Jean-Luc Boch (ANMSM) : "Il faut arrêter le ski bashing"
Deux ans après une saison hivernale marquée par la crise sanitaire et un an après une reprise de l'activité dans les stations de sports d'hiver, Jean-Luc Boch, maire de La Plagne (Savoie) et président de l'Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM), fait le point pour Localtis sur la saison à venir et les difficultés attendues, notamment en matière de recrutement et d'énergie.
Localtis - Comment la saison se présente-t-elle pour les stations de montagne ?
Jean-Luc Boch - De façon excellente. À ce jour les chiffres de préréservation sont en hausse de 7 à 9% selon les territoires par rapport à la saison dernière qui avait déjà été exceptionnelle. Cela veut dire que l'appétence, l'envie, la motivation pour venir dans nos stations est toujours présente. 20 à 25% des Français skient ou viennent faire un séjour à la montagne chaque hiver, et 70 à 75% des stations sont remplies de clients français. Les principaux étrangers sont les Britanniques, les Belges et les Néerlandais. La France est pour eux une destination de proximité. Et quand on ne prend pas l'avion pour aller à destination, c'est bon pour la planète et donc bon pour la montagne. Toutefois, tout n'est pas revenu à la normale, celle de l'avant-2020 et la crise sanitaire.
Vous avez récemment évoqué les efforts d'adaptation en matière économique et environnementale réalisés par les stations de montagne. De quoi s'agit-il ?
Il nous a été demandé, notamment au niveau des domaines skiables, principales cibles des ONG, de revoir notre copie concernant le damage, lequel était jusqu'à présent thermique. Il est en train de virer pour une partie des machines à l'huile de friture, très exactement au HVO [huile végétale hydrotraitée, ndlr]. La deuxième transformation va consister à passer une partie du parc des machines de damage en électrique et le reste en hydrogène. L'évolution demandée est donc en train de se résoudre beaucoup plus rapidement que prévu. Une fois de plus, la montagne est en train de s'adapter à son environnement bien avant les autres territoires nationaux.
Peut-on chiffrer cet effort ?
C'est un effort conséquent puisque le prix du HVO est une fois et demie à deux fois le prix initial du carburant et une dameuse électrique coûte 30 à 40% plus cher qu'une dameuse thermique. Après, il faut une vraie politique et pas la politique de l'autruche qui plante la tête dans le sable. Si l'on veut de l'électrique et tout décarboner, il faut une vraie politique environnementale de production énergique au niveau national, et pas du photovoltaïque ou de l'éolien qui sont des chimères.
Une étude récente nous apprend que 48% des logements locatifs des stations de montagne sont des passoires énergétiques. Comment appréhendez-vous ce problème alors que les logements les plus mal classés en termes de consommation énergétique seront progressivement interdits à la location ?
C'est un vrai problème, le parc locatif est assez vieillissant, mais il faut mettre en avant le fait que c'est dans les stations qu'on a réalisé le plus d'adaptation des bâtiments en isolant les façades, en changeant les baies vitrées, les fenêtres avec des doubles voire triples vitrages. On tape sur la montagne alors que l'urbain est bien pire que nous au niveau national. Mais je reconnais qu'il faut qu'on avance encore plus vite. Une problématique que l'on a sur ces soi-disant passoires énergétiques, ce sont les copropriétés privées qui refusent les transformations. Là, on a la double peine. Non seulement ce sont des passoires énergétiques et en plus ce sont des lits fermés.
Les stations s'engagent-elles auprès des propriétaires pour engager une rénovation énergétique ?
Il y a de tout. Soit vous avez un accompagnement par un architecte pour rénover les façades, avec les collectivités qui mettent en place des OAP [orientations d’aménagement et de programmation, ndlr] pour permettre des agrandissements par les toits, soit il faut que les copropriétaires acceptent de rénover leurs façades. Parfois les collectivités aident financièrement et, techniquement, mettent en relation leurs services et les copropriétaires, mais il faut une volonté de ces derniers. Et là, nous n'avons pas notre mot à dire s'ils refusent.
Où en est le recrutement de personnels saisonniers dans les stations ?
