Mise en œuvre du plan de relance européen post-Covid : la Cour des comptes européenne loin de partager l’optimisme de la Commission
Dans un rapport spécial consacré à l’absorption des fonds de la facilité pour la reprise et la résilience – le plan de relance post-Covid –, la Cour des comptes européenne observe que les fonds peinent à être absorbés et plus encore à atteindre les bénéficiaires finaux. Elle relève qu’un nombre important de mesures prévues dans les plans de relance nationaux doivent encore être prises par les États membres et redoute d’autant plus qu'elles puissent ne pas être totalement menées à bien alors que le règlement de la FRR ne prévoit pas de possibilité de recouvrer les fonds déjà versés.
Qu’il semble loin, le temps où l’on s’écharpait à Bruxelles sur la dotation – 750 milliards d’euros au prix de 2018 – de l’instrument de relance post-Covid, Next Generation EU, principalement constitué par la facilité pour la reprise et la résilience (FRR). Alors jugée insuffisante par certains (Bruno Le Maire réclamait 1.000 milliards d’euros, l’Espagne 1.500, voir notre article du 27 mai 2020), l’enveloppe peine aujourd’hui à être absorbée, comme le relève un rapport spécial de la Cour des comptes européenne publié ce 2 septembre.
Une lente absorption en début de période
Loin du satisfecit que s’est récemment décerné la Commission européenne (voir notre article du 22 février), la Cour observe que si le préfinancement prévu par le dispositif (jusqu’à 13% de l’enveloppe – 5,1 milliards d’euros pour la France, voir notre article du 31 août 2021) a favorisé le décaissement des fonds au début de la période, l’absorption des fonds de la FRR "accuse globalement du retard". Les États membres peinent à présenter leurs demandes de paiement dans les temps (70% seulement de celles devant être présentées avant la fin 2023 l’ont été) et la situation empire, la Cour observant une "tendance à l’allongement" des délais de présentation de ces demandes. Non sans logique, puisque la Cour note également que les États membres peinent à atteindre les jalons et cibles prévus par leurs plans de relance, condition du déblocage des fonds. En octobre 2023, près d’un quart des résultats attendus (24%) manquaient ainsi à l’appel. Pour différentes raisons, que la Cour rappelle : évolution du contexte économique (hausse de l’inflation, pénuries diverses…) ; sous-estimation du temps nécessaire pour mettre en œuvre certaines mesures, singulièrement au regard des règles de la commande publique et de celles gouvernant les aides d’État ; difficulté d’appréhender la nouvelle réglementation – d’autant plus que la Commission a parfois tardé à préciser les règles du jeu, la Cour prenant exemple de la méthode pour décider d’une suspension des paiements fournie "deux ans après le début de la période de mise en œuvre de la FRR" ; ou encore une capacité administrative au sein des États membres jugée insuffisante pour "la mise en œuvre concomitante de plusieurs instruments". Sans parler du "gavage de fonds", explication qu’avait naguère avancée un membre de l’administration française à Localtis (voir notre article du 13 novembre 2023) en évoquant la difficulté à trouver des porteurs de projets suffisamment motivés pour affronter les arcanes de l’administration des fonds.
Last, but not least, la Cour attire l’attention sur le fait que les fonds reçus par les États membres peinent à atteindre les "bénéficiaires finaux" (notion qui diffère d’un État membre à l’autre, déplore la Cour au passage) : elle estime ainsi qu’ "environ la moitié des fonds" seulement aurait été versée à ces derniers.
Le plus gros reste à faire
La situation est telle que la Cour ne dissimule pas ses inquiétudes au vu du "nombre élevé de jalons et de cibles encore à atteindre au cours de la seconde moitié de la période de mise en œuvre". Elle observe que les 73 demandes de paiement soumises avant la fin décembre 2023 portaient sur à peine 28% des 6.234 jalons et cibles figurant dans les plans de relance initiaux des États membres. Ils ont notamment pu être modifiés depuis afin de tenir compte du dispositif REPowerEU (voir notre article du 28 juin 2023) et pourraient encore l’être dans le cadre du dispositif Step (voir notre article du 23 juillet).
