Archives

Finances et gestion locales - Immobilier et patrimoine : un rapport critique l'absence de stratégie des collectivités

Le gouvernement vient de transmettre au Parlement plusieurs rapports commandés dans le cadre de la revue des dépenses. L'un d'eux traite du gigantesque patrimoine que possèdent les collectivités territoriales et dont la gestion est largement perfectible : écoles, routes, équipements culturels et sportifs, réseaux... Il propose des pistes qui pourraient permettre aux collectivités de réaliser jusqu'à un milliard d'euros d'économies dès la première année.

Malgré la réduction moins forte que prévue de la baisse des dotations en 2017, les collectivités continueront à l'avenir à rechercher de nouvelles sources d'économies et de recettes. Un rapport de trois services d'inspection que le gouvernement vient de communiquer aux commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat tombe à pic. Réalisé, comme onze autres rapports, dans le cadre de la revue des dépenses, le document, que Localtis s'est procuré, fournit des pistes pour optimiser la gestion et la valorisation du patrimoine des collectivités territoriales.
L'enjeu est considérable du fait de l'ampleur de ce patrimoine, qui comporte notamment plus de 38.000 établissements scolaires tous niveaux confondus, plus d'un million de kilomètres de routes, 900.000 kilomètres de réseaux de distribution d'eau, 80.800 stades et structures sportives extérieures, 17.700 gymnases et salles de sport, 45.000 églises et 2,6 millions d'hectares de forêts... La valeur totale de l'ensemble des biens mobiliers et immobiliers appartenant aux collectivités s'élève à quelque 1.333 milliards d'euros et elle n'a cessé de progresser, puisqu'elle est 3,4 fois plus importante qu'en 1978 (en euros constants).

Jusqu'à 1 milliard d'euros d'économies dès la première année

Pour entretenir ce patrimoine, les collectivités – au premier rang desquelles les communes - dépensent chaque année 28 milliards d'euros, dont la moitié est destinée à la rémunération des agents. Mais certaines collectivités ont dans ce domaine "des dépenses supérieures à la médiane des communes et une croissance plus dynamique que la moyenne". Si ces communes ramenaient leurs dépenses au rythme de l'évolution annuelle moyenne constatée pour l'ensemble des communes, elles obtiendraient une économie de 225 millions d'euros "dès la première année".
En outre, la mission a repéré des "économies pérennes" à partir de la maîtrise de l'évolution de quatre postes de dépenses liées à l'entretien du patrimoine : l’électricité, l’entretien et la réparation des bâtiments, les fournitures d’entretien et de petit équipement ainsi que les assurances. Sur ces quatre postes de dépenses, des économies comprises entre 222 et 746 millions d'euros pourraient être réalisées.
Au total, la mission détermine "une cible d’économies potentielles" comprise entre 450 millions et près de 1 milliard d'euros "dès la première année". La promesse est belle. Mais elle est inférieure aux 3 à 5 milliards d'euros d'économies "à moyen terme" et "a minima" qu'escomptaient les ministres en charge du Budget et des Collectivités territoriales dans leur lettre de mission.
Amenées à optimiser leurs dépenses d'entretien du patrimoine, les collectivités sont appelées cependant à accroître leurs efforts financiers dans ce domaine. "Les dépenses effectives de réhabilitation (qui représenteraient tout au plus entre 50% et 60% des dépenses d’investissement totales des collectivités) pourraient être insuffisantes pour assurer le maintien en l’état du patrimoine existant", s'inquiètent les hauts fonctionnaires de l'Etat. Ils ne sont pas les premiers à tirer la sonnette d'alarme. On sait déjà par exemple qu'à effort inchangé, il faudra 160 ans pour renouveler complètement les canalisations d'eau potable. Vieillissant, le réseau prend fuite : sur quatre litres, un est perdu avant d'être distribué au robinet.

