Infrastructures de recharge pour véhicules électriques : pour la Cour des comptes européenne, le compte n'y est pas
Dans un rapport consacré aux infrastructures de recharge pour véhicules électriques, la Cour des comptes européenne déplore les modalités, trop lâches, du soutien apporté par la Commission européenne, qui engendre une concentration des financements – et des bornes – sur quelques États membres, et plus encore sur certains tronçons du RTE-T, ne garantissant pas "l'électromobilité dans l'ensemble de l'UE".
Trois mille. C'est approximativement le nombre de points de recharge pour véhicules électriques ouverts au public qui devraient être installés chaque semaine dans l'Union européenne pour atteindre l'objectif du million fixé par le pacte vert de la Commission, d'après un rapport spécial que vient de publier la Cour des comptes européennes. Un chiffre qui suppose une accélération exponentielle des installations. La Cour constate en effet que le nombre de points de recharge ouverts au public dans l'UE-27 et au Royaume-Uni est passé d'environ 34.000 en 2014 à 250.000 en septembre 2020, un chiffre nettement inférieur à l'estimation de 440.000 points de recharge figurant dans le plan d'action de la Commission de 2017 sur l'infrastructure pour carburants alternatifs. Un plan qui, au passage, prévoyait 2 millions de points de recharge en 2025, chiffre qui a donc été revu à la baisse dans le pacte vert (la stratégie de mobilité durable et intelligente de 2020 prévoyant que 3 millions de points de recharge ouverts au public seront nécessaires en 2030).
Entre 2014 et décembre 2020, la Cour relève qu'environ 343 millions d'euros ont pourtant été alloués à des projets d'infrastructure de recharge électrique (ou à des projets combinant électricité et autres carburants alternatifs) au titre du mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE). Une somme certes non négligeable, mais loin des 3,9 milliards d'euros que la Commission estimait en 2017 nécessaires pour l'infrastructure de recharge électrique à l'horizon 2020, "auxquels pourraient s'ajouter 2,7 à 3,8 milliards d'euros chaque année, à partir de 2021, en fonction de la part des infrastructures de recharge rapide".
Concentration des financements… et des bornes
Le nombre n'est toutefois pas la seule difficulté pointée par la Cour, qui déplore également un déploiement non uniforme de ces infrastructures – dans l'UE-27, l'Allemagne, la France et les Pays-Bas concentrent à eux trois 69% des points de recharge – ou encore des taux actuels d'utilisation des bornes généralement faibles. Un dernier constat qui pourrait toutefois changer rapidement, la Cour relevant que les véhicules électriques ont représenté 10,5% des nouvelles immatriculations en 2020 dans l'UE.
Logiquement, la Cour concentre ses critiques sur les modalités du soutien de la Commission, axé sur le réseau central du RTE-T (réseau transeuropéen de transport), ce qui est "cohérent" (la Commission rappelle d'ailleurs en réponse que "que le MIE soutient le RTE-T et que le RTE-T a un champ d'application géographique clair"), mais "ne permet pas d'éviter les doublons entre bornes de recharge concurrentes et ne garantit pas non plus l'électromobilité dans l'ensemble de l'UE". La Cour déplore que les conventions de subventions ne précisent pas la localisation exacte de l'infrastructure envisagée et ne permettent pas d'empêcher la concentration des financements dans un nombre limité d'États ou de zones. "La Commission n'a pas su veiller à ce que les fonds de l'UE soient affectés là où le besoin en est le plus impérieux", stigmatise la Cour, recommandant à la Commission d'instaurer une distance moyenne entre les points de recharge et d'élaborer une analyse du déficit d'infrastructures afin de déterminer les tronçons insuffisamment équipés et d'en tenir compte pour sélectionner les bénéficiaires des fonds.
La Cour regrette également que ces conventions n'exigent pas de période minimale d'exploitation, ne prévoient pas un quelconque suivi, ne fixent pas d'objectif de performance spécifique, ne garantissent pas un accès non discriminatoire à tous les utilisateurs et ne définissent pas suffisamment les types de bornes de recharge, les méthodes de paiement et la fourniture d'informations harmonisées aux utilisateurs (mais salue le fait que la Commission soit "parvenue à encourager l'émergence de normes minimales communes […] en ce qui concerne les prises"). "Parcourir l'UE au volant d'un véhicule électrique reste compliqué. La disponibilité des bornes de recharge varie d'un pays à l'autre, les systèmes de paiement ne sont pas harmonisés et les utilisateurs n'ont pas accès à suffisamment d'informations en temps réel", conclut la Cour.
Des critiques que conteste en partie la Commission : "Toutes les conventions de subvention contiennent des dispositions concernant l’accès non discriminatoire, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, les paiements ad hoc et l’interopérabilité. L'Agence exécutive pour l'innovation et les réseaux (Inea) assure le suivi de ces projets par des contacts réguliers, des visites de sites et des rapports annuels."
Une implication très variable des États membres
La Cour constate toutefois que la Commission n'est pas seule responsable. Elle rappelle que la proposition initiale de cette dernière concernant la directive sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs (Afid) prévoyait un nombre minimal de points de recharge dans chaque État membre (pour un total alors fixé à 800.000 points dans l'UE à l'horizon 2020), qui n'avait n'a pas été retenu par les colégislateurs. La directive de 2014 ne fixe pas de nombre minimal de points de recharge et, à titre indicatif seulement, un ratio d'un point de recharge ouvert au public pour dix véhicules électriques, sans tenir compte de la répartition géographique, de la densité de population ou de la couverture du réseau. La Commission souligne de son côté qu'elle "n’est pas habilitée, au titre de la directive Afid, à coordonner le déploiement d’infrastructures dans les États membres, lequel relève de la seule responsabilité" de ces derniers.
La Cour pointe d'ailleurs le fait que seuls dix cadres d'action nationaux notifiés en 2016, prévus dans le cadre de la directive et qui devaient notamment inclure la planification du déploiement des infrastructures, présentaient des objectifs chiffrés de nature à garantir au moins un point de recharge accessible au public pour dix véhicules électriques à l'horizon 2020. Un ratio aujourd'hui atteint par douze États membres, précise la Commission, qui enfonce le clou en soulignant non seulement que "les objectifs varient considérablement d’un État membre à l’autre en termes d’ambition", mais encore que "certains États membres accusent également un retard alors que l’objectif qu'ils s’étaient initialement fixé n’était pas ambitieux".
Parcours du combattant pour l'obtention d'emplacements… et manque de combattants
Dans son rapport, la Cour relève encore que "l'obtention d'emplacements éligibles peut tourner au parcours du combattant pour les bénéficiaires. Non seulement ils sont tenus de remplir la principale condition d'éligibilité selon laquelle les bornes doivent être situées sur le réseau central du RTE-T, mais ils peuvent aussi être confrontés à des procédures d'autorisation longues et variées, au problème du nombre limité de concessions disponibles le long des autoroutes et à la concurrence croissante d'autres exploitants de points de recharge. Dans certains cas, les conditions défavorables proposées par les propriétaires fonciers et les gestionnaires de réseaux électriques aggravent la situation, obligeant les bénéficiaires à chercher d'autres emplacements". Mais elle ne délivre ici aucune recommandation.
La Commission souligne pour sa part "qu’il n’y a toujours pas suffisamment d’exploitants de points de recharge ni de fournisseurs de services de mobilité dans l’ensemble de l’UE qui proposent des réseaux denses dans le cadre de l’'itinérance' et couvrent des zones géographiques importantes pour répondre aux besoins des utilisateurs".