Plus encore, elle note que les États membres ont prévu d’atteindre les jalons et cibles relatifs à 39% de tous les investissements (62% dans le cas de l’Italie) et 14% de toutes les réformes envisagés en 2026 seulement, "au cours des 8 derniers mois de la période de mise en œuvre de la FRR". Ces jalons et cibles étant "souvent plus étroitement liés à l’achèvement de mesures et à la réalisation d’objectifs", la Cour souligne que leur non atteinte "risque de compromettre l’absorption des fonds et l’achèvement des mesures concernées". Un risque fort concret, puisque la Cour révèle que "deux États membres seulement ont considéré que l’ensemble des jalons et des cibles seraient sans doute atteints à la date prévue".
Prime aux mauvais élèves ?
Autre problème, la décorrélation entre le degré d’atteintes des jalons et des cibles d’un côté et le pourcentage de fonds décaissés de l’autre. La Cour observe ainsi que fin 2023, la Commission avait "décaissé 37% de l’enveloppe de la FFR en contrepartie de la réalisation satisfaisante de 19% de l’ensemble des jalons et des cibles" seulement. Elle précise encore que "plusieurs États membres devront achever plus de 50% de leurs mesures en 2026, alors que la plupart d’entre eux recevront moins de 20% de leur financement total pour ce faire". Guère motivant, d’autant plus que la Cour souligne que "le règlement de la FRR ne prévoit pas de possibilité de recouvrer les fonds en lien avec des jalons et des cibles déjà atteints si les mesures correspondantes ne sont pas achevées". La tentation pourrait donc être forte pour les États membres de ne pas donner le dernier coup de collier nécessaire pour conduire les mesures convenues, faisant ainsi "peser un risque sur la réalisation des objectifs de la FRR et, par conséquent, sur les intérêts financiers de l’UE". Des intérêts financiers qui risquent par ailleurs d’être fortement mis à mal dans le cas où les nouvelles ressources propres prévues pour rembourser l’emprunt contracté par l’UE pour NextGenerationEU ne seraient pas trouvées (voir notre article du 12 mai 2023). Un sujet que la Cour des comptes européenne s’est, dans le présent rapport, toutefois elle-aussi bien gardé d’évoquer.
Voir la France figurer parmi les bons élèves en matière de fonds européens, voilà qui n’est pas banal. C’est pourtant bien le cas avec la FRR. Il aura ainsi fallu à peine plus de 200 jours au total pour que la Commission évalue son plan de relance, que le Conseil l’approuve et que les arrangements opérationnels soient signés, alors qu’il aura fallu plus de 850 jours à l’Allemagne pour faire de même. Et si Paris fait partie des nombreux États membres qui ont déposé avec retard certaines demandes de paiement (celle prévue au quatrième trimestre 2022 n’est intervenue qu’au troisième trimestre 2023, et celle prévue au quatrième trimestre 2023 a également été décalée, pointe la Cour), la France était fin 2023 en tête s’agissant de la part des fonds décaissés (59%, vs 37% pour la moyenne des Vingt-sept) et la part des jalons et des cibles atteints de manière satisfaisante (53%, vs 19% pour la moyenne des Vingt-Sept). Une avance qui ne s’est pas démentie depuis – la Commission a validé au printemps sa demande de troisième versement (voir notre article du 3 mai, versement effectué le 6 mai dernier) –, la Commission ayant même salué le fait que la France était l’État "le plus avancé de l’UE" en la matière (voir notre article du 22 février). À ce jour, la France a reçu 76,6% des fonds attendus (30,86 milliards). La part des mesures que la France doit achever en 2026 fait également partie des plus faibles (moins de 10%) des Vingt-sept. Paris fait ainsi partie des États membres dont la part des fonds à recevoir cette même année est proportionnellement plus importante (un peu plus de 10%) que la proportion des mesures restant à mettre en œuvre. |