Infrastructures : Élisabeth Borne annonce "une nouvelle donne ferroviaire" de 100 milliards d'euros d'ici 2040

La Première ministre a annoncé ce 24 février un plan de 100 milliards d'euros d'ici 2040 pour le transport ferroviaire, dont une première concrétisation sera le lancement de "RER métropolitains" dans les grandes agglomérations. Avec les collectivités, la programmation des infrastructures se fera dans le cadre des volets mobilité des contrats de plan État-région (CPER). Élisabeth Borne a assuré que les préfets de région recevront leurs mandats de négociation "dès le mois de mars". La planification précise des infrastructures de transport est attendue d'ici juin.

"L'État souhaite s'engager, aux côtés de la SNCF, de l'Union européenne et des collectivités locales, pour réussir une 'nouvelle donne ferroviaire', de l'ordre de 100 milliards d'euros d'ici 2040", a déclaré Élisabeth Borne ce 24 février, en recevant le rapport que le gouvernement a commandé au Conseil d'orientation des infrastructures (COI). Présidée par le député apparenté Renaissance des Vosges David Valence, cette instance composée d'experts, de parlementaires et de représentants d'associations d'élus locaux (Michel Neugnot, pour les Régions de France, François Durovray pour Départements de France, Louis Nègre pour France urbaine) était chargée de proposer des scénarios d'actualisation de la programmation des investissements de l'État dans le secteur des transports.

Des trois scénarios sur lesquels le COI a planché (lire le rapport), le gouvernement a décidé de prendre pour base de ses échanges avec les collectivités celui dit "de planification écologique" qui s'éloigne du cadrage budgétaire actuel pour ajouter les investissements jugés "les plus pertinents pour faciliter le report modal (de la route vers les transports collectifs, NDLR) et de la décarbonation". Donnant la priorité à la modernisation du réseau ferré et aux transports du quotidien, ce scénario veut également mettre l'accent sur la rénovation des routes et voies d'eau, mais invite aussi à réfléchir deux fois avant de construire de nouveaux axes routiers.

Régénération du réseau ferroviaire et RER métropolitains

Les 100 milliards d'euros annoncés par la Première ministre pour le ferroviaire correspondent à l'estimation des besoins lancée par le P-DG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, qui envisageait cette dépense sur quinze ans. Le COI, lui, recommande d'investir 84,3 milliards d'euros dans l'ensemble des infrastructures de transports entre 2023 et 2027. Concrètement, l'État va commencer par ajouter d'ici la fin du quinquennat 1 milliard d'euros par an aux budgets actuels pour régénérer des voies ferrées vieillissantes - leur âge moyen se situe autour de 30 ans - et 500 millions d'euros pour les moderniser. "Pour nos concitoyens, (…) cela se traduira par davantage de trains, une meilleure ponctualité et des temps de parcours moins longs, a souligné Élisabeth Borne. C'est à ces conditions, et à ces conditions seulement, que le train sera pleinement une alternative attractive et crédible à la voiture."

"D'autre part, nous devons investir dans le développement du réseau, a indiqué la Première ministre. Au-delà de la poursuite des projets de lignes nouvelles engagés et de la relance des trains de nuit, cela passera par le déploiement des RER métropolitains", a-t-elle ajouté. Derrière ce concept, "c'est l'usage du train qui va évoluer, avec des trains plus nombreux, plus réguliers et desservant mieux les bassins de vie", a-t-elle affirmé. "C'est permettre de se rapprocher d'une gare, ou développer les transports en commun ou partagés là où ils sont absents. C'est lorsque nos concitoyens pourront trouver un transport en commun régulier, facilement accessible et fiable, qu'ils pourront réduire leur usage de la voiture", a-t-elle expliqué.

Un nouveau rôle pour la Société du Grand Paris

La Société du Grand Paris (SGP), qui construit actuellement le métro du Grand Paris autour de la capitale, doit travailler en tandem avec SNCF Réseau pour concevoir ces liaisons suburbaines autour d'une douzaine de grandes agglomérations hors Île-de-France, dont certaines comme Strasbourg, Bordeaux, Grenoble et Lyon n'ont pas attendu pour commencer à planifier ces réseaux. La SGP "mettra ses compétences au service des régions et entamera dès le mois de mars des discussions avec les exécutifs locaux concernés pour déterminer le calendrier, les modalités opérationnelles et de financement pour les nouveaux projets de RER métropolitains", a indiqué la cheffe du gouvernement. Des "dispositions législatives nouvelles" seront toutefois nécessaires, "notamment pour élargir les missions de la SGP", a précisé Elisabeth Borne.

"Notre stratégie doit bénéficier à tous les Français, où qu’ils vivent, des petites communes jusqu’aux grandes métropoles, a-t-elle affirmé. C’est notamment pourquoi le développement de ces RER est indissociable du renouveau des petites lignes, cruciales pour la cohésion de notre territoire. Enfin, nous n’oublions pas le transport de marchandises, qui représente une part importante des émissions du secteur. Nous avancerons dans sa décarbonation par la modernisation du réseau ferré, bien sûr, mais aussi des investissements pour la régénération du réseau fluvial, pour la modernisation des grands ports, et en facilitant les connections entre les différents réseaux."