Nouveaux investissements : être plus sélectif

La recommandation de la mission a déjà été avancée par la Cour des comptes : il s'agit de sélectionner avec plus de rigueur les nouveaux investissements, notamment par une utilisation plus systématique des évaluations précédant les projets. Ces évaluations seraient d'autant plus utiles que chaque nouvel investissement génère des charges de fonctionnement supplémentaires, estimées chaque année en moyenne à 14% du coût de cet investissement. Pour améliorer le financement de l'entretien du patrimoine, la mission préconise par ailleurs, sur le plan comptable, de renforcer les obligations d'amortissement des collectivités.
Mais le patrimoine n'est pas seulement une source de coûts pour les collectivités. Celles-ci en tirent des recettes, évaluées en 2014 à 8 milliards d'euros. Cette année-là, la valorisation du patrimoine local (revenus locatifs, permis, stationnement, péage, redevances d'utilisation du domaine…) a rapporté 5 milliards d'euros et les produits de cessions 3 milliards. Pour les opérations de cessions comme pour la passation de conventions d’occupation du domaine public, la mission propose un renforcement des obligations de publicité permettant une mise en concurrence. L'objectif est autant d'accroître la transparence que de permettre une meilleure valorisation.
Par ailleurs, l’ouverture aux plus grandes collectivités de la possibilité qu'ont l'Etat et les hôpitaux de déclasser un bien par anticipation "serait de nature à leur donner plus de souplesse pour la conduite de leurs opérations de cessions", estime la mission. Qui, au passage, recommande de maintenir la mission de France Domaine en matière d'évaluation de la valeur des biens que les collectivités envisagent de vendre. On se souvient que début 2013, le Conseil immobilier de l'Etat avait préconisé l'abandon de cette mission.

Des inventaires à parfaire

Tout autant pour faire face au défi de la réhabilitation de leur patrimoine que pour optimiser sa gestion, les collectivités ont besoin d'en avoir une parfaite connaissance. Or sur ce terrain, les progrès à réaliser sont importants. La Cour des comptes l'avait déjà constaté. Certes, "la plupart des collectivités disposent d'un inventaire physique de leurs biens". Mais, ajoute la mission, cet inventaire "ne contient pas suffisamment d'informations" pour mener une véritable politique patrimoniale. Les terrains et la superficie des bâtiments sont parfois absents.
Un chiffre donne une idée de l'ampleur du travail qui attend les collectivités : moins de 30% des communes et des EPCI disposent d’une vision d’ensemble de l’état de leur parc immobilier et de ses éventuels besoins de réhabilitation. A contrario, certaines collectivités sont citées en exemple, comme les villes d'Albi et de Besançon, les métropoles de Toulouse et de Lyon et le département de l'Ardèche. Ces collectivités et EPCI ont mis en place des schémas directeurs pour la gestion de leur patrimoine. Certains d'entre eux ont su aussi réunir au sein d'un même service des compétences qui étaient éclatées entre plusieurs directions, ce qui était une difficulté pour mener une politique patrimoniale, fait remarquer la mission. Qui, en outre, recommande sur le plan comptable la mise en place d'un compte financier unique à la place du compte administratif et du compte de gestion. "Ces deux comptes ne permettent pas d’avoir une vision d’ensemble unifiée des enjeux patrimoniaux d’une collectivité", critiquent les inspections.
Les deux autres rapports établis dans le cadre de la revue des dépenses et remis aux parlementaires traitent des budgets annexes et des politiques d'achat des collectivités territoriales. Localtis rendra compte dans ses prochaines éditions des constats et propositions qu'ils dressent. En sachant que d'autres rapports directement en lien avec le secteur public local doivent encore être déposés (sur la formation initiale des fonctionnaires, l'optimisation des interventions en faveur du sport et la gestion du fonds de compensation pour la TVA). Et l'on sait qu'ils ne resteront pas dans les tiroirs. Sur la gestion du FCTVA, par exemple, le président de la République a annoncé début juin lors du congrès des maires de France une série de simplifications qui passeront par le vote de dispositions dans le projet de loi de finances pour 2017 qui sera discuté à l'automne.