Ville intelligente - La Cnil ouvre des pistes pour redonner aux villes du pouvoir sur les données
L'impact des plateformes numériques sur la gestion des villes est un souci grandissant des acteurs publics. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) vient de publier un cahier dans lequel elle esquisse de nouveaux scénarios pour rééquilibrer le rapport de force entre collectivités et entreprises du numérique en termes de possession et d'exploitation des données. En ligne de mire : la possibilité pour les collectivités d'exploiter plus d'informations venant du privé, ou des citoyens eux-mêmes, en développant de nouveaux partenariats.
Alors que la ville était auparavant considérée et appréciée comme un lieu d'anonymat, les services numériques sont en train de changer la donne. C'est le constat des chercheurs et experts interrogés par la Cnil, à la faveur de son cinquième cahier d'innovation et de prospective consacré aux "données personnelles au cœur de la fabrique de la smart city". Avec la multiplication des applis mobiles, les urbains traduisent leurs comportements en données exploitables et monétisables par les entreprises du web. Ces dernières jouent un rôle sans cesse plus grand dans la manière dont les villes fonctionnent, en redéfinissant les mobilités par exemple. Jusqu'à des frontières polémiques, quand Waze dissuade ses usagers de traverser certains quartiers jugés dangereux, au risque de rendre ceux-ci plus enclavés encore. Le travail de la Cnil fait l'effort de mesurer la véritable portée des mutations numériques pour les collectivités, sans en rester à des propos abstraits.
Redonner le pouvoir des données aux collectivités
Pour redonner aux collectivités l'occasion d'utiliser les données urbaines pour leurs missions de service public, la Cnil esquisse plusieurs scénarios. La Commission imagine des cas où les entreprises devraient, moyennant de nouvelles obligations légales, fournir les données collectées auprès des usagers quand celles-ci seraient jugées d'intérêt général. L'anonymisation des données pourrait être gérée par l'entreprise elle-même, ou par les collectivités. Dans un scénario plus souple à l'égard des plateformes numériques privées, la Cnil imagine aussi la généralisation des procédés d'accès automatisé aux données via API, sur le modèle de ce que propose la start-up française Opendatasoft. Les collectivités pourraient, après accord des entreprises, puiser facilement dans leurs réserves de données, sans qu'il s'agisse d'un partage systématique "en bloc". Enfin, dans le sillage des dispositions de la loi Lemaire encourageant la portabilité des données, la Cnil imagine que les usagers eux-mêmes pourraient confier leurs données à la puissance publique. En téléchargeant les données qui les concernent à partir des plateformes numériques, ils pourraient choisir de les stocker au sein d'un espace numérique géré par la collectivité qui, en retour, ferait usage de ces informations pour améliorer ses services publics. C'est le modèle actuellement expérimenté à Lyon (cf encadré).
Le CNNum se penche aussi sur les plateformes
La Cnil n'est pas la seule institution à se positionner, ces derniers jours, sur l'enjeu crucial de la régulation des plateformes. Le Conseil national du numérique, qui se faisait peu entendre depuis l'élection présidentielle, tient une nouvelle consultation du 10 octobre au 17 novembre sur "la confiance à l'ère des plateformes numériques". Parmi les défis identifiés, la puissance grandissante et mondialisée des plateformes numériques, qui s'appuie aussi sur le relatif secret qui entoure leur fonctionnement et leurs algorithmes. On le voit : si cette prise de conscience de la puissance des plateformes commence à infuser dans toute la sphère publique, les territoires sont particulièrement concernés. Mobilités, sécurité, logement : autant de secteurs clés sur lesquels les collectivités devront grandir en vigilance et expertise face aux bouleversements apportés par les plateformes.
Avec MesInfos, la métropole de Lyon teste le stockage des données personnelles sous la houlette d'une collectivité. Depuis 2016, 2.000 Grands-Lyonnais se plient à un exercice nouveau, le "self data" ; ils peuvent choisir de partager leurs données de mobilité, de consommation énergétique ou encore de gestion financière, dans un espace sécurisé et confidentiel, pour bénéficier de conseils personnalisés. Tout cela sous la houlette de la métropole, tiers de confiance pour garantir la sûreté de l'initiative. L'expérimentation devrait se prolonger jusqu'en 2018.