Irrégularités, plan de relance, Ukraine… le budget européen de plus en plus sous pression
La Cour des comptes européenne vient, pour la cinquième année consécutive, d'émettre un avis défavorable à l'exécution du budget européen pour l'année 2023. Elle constate des irrégularités croissantes, en particulier dans la politique de cohésion, et s'inquiète du poids grandissant de la dette européenne qui a bondi de 32% en un an, sous l'effet du plan de relance NGEU. Les milliards d'euros d'aide accordés à l'Ukraine, sans provisionnement, lui font également craindre des "risques considérables" pour l'avenir...
Il y a comme un téléscopage entre la situation budgétaire de la France, qui lui vaut d'être placée en procédure de déficit excessif par la Commission européenne, et les comptes que l'Union européenne affiche elle-même. Pour la 5e année consécutive, la Cour des comptes européenne a émis un avis défavorable sur l'exécution du budget 2023. A la lueur de son rapport annuel, publié le 10 octobre, à mi-parcours de l'exécution du budget pluriannuel 2021-2027, l'institution tire "la sonnette d’alarme devant les risques financiers croissants qui menacent le budget européen en raison d’une dette record, de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine et d’une inflation élevée".
9,3% d'irrégularités dans la politique de cohésion
Les auditeurs s'inquiètent en particulier d'une augmentation du niveau d'erreur dans l'exercice 2023 : 5,6% sur les 191 milliards dépensés l'an dernier, contre 4,2 % en 2022 et 3,0 % en 2021. Une bonne part de ces erreurs tiennent à des questions "d'éligibilité" (53%), à des infractions aux règles des marchés publics ou aux aides d'Etat. Cette situation est due en grande partie à la politique régionale (Feder, FSE+ et fonds de cohésion), dont le taux d'erreur des dépenses augmente de 3 points à 9,3%. "Les principaux types d’erreur que nous avons quantifiés consistaient en des projets et coûts inéligibles, en des violations des règles en matière de marchés publics ou d’aides d’État, et en l’absence de pièces essentielles", relèvent les auditeurs, qui pointent la pression mise sur les administrations des Etats, du fait des sommes "supplémentaires considérables" apportées par React-EU (le volet territorial du plan de relance européen), de la fin de la période d'éligibilité des dépenses de la programmation 2014-2020 au 31 décembre 2023 et de la fin concomitante de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), le principal pilier du plan de relance post-covid NextGenerationEU (NGEU) financé par un emprunt commun. "L’absence d’informations justificatives est particulièrement préoccupante, car elle porte atteinte à l’obligation de rendre compte", souligne le rapport.
Loin du satisfecit de la Commission européenne, la Cour émet par ailleurs une "réserve" sur l'exécution de la FRR dont les dépenses se sont montées à 53,5 milliards d'euros en 2023 (voir également notre article du 6 septembre). La Commission a effectué 23 paiements de subventions dans 17 Etats membres, en contrepartie de la réalisation de 542 jalons et 135 cibles. Au cours de son audit, la Cour a constaté que "sept jalons et cibles liés à six paiements n’avaient pas été réalisés de manière satisfaisante". Elle a aussi relevé que quatre paiements étaient liés à des cibles et jalons qui avaient démarré avant 2020 et n'auraient donc pas dû être financés par ce biais. Elle cite le cas de la France qui a ainsi fait financer "une liste de sept projets ferroviaires dans le cadre desquels 233,9 kilomètres de nouvelles caténaires ont été installées". Or 4 de ces projets avaient fait l'objet d'un bon de commande antérieur à février 2020…
Enfin, le rapport pointe une trentaine de jalons et cibles de mal définis ou mal conçus qui ont "contribué à une appréciation plutôt discrétionnaire de leur réalisation satisfaisante".
"L’UE est devenue l’un des principaux émetteurs de dette d’Europe"
Autre motif d'inquiétude : le montant record des engagements restant à liquider, c'est-à-dire des fonds qui, s'ils ne sont versés dans les temps à leurs bénéficiaires, se transformeront plus tard en dette. Ces engagements se montent à 543 milliards d’euros contre 452,8 milliards d’euros l'an dernier. La dette de l’UE, elle, a bondi à 458,5 milliards d’euros en 2023, soit une progression de 32% sur un an, due essentiellement aux 268,4 milliards d’euros d’emprunts souscrits dans le cadre du plan de relance. "L’UE est ainsi devenue l’un des principaux émetteurs de dette d’Europe, alors qu’il n’est pas encore certain que la proposition de la Commission européenne en matière de ressources propres générera suffisamment de recettes pour rembourser la dette de NGEU", rappelle la Cour, dans un communiqué. A défaut de ressources nouvelles à partir de 2028 (date du début du remboursement de l'emprunt), ce sont les Etats qui seront mis à contribution.
Les auditeurs s'inquiètent enfin des sommes considérables promises à l'Ukraine sans provisionnement. "L’exposition du budget de l’UE à l’Ukraine est passée de 16 milliards d’euros fin 2022 à 33,7 milliards d’euros fin 2023", constatent-ils. Certains de ces financements reposent sur différents prêts assortis de conditions "très favorables et à rembourser en 35 ans au maximum à compter de 2033". Mais en l'absence de provisionnement, ces prêts font craindre un "défaut de remboursement à des exercices ultérieurs".
En février 2024, le Parlement européen et le Conseil ont mis en place la facilité pour l’Ukraine afin de lui apporter une aide financière supplémentaire de 33 milliards d’euros au cours de la période 2024-2027. Là encore, cette aide ne repose sur aucun provisionnement, ce qui comporte des "risques considérables" pour l'avenir.
Une nouvelle aide de 35 milliards d'euros pour l'Ukraine
A noter que le 14 octobre, les députés de la commission du commerce international au Parlement ont voté en faveur d’un nouveau prêt de 35 milliards d’euros à l’Ukraine. Cette aide s'inscrit dans le montant de 50 milliards d'euros (soit environ 45 milliards d'euros) promis par les membres du G7 en septembre. "Le remboursement de ce prêt exceptionnel AMF, ainsi que les prêts des autres pays du G7, sera assuré par les recettes exceptionnelles d’avoirs immobilisés de la Banque centrale russe", précise le Parlement européen, dans un communiqué. Ces prêts seront mis à disposition d’ici la fin de l’année 2024, avec des décaissements jusqu’à fin 2025. L'Ukraine pourra les utiliser comme elle l'entend, à condition de s'engager à "maintenir des mécanismes démocratiques efficaces, à respecter les droits humains et à d’autres conditions politiques".
Le Parlement est amené à se prononcer sur cette aide lors de la deuxième séance plénière d'octobre, du 21 au 24 octobre.