Handicap : rentrée chaotique pour la prise en charge par l'État des AESH durant la pause méridienne

La réforme récente visant à faire prendre en charge par l'État l'accompagnement des élèves en situation de handicap lors de la pause méridienne dès la rentrée 2024 ne s'est pas concrétisée sur le terrain. Les collectivités font remonter de nombreux cas de manquements.

"Depuis la rentrée, c'est de ça qu'on parle." Quand on l'interroge sur la mise en place de la réforme de la prise en charge des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) à l'heure de la cantine, Émilie Kuchel, présidente du RFVE (Réseau français des villes éducatrices) et adjointe au maire de Brest chargée de l'éducation, n'esquive pas les difficultés. Alors que la loi du 27 mai 2024 a mis à la charge de l'État, en lieu et place des collectivités, la rémunération des AESH durant la pause méridienne dans les écoles et établissements scolaires publics et privés sous contrat, la mise en œuvre de cette mesure est loin d'être effective en cette rentrée 2024.

Partout en France, les cas de manquements se multiplient. On en recense à Saint-Colomban (Loire-Atlantique), à Roanne (Loire) et dans de très nombreuses autres communes. À chaque fois, la mécanique semble la même, qui met en avant l'absence de relais entre la collectivité et l'Éducation nationale pour transférer le contrat des AESH de l'une à l'autre. "On n'a aucune nouvelle. Quand on interpelle les directeurs académiques, ils ne sont pas au courant. Ils ne savent pas comment ça se met en place. Je ne connais pas une ville qui m'a dit qu'elle avait un retour de son académie", s'insurge Émilie Kuchel.

Quand les communes paient pour l'État...

Pourtant, le ministère de l'Éducation nationale semblait avoir bien préparé le terrain. Une note de service du 24 juillet 2024 détaillait à toute la chaîne hiérarchique, des recteurs jusqu'aux chefs d'établissements, la marche à suivre (lire notre article du 26 juillet). Et tout devait être prêt pour la rentrée du 2 septembre. Au cœur du processus aujourd'hui en panne : la signature – obligatoire – d'une convention entre l'État et la commune ou l'EPCI compétent pour toute intervention d'un AESH dans les activités de la pause méridienne. Un modèle de convention était même annexé à la note de service. "Dans nos villes, explique Émilie Kuchel, nous faisons approuver les conventions par nos conseils municipaux et on attend un retour de l'Éducation nationale. À Brest, la convention passera au conseil municipal d'octobre, avant d'avoir les réponses du rectorat. Ainsi, quand le rectorat sera prêt, on sera prêt."

En attendant, de nombreuses collectivités ont choisi de prendre le salaire des AESH à leur charge, à la place de l'État, pour ne pas léser les familles concernées. C'est le cas à Brest, mais aussi à Rézé (Loire-Atlantique), où la commune vient de recruter dix-sept animateurs pour accompagner vingt-trois enfants porteurs de handicap sur le temps du midi, ou à Saint-Léger-sous-Cholet (Maine-et-Loire).

... et l'accompagnement en classe est réduit

Dans les cas où le salaire des AESH sur le temps méridien a bien été pris en charge par l'État, on voit parfois surgir un nouveau phénomène : certaines académies ont soustrait le temps de présence durant la pause méridienne du temps de présence en classe. Autrement dit, lorsqu'un AESH accompagne un élève six heures par semaine à la cantine, ces six heures sont enlevées du temps d'accompagnement pendant le temps scolaire, comme le cas a été révélé en Vendée. Raison invoquée par les rectorats : le manque de quotas d'heures supplémentaires pour faire face à cette nouvelle charge. "Les villes sont un peu choquées", commente Émilie Kuchel. 

Cette question est également remontée chez les syndicats d'enseignants, qui remarquent que ce glissement de l'intervention des AESH du temps scolaire vers le temps méridien méconnaît l'un des objectifs de la loi du 27 mai : augmenter le temps de travail des AESH, et donc leur rémunération, afin de tendre vers le temps plein, alors que leur semaine se réduit souvent à vingt-quatre heures. Dans une lettre à la ministre de l'Éducation nationale datée du 19 septembre, le Syndicat national des écoles (SNE) écrit : "L'accompagnement des élèves sur le temps méridien devait constituer une possibilité pour les AESH d'augmenter leurs revenus tout en améliorant la qualité de vie scolaire des élèves accompagnés." 

La nouvelle ministre attendue sur le dossier

Quelques jours plus tôt, s'adressant à la directrice générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), le Sgen-CFDT rappelait que si la circulaire de rentrée visait "le recrutement des AESH qui le souhaitent à temps complet", dans les faits, le temps d'accompagnement notifié par la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) est "réparti à la fois sur le temps scolaire et sur la pause méridienne, [ainsi] le temps d'accompagnement de l'élève sur le temps scolaire est réduit [et] la quotité de travail des AESH reste la même au lieu d'augmenter". "Quand les collectivités sont montées au créneau [pour la prise en charge par l'État], notamment pour aider les petites collectivités en difficulté, ce n'était pas pour que les AESH perdent du temps scolaire", ajoute Émilie Kuchel.

"Cela va peut-être se décanter maintenant qu'on a une ministre de l'Éducation nationale", conclut cependant l'élue bretonne. Anne Genetet, nouvelle locataire de la rue de Grenelle a d'ailleurs, lors de la passation de pouvoir, le 23 septembre, indiqué qu'elle faisait de l'inclusion scolaire l'une de ses priorités. La balle est désormais dans son camp... et le temps presse.