Réseau routier : priorité à l'entretien et à la modernisation

Si le ferroviaire doit être la "colonne vertébrale" de la politique de transports du gouvernement, qui veut également associer l'autopartage, le covoiturage, le vélo... pour "trouver des solutions adaptées à chaque bassin de vie" et "permettre à chacun d'avoir accès à des transports propres, adaptés à sa situation", pas question de "pénaliser" ou d'"oublier" les habitants des territoires ruraux et d'outre-mer pour lesquels la voiture reste indispensable pour la vie quotidienne, notamment  pour se rendre au travail. "Le COI nous invite à réinterroger chaque projet d'extension du réseau routier. Nous le ferons, promet Élisabeth Borne. Certains projets sont attendus depuis longtemps (…). Ce travail de priorisation, je peux vous assurer que nous le mènerons avec objectivité et transparence. Cela ne se fera pas au détriment de la qualité de notre réseau (…). Je peux donc d'ores et déjà vous dire que nous renforcerons nos investissements pour mieux entretenir et moderniser notre réseau routier national."

Côté financement, le "respect des équilibres financiers" reste de mise. Si les collectivités restent "au premier rang" des acteurs impliqués, la Première ministre a évoqué le souhait du gouvernement de "mettre à contribution les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre comme l'aérien et ceux qui dégagent des profits importants comme les sociétés d'autoroute." "Nous devons aussi imaginer des ressources complémentaires car une meilleure desserte, c'est d'abord un soutien pour l'attractivité et le développement économique", a-t-elle ajouté.

Volets mobilités des CPER

"Dans les territoires, la programmation des infrastructures de transport se construira avec les collectivités concernées, en particulier dans le cadre de la négociation des volets mobilités des contrats de plan État-région" (CPER), a rappelé Élisabeth Borne. Les mandats de négociation des préfets seront envoyés "dès le mois de mars" pour que les échanges puissent "commencer au plus vite". "Ces contrats doivent aller au-delà d’une liste d’infrastructures à financer, a-t-elle soutenu. [Ils] devront inclure des engagements réciproques sur l’organisation des mobilités et l’offre de services que les collectivités déploieront autour de ces infrastructures".
"Je souhaite que ces nouveaux contrats permettent de mesurer davantage les effets de notre action, notamment en matière de décarbonation et de report modal, et qu’ils permettent de relier le financement des infrastructures aux usages qui en seront faits, a-t-elle poursuivi. Nous veillerons à ce que l’ensemble des outils de la loi d’orientation des mobilités soient mis en œuvre, en particulier la cartographie des bassins de mobilités et les contrats opérationnels de mobilité. Ce sont des outils précieux pour mieux prendre en compte la réalité du quotidien de nos compatriotes, y compris dans les communes rurales." Les discussions qui vont être engagées doivent permettre de disposer "en juin" d'une planification précise des investissements d'infrastructures de transport, selon Matignon.

Premières réactions des associations d'élus

Parmi les premières associations d'élus à réagir aux annonces d'Élisabeth Borne, Départements de France juge "indispensable que les départements soient associés au plus vite à la négociation du volet mobilité des CPER qui ne peut se limiter à un tête-à-tête entre l’État et les régions pour en déterminer les options stratégiques. Les départements sont en effet gestionnaires de 378.000 km de routes et sont également les financeurs incontournables des infrastructures de mobilité. À ce titre, ils doivent être partie prenante des discussions à part entière et demandent plus globalement que ces contrats évoluent pour devenir des contrats de projets État, régions, départements". Pour Départements de France, le volet mobilité incluant les départements "doit permettre, a minima, la réalisation du scénario de transition écologique avec une attention particulière portée au financement des projets liés à la transformation de la route au service de la décarbonation des mobilités".

L'Association des petites villes de France (APVF) voit dans le plan du gouvernement pour les transports "un signal positif si personne ne reste à quai". Mais elle appelle le gouvernement à "accélérer ses efforts sans plus attendre", jugeant que "l’horizon 2040 est trop éloigné, à l’heure où les zones à faibles émissions mobilités (ZFE) se déploient et suscitent des inquiétudes pour les élus locaux des petites villes." L’APVF rappelle aussi que les petites villes ont été "directement touchées par les successions de crises, toutes plus ou moins liées aux enjeux de mobilité : crise des Gilets jaunes mais aussi crise des prix de l’énergie qui fragilise fortement les ménages périurbains et ruraux pour qui les dépenses contraintes de transport sont particulièrement conséquentes." Elle dit accueillir "favorablement" les annonces du gouvernement concernant le lancement des RER métropolitains, "à la condition que ces derniers bénéficient concrètement aux habitants des zones périurbaines" et juge "nécessaire" que leur mise en œuvre "associe réellement les élus locaux des petites villes". De manière générale, elle réclame une "véritable concertation sur ces sujets entre le gouvernement et les élus locaux mais également entre les échelons de collectivités, dans le contexte de négociation des CPER".