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Instruction en famille : le principe d’autorisation préalable finalement validé par l'Assemblée

Au terme de plus de douze heures de débats passionnés, l'Assemblée nationale a validé vendredi 12 février 2021 un nouveau régime plus contraignant pour l'instruction en famille, la soumettant à une autorisation préalable de l'État, en lieu et place de la simple déclaration actuelle. Pour autant, les familles déjà en instruction à domicile n’auront pas de demande d'autorisation à faire avant trois ans, soit d'ici l'année scolaire 2024-2025.  

Par 78 voix contre 25, et 8 abstentions, les députés ont adopté l'article 21 du projet de loi confortant le respect des principes de la République, qui entend ainsi faire de l'instruction en famille (IEF) l'exception, la règle étant l'instruction dans les établissements ou écoles publics ou privés. Dans le viseur, le "séparatisme" scolaire des islamistes radicaux et autres dérives sectaires. Mais avec 400 amendements, dont près d'une soixantaine en faveur de sa suppression venant de quasiment tous les bords de l'hémicycle, l'article 21 du projet de loi confortant "les principes de la République" est celui qui a jusqu'ici généré le plus d'oppositions ou de réticences jusqu'au coeur même de la majorité.

Transition jusqu'en 2024-2025 

Jeudi matin, pour tenter de désamorcer les critiques, le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a déposé en catastrophe un nouvel amendement pour donner des gages aux contestataires. L'amendement prévoit une période de transition jusqu'à l'année scolaire 2024-2025 "pour les familles qui pratiquent déjà l'instruction en famille et pour lesquelles ce mode d'instruction ne sert pas à des pratiques séparatistes contre lesquelles le présent projet de loi vise à lutter". En résumé, pour le "stock" des familles déjà en instruction à domicile, pas de demande d'autorisation avant trois ans. Seuls les flux entrants des nouvelles demandes d'IEF seraient concernés par la réforme. 

Des contrôles seront opérés au cours de l'année 2021-2022 dans les familles pratiquant déjà l'instruction en famille, pour s'assurer que "ce mode d'instruction ne sert pas à des pratiques séparatistes" et autoriser sa poursuite pour les deux années suivantes. L'avant-projet de loi prévoyait une sévère restriction de l'IEF, conformément au souhait d'Emmanuel Macron annonçant lors de son discours aux Mureaux (Yvelines) en octobre dernier l'interdiction pure et simple de l'IEF, un choix qu'il avait assumé comme "radical". 

Le Conseil d'État, brandissant le risque d'inconstitutionnalité, a finalement contraint le gouvernement à adoucir sa copie. Le texte prévoit que l'autorisation de l'IEF ne pourra être accordée que pour raison de santé, handicap, pratique artistique ou sportive, itinérance de la famille, éloignement d'un établissement, ainsi qu'en cas de "situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif". "L'intérêt supérieur de l'enfant" devra être respecté. 

62.000 élèves en France 

Des députés de tous bords redoutent une menace plus globale sur l'instruction à domicile, qui concernerait quelque 62.000 élèves en France. Selon ses détracteurs, l'article 21 contrevient à la liberté d'enseignement, objet de nombreuses querelles politiques depuis les débuts de la IIIe République. "C'est une agression à l'égard des familles", a dénoncé Charles de Courson (Libertés et Territoires). Pourtant défenseur affirmé de l'école publique, le président du groupe communiste, André Chassaigne, avait annoncé qu'il voterait pour les amendements de suppression de l'article. L'autorisation "sera accordée à géométrie variable. (...) On va aller vers des conflits et de la souffrance", avait affirmé l'ex-principal de collège. "L'école ne répond pas toujours à l'intérêt supérieur de l'enfant", regrette Anne-France Brunet (LREM) pour qui "le gouvernement se trompe de cible en limitant la liberté d'instruction sans savoir si c'est efficace".   

Étoffer les équipes dans les rectorats 

"Toutes les libertés ont besoin d'un encadrement", a défendu Jean-Michel Blanquer. "Nous avons accepté qu'il y ait un recours (...). L'IEF qui se passe bien pourra continuer. Pourquoi faire semblant de penser le contraire ?", a-t-il interrogé. Pour lui, "le sujet, c'est ces petites filles qu'on envoie dans des hangars pour être endoctrinées dès l'âge de 3 ans. Est-ce qu'on veut refuser de voir ça ?". Des propos appuyés par Francis Chouat, qui pointe du doigt la montée de l'IEF dans les communes les plus ghettoïsées de son département (95) "précisément là où il y a des écoles clandestines". Au final, le ministre a aussi promis "d'étoffer nos équipes dans les rectorats" pour mieux contrôler l'IEF. Dans la dernière ligne droite ce vendredi, les députés ont ajouté, au bénéfice des personnes responsables de l'instruction en famille, une validation des acquis de l'expérience.