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Social / Europe - La CJUE subordonne les aides sociales aux immigrés à la recherche d'un travail

Le 11 novembre, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt qui pourrait être lourd de conséquences. En l'espèce, la Cour a été saisie d'une requête en interprétation (question préjudicielle) par le tribunal social de Leipzig (Allemagne), dans un litige opposant Mme Dano et son fils, ressortissants roumains, au Jobcenter de Leipzig (équivalent allemand de Pôle emploi).
Ce dernier refusait en effet de verser à Mme Dano les prestations de base réservées aux demandeurs d'emploi. Il ressort de l'instruction que Mme Dano "n'a pas de qualification professionnelle et n'a jusqu'ici exercé d'activité professionnelle ni en Allemagne ni en Roumanie. Bien que son aptitude à travailler n'ait jamais été contestée, aucun indice ne laisse penser qu'elle ait cherché un emploi".

Recherche d'emploi = droit de séjour

Face à cette situation, la CJUE commence par rappeler que, pour pouvoir accéder à certaines prestations sociales, les ressortissants d'autres Etats membres ne peuvent réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l'Etat membre d'accueil que si leur séjour respecte les conditions de la directive "citoyen de l'Union" (Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004). Celle-ci prévoit notamment que "l'Etat membre d'accueil n'est pas obligé d'accorder le droit à une prestation d'assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour [...], ni tenu, avant l'acquisition du droit de séjour permanent, d'octroyer des aides d'entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d'études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille".
Lorsque la durée du séjour est comprise entre trois mois et cinq ans, la directive "conditionne le droit de séjour au fait notamment que les personnes économiquement inactives doivent disposer de ressources propres suffisantes". La Cour met d'ailleurs les choses au point, en précisant que "la directive 2004/38 cherche à empêcher que les citoyens de l'Union économiquement inactifs utilisent le système de protection sociale de l'Etat membre d'accueil pour financer leurs moyens d'existence".

Un Etat membre peut restreindre les conditions d'accès aux aides sociales

Dans ces conditions, la CJUE juge que l'article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, "doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à la réglementation d'un Etat membre en vertu de laquelle des ressortissants d'autres Etats membres sont exclus du bénéfice de certaines 'prestations spéciales en espèces à caractère non contributif' [...], alors que ces prestations sont garanties aux ressortissants de l'Etat membre d'accueil qui se trouvent dans la même situation, dans la mesure où ces ressortissants d'autres Etats membres ne bénéficient pas d'un droit de séjour en vertu de la directive 2004/38 dans l'État membre d'accueil". En d'autres termes, un Etat membre peut refuser l'octroi de prestations sociales à des citoyens de l'Union économiquement inactifs, qui exercent leur liberté de circulation dans le seul but de bénéficier de l'aide sociale d'un autre Etat membre, alors même qu'ils ne disposent pas de ressources suffisantes pour prétendre à un droit de séjour.

Quelles conséquences ?

Il est facile de mesurer les conséquences potentielles de cet arrêt sur les prestations d'aide sociale (les prestations assurantielles, qui sont par définition la contrepartie de cotisations, n'étant pas visées par l'arrêt). Certes, l'arrêt de la CJUE évoque une possibilité, pour un Etat membre, de refuser d'accorder ces prestations et non une obligation. Un Etat peut donc décider de maintenir ces prestations à des ressortissants de l'Union ne présentant pas les ressources et les conditions suffisantes pour prétendre à un droit de séjour. Mais - compte tenu de la position de la Cour - qu'en serait-il du recours d'un contribuable protestant contre l'octroi d'une prestation de ce type dans ces conditions ?
Par ailleurs, l'arrêt ne vise, par définition, que les ressortissants de l'Union européenne. Mais, s'il devait se traduire dans les faits, il est évident que les Etats membres devront étendre la position de la CJUE à l'ensemble des ressortissants étrangers se trouvant dans la situation décrite par la Cour. On voit mal en effet un Etat appliquer aux ressortissants hors UE un régime plus favorable que celui réservé aux ressortissants de l'UE.
Enfin, l'arrêt ne vise que le "tourisme social". Si Mme Dano avait cherché activement un travail ou manifesté, dans sa vie antérieure, un intérêt manifeste pour le travail, elle aurait sans doute obtenu les prestations du Jobcenter de Leipzig.

AME et RSA

En pratique, l'arrêt de la CJUE ne modifie pas l'ordre juridique et n'a donc pas d'effet immédiat. En revanche, la pression va rapidement monter pour obtenir une révision de la politique en matière de prestations non contributives, ce qui recouvre tout le champ de l'aide sociale. On peut s'attendre ainsi à voir l'arrêt de la Cour venir alimenter les débats récurrents sur l'aide médicale d'Etat - dont les bénéficiaires sont, par définition, en séjour irrégulier -, même si l'AME obéit également à d'autres préoccupations que celles propres à l'aide sociale (éviter la propagation des épidémies au sein de la population). Lors du récent débat à l'Assemblée sur les crédits de la mission Solidarité (voir notre article ci-contre du 7 novembre 2014), des députés UMP ont ainsi déposé des amendements visant à restreindre fortement l'accès à l'AME, voire à supprimer cette prestation.
Au demeurant, la France met déjà en œuvre un certain nombre de prestations soumises à une durée de résidence. Le cas le plus emblématique est celui du RSA, dont l'octroi suppose de vivre en France - de façon régulière - depuis au moins trois ans pour les ressortissants de l'UE et au moins cinq ans pour les étrangers hors UE. En adoptant ces dispositions, le législateur français avait en tête la même intention que celle rappelée par la CJUE : éviter que des non ressortissants "utilisent le système de protection sociale de l'Etat membre d'accueil pour financer leurs moyens d'existence"...

Références : Cour de justice de l'Union européenne, Grande Chambre, arrêt C-133/13 du 11 novembre 2014, Dano c/ Jobcenter Leipzig.

 

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