Territoires transfrontaliers - La coopération transfrontalière au milieu du gué

Alors que deux rapports viennent de mettre en lumière les faiblesses de la coopération transfrontalière en France et en Europe, deux responsables de la mission opérationnelle transfrontalière livrent leurs pistes pour améliorer le fonctionnement du Gect, l'outil juridique fer de lance de cette coopération.

Deux rapports sont venus pointer cet été les faiblesses de la coopération transfrontalière. Intitulé "Les frontières, territoires de fractures, territoires de coutures", celui cosigné par les parlementaires français Etienne Blanc et Fabienne Keller et l'eurodéputée Marie-Thérèse Sanchez-Schmid souligne les faiblesses structurelles des régions frontalières françaises. Le second, émanant de la Commission, évalue le programme Interreg III couvrant la période 2000-2006 et dresse un constat assez critique. Au moment où prennent forme les débats sur la future programmation de la politique de cohésion post-2013, Silvia Gobert-Keckeis et Françoise Schneider-Français, directrices de projet au sein de la mission opérationnelle transfrontalière (MOT), nous livrent leurs réflexions sur l'évolution du Gect (groupement européen de coopération territoriale). Cet instrument juridique communautaire qui a justement pour but de faciliter le pilotage des projets de coopération transfrontalière doit faire l'objet d'une révision.

 

La MOT a participé à la consultation du comité des régions sur la révision du règlement sur le Gect. Pourquoi cet outil est-il destiné à devenir l’outil juridique de référence pour la coopération transfrontalière ?

Françoise Schneider-Français : J’identifie trois éléments importants qui en font un outil de référence pour la coopération transfrontalière. Le Gect est tout d’abord une structure qui répond à un besoin de pérennisation des démarches de coopération. Les partenaires qui décident de créer un Gect peuvent ainsi se projeter au delà de la programmation des financements européens. De plus, le Gect est un outil qui permet de formaliser et donc de donner un cadre stable à des démarches de coopération car c’est un outil extrêmement souple. Pour créer un Gect, les critères sont simples et on voit ainsi apparaître des Gect à plusieurs échelles : des eurorégions, comme l’eurorégion Pyrénées–Méditerranée, ou des partenariats intercommunaux comme l’eurodistrict Saar–Moselle. Cet aspect de formalisation permet également d’associer tous les partenaires d’un territoire, de la structure intercommunale jusqu’à l’Etat. Enfin, le Gect est un outil d’essence européenne. Son règlement communautaire définit un certain nombre de principes communs de fonctionnement qui permettent à cet outil de s’affranchir des cadres de référence nationaux.

 

Quelles seraient les dispositions du Gect à améliorer pour lui permettre plus d’efficacité ?

Françoise Schneider-Français : Modifier le règlement Gect implique de remettre en cause soit les Gect existants, soit les dispositions prises dans chaque Etat-membre pour adapter le droit national au droit communautaire qui sont longues à appliquer. Cette modification est donc à revoir avec beaucoup de prudence. Deux aspects du Gect pourraient faire l’objet d’une amélioration. Le premier concerne la participation des membres issus d’Etats tiers, hors de l’Union européenne. En effet, la création d’un Gect suppose un partenariat composé d’au moins deux membres issus de deux Etats-membres de l’UE. Il est donc possible de créer un Gect franco-italo-suisse mais ce n’est pas le cas pour un Gect franco-suisse. Le deuxième aspect concerne les réseaux. Les Gect qui portent des réseaux pour la coopération interrégionale supposent un nombre important d’Etats concernés mais aussi une grande distance physique entre les partenaires. On pourrait alors envisager, dans le cadre d’une révision, d’autoriser le fonctionnement d’un système de consultation par écrit des membres qui permettrait à ces membres de se prononcer à distance.

 

La France est actuellement à la recherche d’une stratégie nationale pour la coopération transfrontalière. Pensez-vous que certaines mesures du rapport de la mission parlementaire "Les frontières, territoires de fractures, territoires de coutures" (auquel la MOT a contribué) pourraient être reprises au niveau européen ?

Silvia Gobert-Keckeis : Deux aspects pourraient être encouragés au niveau européen : le rapport de la mission parlementaire préconise une coordination interministérielle au niveau national et cette coordination pourrait être envisagée de la même manière au niveau européen entre les directions générales. On pourrait ainsi envisager d’avoir un commissariat aux questions transfrontalières en tant qu’interlocuteur central avec des référents dans chacune des directions. Deuxièmement, la coopération transfrontalière touche toutes les échelles de coopération, et de plus en plus de projets deviennent difficiles à réaliser sans les compétences du niveau national. Le niveau national a donc son rôle à jouer pour trouver des solutions aux difficultés qui se trouvent localement mais aussi pour une meilleure organisation au niveau national. En novembre 2009, le Conseil de l’Europe, dans sa déclaration d’Utrecht, a ainsi tenu à souligner le rôle du pouvoir central dans la suppression des obstacles à la coopération transfrontalière. D’autres démarches existent en Europe et sont plutôt encourageantes. C’est le cas aux Pays-Bas avec la mise en place d’un médiateur en charge du transfrontalier, le "Grensmakelaar".

 

Quelles évolutions permettraient la simplification de la gestion des projets transfrontaliers dans le cadre de la prochaine programmation ?

Silvia Gobert-Keckeis : La MOT préconise de systématiser la participation des collectivités et des acteurs dans l’élaboration des programmes de coopération transfrontalière. En amont mais également dans le cadre des comités de programmation. Nous travaillons essentiellement avec une approche de projets de territoire qui se veut transversale et globale. Par rapport aux thématiques traitées, cette approche territoriale devrait également être mise en avant dans le cadre de la programmation avec l’introduction d’axes territoriaux pour permettre une collaboration plus importante entre le territoire donné et le programme, et pour éviter que les projets soient trop ponctuels et sectorisés.

 

Propos recueillis par Lauranne Bardin/Welcomeurope


Une nouvelle carte pour la coopération transfrontalière française

La MOT a récemment publié une carte représentant les projets de territoire et les découpages administratifs transfrontaliers sur les frontières françaises qui démontre que le fait transfrontalier se développe et n’est plus à négliger. Même si l’impulsion de la coopération transfrontalière a été initiée à l’échelle urbaine, aujourd’hui ces projets de territoire concernent des échelles très variées : on distingue ainsi des agglomérations transfrontalières comme l’agglomération franco-valdo-genevoise ou l’eurodistrict Strasbourg-Ortenau, mais aussi des espaces naturels et ruraux. C’est le cas du parc national des Vosges du Nord et du Naturpark Pfälzerwald à la frontière franco-allemande. Enfin, les territoires transfrontaliers peuvent être aussi mixtes (à la fois ruraux et naturels) comme l’eurodistrict Espace catalan transfrontalier à la frontière franco-espagnole. Des Gect se sont également créés à des échelles différentes ; c’est le cas pour l’eurométropole Lille–Kortrijk–Tournai et pour les intercommunalités de l’eurodistrict Saar–Moselle ou de l’eurodistrict Strasbourg-Ortenau.