Joël Fourny (CMA France) : "L’apprentissage dans l’artisanat est un investissement d’avenir"
Le président de CMA France, Joël Fourny, a boycotté l’inauguration des Worldskills organisés à Lyon le weekend du 14 septembre. Un geste symbolique pour pointer les désaccords profonds entre les chambres de métiers et d’artisanat et le gouvernent sur la question du financement de l’apprentissage.
Localtis - Pouvez-vous nous rappeler les raisons de votre refus de participer à l’inauguration officielle des WorldSkills le 14 septembre dernier à Lyon ?
Joël Fourny - Le 7 juillet dernier, l’instance de gouvernance nationale de la formation professionnelle et de l’apprentissage France compétences a diffusé une liste de recommandations avec l’objectif de conduire à une baisse globale de 5% de la dépense de financement de l’apprentissage et donc des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage. Si nous sommes favorables à une régulation de la dépense afin de garantir la soutenabilité du système, nous défendons également l’idée que l’apprentissage dans l’artisanat est un investissement pour l’avenir. Aussi, depuis le 7 juillet, nous appelons le gouvernement à un report de cette nouvelle baisse et à une véritable concertation sur le financement de l’apprentissage en France afin de construire une méthode pour définir un "juste prix" lors du calcul des "coûts contrats". Malgré nos multiples alertes, le décret qui entérine la révision a été publié le 7 septembre dernier. Une décision tout simplement incompréhensible et inacceptable pour notre réseau. Par conséquent, j’ai souhaité marquer notre désaccord et le réseau des CMA, bien que présent pour soutenir ses compétiteurs, n’a pas participé à l’inauguration officielle en présence du gouvernement qui s’est déroulée le 14 septembre, ni à la déambulation avec les ministres présents.
Quelles conséquences prévisibles pourrait avoir selon vous une baisse globale des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage ?
Concrètement, cette nouvelle révision se traduit par une baisse de près de 8% du financement des formations emblématiques de l’artisanat de premier niveau (CAP), ce qui signifie que 57% de nos formations deviennent déficitaires, soit 55% des apprentis que nous formons. Les conséquences sont donc dramatiques puisque nous perdons, très concrètement, notre capacité à former à tous les métiers de l’artisanat et par voie de conséquence à répondre aux besoins de recrutement des entreprises artisanales. Au-delà de l’avenir de nos CFA, c’est bien l’avenir de nos métiers et du secteur de l’artisanat dans son ensemble qui nous inquiète. Il faut savoir que nous formons par exemple 88% des charcutiers traiteurs ou 77% des boulangers. Qui pourra les former demain à ces métiers, dont le poids financier est supérieur au coût contrat ? Or s’il n’y a plus de formation, il n’y a plus de transmission des compétences et des savoir-faire, ce qui menace la pérennité des entreprises artisanales et le dynamisme économique des territoires.
Concrètement, certains CFA sont-ils menacés dans leur existence même ?
Oui, si nous ne trouvons pas de solution certaines de nos formations, notamment à des métiers rares, vont cesser car il nous sera impossible de les poursuivre. Avec l’arrêt de ces formations à faibles effectifs, certains CFA de proximité seront fragilisés et des fermetures sont à craindre. Ce qu’il faut comprendre c’est que jusqu’à présent, les formations aux métiers de vitraillistes, facteur d’orgues ou certains diplômes comme le BTM chocolatier pouvaient être proposés bien que leur coût réel dépasse le financement alloué par France compétences. En effet, jusqu’à présent notre outil de formation fonctionnait, faisait l’objet d’investissement et permettait de former à des métiers rares parce que ces formations qui étaient déficitaires restaient minoritaires. Les marges qui existaient nous permettaient d’équilibrer la charge qu’elles représentaient. Aujourd’hui ce n’est plus le cas puisque désormais ce sont les CAP de boulanger, de charcutier, de plombier, de coiffeur… qui deviennent déficitaires. C’est cet équilibre qui est mis en péril. Or sans lui, comment poursuivre certaines formations lorsque le coût qu’elles représentent n’est plus financé ? Comment continuer à former à perte ?
Face aux difficultés de recrutement de certaines filières, comment agissez-vous pour rendre vos métiers attractifs pour les jeunes ?
Ces dernières années, le regard porté sur l’apprentissage et sur nos métiers a changé. L’artisanat est plébiscité : 88 % des jeunes pensent que nos métiers rendent heureux et épanouis. Ce résultat est le fruit d’un travail de longue date mené partout en France par le réseau des CMA via de multiples campagnes de sensibilisation et de communication pour mettre en avant les atouts de l’apprentissage dans l’artisanat. Nous investissons également pour que nos centres de formation soient performants, dotés de plateaux techniques de qualité, modernes et innovants. L’essor de l’apprentissage dans l’artisanat est aussi bien entendu le fruit des politiques menées par les gouvernements successifs, politiques pour lesquelles le réseau des CMA a été un partenaire constructif et écouté. Le résultat c’est que les effectifs sont en augmentation constante. La barre symbolique des 200.000 apprentis formés dans l’artisanat vient d’être franchie et notre réseau, leader de la formation par apprentissage en France, forme chaque année 112.500 jeunes dans ses 137 centres de formation.