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Services publics - Gestion déléguée : cap sur les municipales

Gestion déléguée ou directe ? A quelques mois des élections municipales et de l'échéance de 2015, date à laquelle de nombreux contrats devront être renouvelés, la question va se poser avec acuité, dans un contexte de restrictions budgétaires. Un colloque réalisé par l'Institut de la gestion déléguée a permis de mesurer les progrès réalisés par la gestion déléguée depuis la loi Sapin qui fête ses vingt ans cette année. Toutefois, la comparaison entre les deux modes de gestion reste difficile. Le colloque a aussi été l'occasion de mettre en avant les perspectives de ce savoir-faire français à l'international, malgré la "douche" du secteur de l'eau exclu de la directive Concessions.

Il y a vingt ans, la loi Sapin était promulguée pour assainir la vie publique. L'un de objectifs de cette loi "relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques" était de mieux encadrer les délégations de service public jusque-là très peu réglementées. Pour fêter cet anniversaire, l'Institut de la gestion déléguée (IGD) a organisé, le 10 octobre, un grand colloque dans les locaux du Conseil économique, social et environnemental, au palais d'Iéna. A cinq mois des élections municipales, ce colloque a pris la forme d'un plaidoyer pour la gestion déléguée alors que, ces dernières années, un mouvement de communes tentées par la "remunicipalisation" de certains services s'est fait jour. En 2012, un réseau baptisé France Eau Publique s'est même constitué autour de villes ayant fait ce choix dans le domaine de l'eau. Le phénomène n'est pas limité à de petites communes, Paris est revenu à la régie il y a trois ans. Mais peu de temps après, le Syndicat des eaux d'Ile-de-France (Sedif) faisait le choix inverse en confiant sa gestion à Véolia. Preuve que, dans cette affaire, rien n'est définitif.  Alors assiste-t-on vraiment à une remunicipalisation ? L'IGD a voulu en avoir le coeur net. La première édition de l'atlas de la gestion des services publics locaux dans les grandes villes, coréalisé avec l'AMGVF (Association des maires de grandes villes de France) montre que la question transcende les courants politiques. Un tiers des collectivités disent s'interroger sur l'opportunité de changer de mode de gestion pour la distribution de l'eau, 29% pour la petite enfance, 25% pour la restauration collective... Mais c'est aussi vrai pour les services en régies que ceux en DSP... Or de nombreux contrats vont arriver à échéance en 2015. Et dans le contexte budgétaire actuel, la question de l'efficacité du service à moindre coût va se poser de manière criante. Or la ministre de la Réforme de l'Etat et de la Décentralisation, Marylise Lebranchu, a constaté de nets progrès dans la gestion déléguée, résultant de la loi Sapin : "Les chambres régionales lisent les contrats, les avenants. Ce n'est pas un idéal mais c'est un vrai levier quand les charges d'investissements sont trop lourdes", a-t-elle déclaré, tout en se montrant pragmatique : "Il faut voir les choses au cas par cas, service par service", dans le respect du principe de libre administration des collectivités. "La délégation génère un besoin important d'ingénierie pour les élus", a-t-elle aussi souligné, encourageant la mutualisation des services, sujet de discussion actuel entre le gouvernement et l'Association des maires de France (AMF).
Le président de l'AMF, Jacques Pélissard, est sur la même ligne : "Jamais l'AMF n'a plaidé pour un ou l'autre […], il n'y a plus d'oukase entre tel ou tel mode", a-t-il assuré. Cependant le maire de Lons-Le-Saunier (Jura) reconnaît lui aussi que la gestion déléguée a fait des progrès : "Nous sommes dans une relation équilibrée : les élus ont les moyens de traiter d'égal à égal avec les groupes privés."

Un quart des services dans l'eau et l'assainissement

Aujourd'hui, la gestion déléguée a essaimé dans la plupart des secteurs. Dans l'eau et l'assainissement, les délégations représentent un quart des services. Mais 60% de la population pour ce qui est de l'eau, 40% pour l'assainissement. L'atlas de l'IGD a montré que les délégations sont plus répandues pour les services qui nécessitent d'importants investissements : 84% des grandes villes délèguent la gestion des palais des congrès et zéniths et 52% la distribution d'eau. En revanche, elles préfèrent largement gérer elles-mêmes leur éclairage public (76%), leurs cantines (72%) ou leurs crèches (69%)...
Derrière le choix se pose la question des tarifs. Les collectivités qui sont revenues à la gestion directe ces dernières années mettent en avant les prix plus élevés de la gestion déléguée. Paris se félicite ainsi que son eau soit 40% moins chère que celle du Sedif. "C'est une vieille antienne que la gestion directe est plus chère que la régie. Beaucoup d'études ont montré que ce n'était pas le cas. A qualité égale, la gestion déléguée n'est pas plus chère", a rétorqué Antoine Frérot. Le PDG de Véolia a cependant reconnu que la "vérification était très difficile". A chaque renégociation des contrats pourtant, les entreprises sont amenées à revoir leurs tarifs à la baisse pour obtenir le marché. Entre 1998 et 2010, les tarifs des délégataires ont ainsi baissé de 14%, selon AgroParisTech. Et la durée des contrats a fortement diminué. Elle est passée à onze ans en moyenne. 
Mais l'eau est le secteur qui suscite le plus de polémiques du fait de sa très forte concentration autour des deux géants, Véolia et Suez. L'avantage semble toujours revenir à la régie : 3 euros le m3 contre 3,57 pour la gestion déléguée (prix de 2008), selon une étude Ifen-SOeS. "On a des écarts de 20 à 25% au départ, cependant, quand on compare tout [population, traitements, longueurs des réseaux, ndlr] on arrive à des prix équivalents, il n'y a donc pas d'avantages", a nuancé Stéphane Saussier, professeur d'économie à l'IAE de Paris-Sorbonne.
Louis-Roch Burgard, le président de Vinci Concessions, est plus direct. Selon lui "la gestion déléguée entraîne un mécanisme vertueux avec un moindre coût pour la collectivité et une qualité de service supérieur pour l'usager".
Encore faut-il convaincre les Français qui sont 58% à préférer la gestion directe, selon la dernière enquête BVA pour l'IGD, même si cette proportion a diminué au fil des ans. "Notre objectif doit être de faire progresser la connaissance et la compréhension de ce partenariat. J'ai la conviction de la force collective du dialogue à trois entre l'autorité organisatrice, le délégataire et l'usager-citoyen", a déclaré Hubert du Mesnil, le président de l'IGD. "C'est le grand brouillard, le citoyen ne se retrouve pas, a renchéri Marylise Lebranchu. On mélange partenariat public-privé, concession, marché public..."
A l'IGD, on dénonce aussi le manque de transparence des régies. L'institut plaide pour un contrôle systématique des chambres régionales des comptes et pour le recours à des indicateurs de performance, seuls à même de fournir des éléments de comparaison fiables.