C'est plutôt encourageant alors que la saison précédente avait été compliquée en raison de plusieurs paramètres. Beaucoup de saisonniers s'étaient dit qu'ils n'allaient pas venir pour se retrouver confinés ou pour repartir immédiatement, comme en 2020. D'autres avaient changé de branche. Par ailleurs, le système d'indemnités chômage n'était pas incitatif puisqu'en ayant travaillé la saison estivale précédente, les saisonniers n'étaient pas obligés de faire la saison d'hiver pour être indemnisés. Aujourd'hui, on ne peut plus se mettre au chômage l'hiver en ayant travaillé uniquement l'été, il faut travailler un minimum de six mois pour être indemnisés. Tout cela réuni fait que nous avons plus de CV, et si tout n'est pas à 100% pourvu, le marché est supérieur en quantité et en qualité par rapport à l'an passé. L'ANMSM a par ailleurs signé un partenariat avec Pôle emploi sur le thème "La montagne ça vous gagne et ça recrute".
Y a-t-il des secteurs où le marché de l'emploi est plus tendu ?
Comme d'habitude, la pénurie est un peu plus prononcée au niveau des hôtels et des restaurants. C'est également un peu plus difficile au niveau des crèches et des garderies. Malheureusement, ce n'est pas simple pour nous, c'est un phénomène national. On en arrive à la même situation que pour les médecins, on met tellement de règles qu'elles en deviennent inapplicables. On se tire une balle dans le pied.
Comment abordez-vous la saison face aux éventuelles coupures d'électricité qui pourraient se produire en janvier ou février 2023 ?
Aujourd'hui, on est plutôt confiant. On se rend compte que pour la principale capacité de production électrique en France que sont les centrales nucléaires, le problème est en train de se résorber, que les entretiens ont été faits. On ne peut pas se passer du nucléaire en France pour produire de l'électricité. La chose compliquée est la corrélation des prix du gaz et de l'électricité. Merci le diktat allemand qui fait qu'on a un prix complètement absurde, c'est de la pure et simple spéculation. Ceci dit, on se rend compte au fil des annonces que si délestage il y a, ce sera seulement quelques jours dans l'hiver avec un maximum de deux heures par jour prédéfinies trois jours à l'avance. On estime le risque de délestage à trois à cinq jours grand maximum pour toute la saison. On s'achemine donc vers un bon fonctionnement cet hiver. Toutes les remontées mécaniques seront ouvertes et les stations fonctionneront cet hiver.
Certaines stations bénéficient-elles des tarifs de leur collectivité en matière d'électricité ?
Bien sûr, car beaucoup de collectivités gèrent directement leur domaine skiable dans le cadre de sociétés d'économie mixte ou de régies. Même si leurs budgets ne sont pas intrinsèquement liés au budget général des collectivités, elles sont très souvent présidées par des élus, des maires, et bénéficient d'un contrat d'achat groupé de l'énergie. Si elles ont eu la chance de le renouveler l'année dernière ou celle d'avant, les tarifs sont bloqués pour cet hiver et celui d'après. Mais tout le monde n'est pas au même régime. 30% des exploitants seront plus en difficulté cet hiver avec des contrats aberrants.
Où en est-on de la transition des stations de moyenne montagne qui, par manque de neige récurrent, se trouvent de plus en plus régulièrement en difficulté ?
La transition est en route et ce n'est pas nouveau. On n'a pas attendu que nos ONG nous tapent dessus pour le faire. Cela fait quinze, vingt ou trente ans pour certaines que l'on a modifié le comportement et la façon de faire et qu'on offre des alternatives. Certaines stations de basse altitude, qui ne sont pas situées sur le bon versant, se sont rendu compte que ce n'était plus possible, ont fermé leurs portes et ont démantelé leur appareillage. Il est faux de penser qu'on peut tous faire la même chose. On a tous des spécificités qui font qu'à un moment il faut s'adapter en fonction de l'aléa climatique. C'est à l'être humain de s'adapter au bouleversement climatique, et non l'inverse. Alors oui, cette transition existe, mais aujourd'hui, c'est tout simplement la clientèle qui choisit où elle veut aller en vacances et ce dont elle a envie. Nous n'allons pas lui imposer ce dont elle n'a pas envie. On ferait bien de regarder ce qui fonctionne et ce qui est bon pour la planète et arrêter le ski bashing.