Inflation : toutes les petites villes ne sont pas logées à la même enseigne
L'inflation galopante affecte les villes de 2.500 à 25.000 habitants avec une intensité variable, selon une étude de la Banque postale pour l'Association des petites villes de France (APVF). Les marges de manœuvre de ces communes sont très hétérogènes. Les villes de moins de 5.000 habitants sont pénalisées par une part plus lourde des factures d'énergie dans leur budget.
Avec une progression de leurs ressources de 2,9% et, en parallèle, une croissance de leurs dépenses de fonctionnement de 2,8%, les 4.095 petites villes que compte la France ont terminé l'année 2021 en meilleure santé. Leur épargne brute – différence entre les recettes de fonctionnement et les dépenses de fonctionnement – s'est élevée à 5,2 milliards d'euros, en hausse de 3,6%. Ces villes comprises entre 2.500 et 25.000 habitants ont ainsi pu porter leurs dépenses d'investissement (hors remboursements de la dette) à 8,3 milliards d'euros en 2021, soit 314 euros par habitant en moyenne (+ 4,3%). Dans le même temps, l'endettement de leurs budgets principaux a reculé de 2,7% pour atteindre 20,5 milliards d'euros (soit 780 euros par habitant). "La très grande majorité des petites villes avaient, fin 2021, une situation de leur dette qui était tout à fait satisfaisante", selon Luc-Alain Vervisch, directeur des études de la Banque postale, qui présentait à la presse, ce 6 décembre, une étude financière réalisée pour l'Association des petites villes de France (APVF). Par ailleurs, la trésorerie des petites villes a progressé de 13% l'an dernier. En fin d'année, elle s'établissait à 11,4 milliards d'euros (c'est-à-dire 434 euros par habitant).
Mais, si l'année 2021 est celle d'"un vrai rebond" pour les petites villes, elle "cache des disparités très importantes" entre les communes de cette catégorie, a souligné Luc-Alain Vervisch. En témoigne l'hétérogénéité des niveaux d'épargne brute des petites villes, c'est-à-dire les sommes qui permettent de financer une part substantielle de l'investissement et de rembourser les emprunts. Si celle-ci s'établissait à 198 euros par habitant en moyenne en 2021 pour l'ensemble des petites villes, elle ne dépassait pas 122 euros par habitant pour un quart d'entre elles. 43 d'entre elles présentaient même "une épargne brute négative". Mais, par ailleurs, un quart des petites villes avaient une situation florissante, avec une épargne brute supérieure à 241 euros par habitant.
Charges de centralité
L'inflation frappe donc en 2022 des petites villes dont la situation "était fortement améliorée" et d'autres qui, à l'inverse, "conservaient des fragilités", a pointé le directeur des études de la Banque postale. Selon le profil des communes, "la réaction à la crise n'est pas du tout la même".
L'intensité du choc varie par ailleurs en fonction de la part des dépenses énergétiques dans les dépenses réelles de fonctionnement des petites villes. Celle-ci s'élevait en moyenne à 45 euros par habitant en 2021, représentant 4,5% des dépenses réelles de fonctionnement de ces communes. Mais, le poste énergie pouvait dépasser 10% de ces dépenses dans certaines petites villes.
L'étude met aussi en évidence la sensibilité plus grande des budgets des villes comprises entre 2.500 et 5.000 habitants, lesquelles représentent plus de la moitié des petites villes (54%) et 30% de leur population totale. Ces communes consacraient en effet 5,3% de leurs dépenses de fonctionnement en 2021 à leurs factures d'énergie (contre seulement 3,8% pour les villes de 15.000 à 25.000 habitants).
Les petites villes qui ont des "charges de centralité" - parce qu'elles accueillent des équipements servant à l'ensemble des habitants d'un bassin de vie - subissent de plein fouet l'explosion des prix de l'énergie, a souligné Christophe Bouillon, le président de l'APVF. D'autant plus si la responsabilité de ces équipements n'a pas été transférée à l'intercommunalité. Ce qui serait davantage le cas des villes de petite taille que des plus grandes (100.000 habitants et plus).
Fermetures de services publics
La situation se présente comme un casse-tête pour les petites villes. Leurs élus peinent à trouver des économies permettant de compenser la hausse des factures d'énergie. Ils ne peuvent "tirer un trait" que sur peu de dépenses, comme l'explique le président de l'association. La plupart sont en effet "quasi automatiques", comme les frais de personnels, qui constituent de loin le premier poste de dépenses de fonctionnement (57%).
Le filet de sécurité mis en place pour 2022 pour compenser en partie les dépenses supplémentaires liées aux factures d'énergie et à la revalorisation du point d'indice de la fonction publique devait apporter une bouffée d'oxygène. Mais il est "tellement bardé de critères qu'il est largement inefficace", a critiqué Antoine Homé, premier vice-président de l'APVF. Selon les estimations de la Banque postale, un peu plus d'un millier de petites villes seraient éligibles au dispositif (soit un quart d'entre elles) pour un montant de 174 millions d'euros.
Très critique sur les amortisseurs électricité, cette "usine à gaz", Antoine Homé a déploré de nombreux trous dans la raquette. Pour les collectivités qui sont dépendantes des livraisons de gaz, aucune compensation n'est prévue, a-t-il précisé. Pourtant, "toutes les collectivités ont été incitées à remplacer leurs chaudières au fioul par des chaudières à gaz". Le maire socialiste de Wittenheim a appelé à un retour des tarifs régulés pour le gaz et l'électricité.
"Les maires sont dans un état d'angoisse et d'inquiétude extrême", s'est-il alarmé. L'élu anticipe des fermetures définitives de services publics touchant par exemple des équipements culturels - tels que des "petits musées". De son côté, Christophe Bouillon constate "l'accélération des fusions d'équipements", citant l'exemple "des écoles qui commencent à être regroupées". Certains de ses collègues envisageraient également la désacralisation de certaines églises. "C'est assez inédit", s'est-il inquiété.
Fonds vert très attendu
Les élus de l'APVF se sont par ailleurs montrés pessimistes sur les perspectives de l'investissement local. Un report des dépenses d'entretien de la voirie et des réseaux n'est pas une solution, ont-ils pointé. En effet, les investissements ultérieurs seront plus coûteux, du fait que les équipements se seront dégradés.
Le fonds vert de près de 2 milliards d'euros pourrait aider les petites villes et, plus largement, les collectivités à financer leurs investissements. "Mais il faut aller vite, a déclaré Christophe Bouillon, car c'est en ce moment que les maires prennent leurs arbitrages." "Il faut que l'intendance suive. Quand un maire décrochera son téléphone pour appeler la préfecture, il faudra qu'on lui dise vite : 'votre dossier, on le prend ou pas'."
Luc-Alain Vervisch a introduit une touche d'optimisme dans ce tableau. "Un certain nombre" de petites villes présentant un endettement faible se trouvent "dans une situation qui leur permet tout à fait, si elles le veulent, de poursuivre une stratégie d'investissement volontaire, en dépit des difficultés budgétaires que la crise inflationniste fait peser sur elles".