Concurrence asiatique

S'il est difficile de démontrer tous les bénéfices de la gestion déléguée, elle a en tout cas permis de doper les entreprises. "La loi Sapin a un bilan tout à fait positif", a assuré Jean-Marc Janaillac, président de l'Union des transports publics et PDG de Transdev. Alors que 90% des réseaux de transports publics en France sont aujourd'hui en gestion déléguée, "la loi a permis de 'professionnaliser la profession'", a-t-il souligné. Selon lui, "les trois grands opérateurs en France [Kéolis, Véolia-Transdev et RATP, ndlr] sont parmi les cinq principaux opérateurs mondiaux".
Les réalisations en France comme le viaduc de Millau, le tramway de Montpellier habillé par Christian Lacroix, la fibre optique de l'agglomération de Laval ou l'Autolib' servent aujourd'hui de vitrine pour conquérir les marchés mondiaux alors que l'urbanisation croissante ouvre de nombreuses perspectives, notamment avec les villes durables (Smart Cities). Et les Français font figure de pionniers de la gestion déléguée. "Ce sont ces villes extraordinaires qu'on a de plus précieux. C'est ce que nous devons vendre", a martelé le maire de Grenoble, Michel Destot, qui multiplie les voyages dans les pays émergents. Jean-Pierre Farrandou, le président de Kéolis, très présent sur le marché américain, abonde dans ce sens. "La bataille de la délégation de service public est en train d'être gagnée dans le monde. [...] Nous pouvons, grâce à ces vingt ans, démontrer notre expérience. On a fait les trois quarts du chemin quand on fait visiter Lyon, Grenoble...", s'est-il enthousiasmé. 
Là encore, rien n'est acquis et la bataille s'annonce de plus en plus rude. "Ce que je vois poindre, c'est la concurrence asiatique, a témoigné Jean-Louis Chaussade, le directeur général de Suez Environnement. Dans nos métiers, vous avez cinq grands groupes chinois qui seront nos concurrents à l'international demain. A travers la Sasac, l'Etat chinois a une vision : la concurrence est extrêmement limitée entre eux. Nous sommes suffisamment forts en France pour résister mais partout ailleurs, ils seront présents, en Afrique, en Amérique latine, en Asie..." 

Michel Tendil

 

Directive Concessions : Marylise Lebranchu fait son mea culpa

L'exclusion de l'eau de la directive sur les contrats de concession est jugée "catastrophique" par la ministre de la Réforme de l'Etat, Marylise Lebranchu. "On n'a pas été bons collectivement. Il faut être beaucoup plus présent au niveau européen", a-t-elle reconnu, le 10 octobre, lors du colloque de l'IGD consacré aux vingt ans de la loi Sapin. La France est en effet passée à côté de cette négociation entre le Parlement et le Conseil qui, sur pression de l'Allemagne, a abouti cet été à l'exclusion de l'eau du champ de la directive. Celle-ci a fixé un seuil de cinq millions d'euros à partir duquel s'appliquera la nouvelle réglementation. "L'eau sort alors que l'assainissement y rentre", fait-on remarquer à l'IGD.
La directive visait à combler un vide juridique en Europe, puisque les concessions de services publics, à l'inverse des travaux publics, n'avaient pas de texte propre. De prime abord, avec la loi Sapin, la France n'était pas vraiment concernée. Mais avec l'exclusion de l'eau, le coup sera rude pour les sociétés françaises qui ne pourront pas exporter leur modèle de gestion déléguée. Or aujourd'hui, la France compte l'essentiel des concessions d'eau en Europe. "La loi Sapin est meilleure que la directive. Il faut continuer à être très présent au niveau européen", a fait valoir Marylise Lebranchu, au risque, sinon, "de perdre des perspectives de marché pour des raisons de concurrence".
La directive Concession doit être votée au Parlement au mois de novembre 2013. L'enjeu réside aussi dans la transposition qu'en fera la France. L'IGD plaide pour un maintien des dispositions de la loi Sapin pour tout ce qui est hors champ de la directive, dont l'eau.
Michel Tendil