passé ("pas une année à sabrer le champagne", estimait l’Agence bio en juin dernier), alors qu’avec l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne, l’Hexagone représente 56% de la superficie bio de l’UE. En 2022, le bio représentait ainsi 10,5% de la superficie agricole de l’UE (0,6% à Malte, 10,1% en France, 25,7% en Autriche). L’objectif n’a, il est vrai, été fixé qu’en mai 2020 seulement, avec les stratégies "De la ferme à la table" et "Biodiversité".
Soutien notable mais variable
Les aides au bio n’ont pour autant pas manqué. La Cour observe qu’en 2021, "sur environ 16 millions d’hectares cultivés en agriculture biologique, 69% ont bénéficié d’un soutien de la PAC au bio" (46% pour la France). Elle souligne également que "tous les États membres, à l’exception des Pays-Bas, ont inclus le soutien de la PAC à l’agriculture bio dans leurs programmes de développement rural", même si elle relève que "les ambitions varient considérablement d’un État membre à l’autre". L’Allemagne, l’Italie, la France (1 milliard d’euros dépensé au 31 décembre dernier pour la période 2014-2022), la Grèce et l’Espagne représentent ainsi 62% du budget du Feader alloué à la mesure.
Mal orienté et aveugle
Mais pour la Cour, ces aides sont globalement mal orientées, et leurs effets sont en outre non mesurables. Elle déplore ainsi que "le plan d’action de l’UE pour l’agriculture biologique pour la période 2014-2020 ne comportait aucun objectif pour le secteur biologique". Tout comme le cadre commun de suivi et d’évaluation de la PAC, lequel, lui, "ne comportait pas d’indicateur de résultat pour le soutien à l’agriculture biologique". Et la Cour d’observer que si le plan d’action pour la période 2021-2027 "fournit davantage de détails sur les activités spécifiques à mettre en œuvre", il "ne comporte toujours pas de valeurs cibles quantifiables […], ni de moyens permettant de suivre les progrès réalisés". Pis, elle constate que l’obligation de collecte de données statistiques concernant le secteur biologique est devenue facultative pour les États membres en 2022. Et s’il redeviendra obligatoire pour ces derniers d’envoyer des statistiques sur l’agriculture biologique à partir de 2026, la Cour observe que le nombre de variables collectées restera toutefois réduit.
L’angle mort de la production
Plus encore, la Cour déplore que "les agriculteurs biologiques n’étaient pas tenus de produire des produits biologiques" pour bénéficier de cette manne. En 2020, elle estime que près de 60% de la superficie consacrée au bio dans l’UE était ainsi couverts par des prairies permanentes et des fourrages. Ce qui peut se concevoir, dans la mesure où l’agriculture biologique, rappelle la Cour, vise "à accroître la biodiversité, à réduire les pollutions et améliorer la santé et la fertilité des sols, ainsi que la capacité de ces dernier à retenir l’eau et à capter le carbone".
Des bénéfices environnementaux pas toujours au rendez-vous
Las, la Cour relève que ces bénéfices environnementaux attendus ne sont "pas toujours garantis", faute d’application "cohérente" des règles. Ses audits font par exemple ressortir que "l’une des pratiques essentielles de l’agriculture bio – la rotation des cultures – n’est pas toujours respectée" (sur 26 agriculteurs contrôlés, 9 cultivaient la même culture sur la même parcelle depuis plusieurs années, rapporte la Cour). Ou encore que le soutien a pu être octroyé "sans que [n’aient été] respectées les règles en matière de bien-être animal".
Point de philanthropie dans le bio.
"Le soutien de la PAC à l’agriculture biologique étant lié à la surface, les perspectives offertes par le marché demeurent la principale incitation encourageant les éleveurs à se convertir à l’élevage biologique", conclut la Cour. Laquelle observe plus généralement que "les agriculteurs se convertissent principalement à l’agriculture biologique en raison des perspectives économiques offertes par le marché plutôt qu’en raison de considérations environnementales". Aussi, "lorsque le marché des produits biologiques est bien développé, les agriculteurs peuvent pratiquer des prix plus élevés" et sont incités à sauter le pas. Mais lorsqu’il s’effrite, comme c’est le cas actuellement en France notamment, le spectre de la déconversion grandit.
Des normes… qui conduisent à des exploitations bio plus grandes que la moyenne
Autres obstacles au déploiement du bio pointés par la Cour, "la charge financière liée aux coûts de certification et d’inspection et la charge administrative liée à la tenue de registres détaillés", lesquelles dissuadent "les petites exploitations des zones rurales désavantagées" de s’y aventurer, alors qu’il y existe "un fort potentiel en termes de bénéfices sociaux-économiques". Une surcharge administrative régulièrement dénoncée, et pas que pour le bio. En l’espèce, la Cour rappelle que le dispositif de certification de groupe permettrait de réduire les coûts, mais observe que les agriculteurs y ont peu recours "principalement en raison du manque de clarté de son statut juridique"... Conséquence pointée par la Cour, la taille moyenne des exploitations bio dans l’UE (41 ha) est deux fois et demie supérieure à la taille moyenne des exploitations conventionnelles (16 ha).
Revoir la copie
In fine, la Cour invite la Commission à revoir sa copie sans délai, en suivant trois axes : renforcer le cadre stratégique de l’UE pour le secteur biologique, en envisageant des objectifs supplémentaires, et mesurables, pour compléter l’objectif surfacique ; mieux intégrer les objectifs environnementaux et de marché de l’agriculture biologique dans la PAC ; veiller à la disponibilité de données pertinentes. Autant de préconisations qui ne sont, globalement, pas sans rejoindre celles récemment formulées par le "groupe de dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture de l’UE" qu’avait mis en place la présidente de la Commission.