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Environnement - Gaz de schiste : le Sénat suspend l'examen du texte

Le Sénat a suspendu le 1er juin l'examen de la proposition de loi du député UMP Christian Jacob "visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique". Ce texte, soutenu par le gouvernement et adopté par l'Assemblée nationale le 11 mai, fait l'objet d'une procédure accélérée (une seule lecture par chambre). La Conférence des présidents du Sénat fixera le 8 juin la prochaine date d'examen de la proposition de loi.
Les sénateurs, après être allés au bout de la discussion générale, ont arrêté leurs travaux au cours de l’examen du premier article, après des débats particulièrement animés. Tout a commencé par un rappel au règlement du sénateur PS de l'Aveyron, Alain Fauconnier, qui a brandi la une du quotidien britannique "The Independant" évoquant deux séismes dans le nord de l'Angleterre dus, selon lui, à l'utilisation de fracturation hydraulique. Après cette entrée en matière alarmiste, la ministre de l'Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, a tenté de jouer l'apaisement. "Cette proposition de loi est d'une importance majeure. Il s'agit de mettre en oeuvre le principe de précaution, qui a valeur constitutionnelle. […] Il y a un accord quasi général, comme à l'Assemblée nationale, pour considérer qu'il n'est pas aujourd'hui souhaitable d'explorer et d'exploiter les gaz de schiste. […] J’espère que l'unanimité se fera", a-t-elle déclaré. Les sénateurs se sont ensuite surtout opposés sur la manière la plus pertinente d'abroger les permis de recherche déjà accordés par le gouvernement. La version initiale de la proposition de loi prévoyait une abrogation pure et simple des permis, mais les députés ont finalement décidé que les titulaires des permis auront deux mois pour déclarer la technique utilisée. C'est seulement s'ils recourent à la fracturation hydraulique, ou s'ils ne répondent pas, que les permis seront abrogés. Sur proposition du sénateur centriste Claude Biwer, les sénateurs ont ajouté en commission la possibilité d'autoriser la fracturation hydraulique "pour des projets à des fins scientifiques" avec enquête publique préalable.
La majorité sénatoriale a fermement défendu la version actuelle du texte. "L'exploitation commerciale de ces gaz, en l'état des connaissances, n'est pas possible sans fracturation hydraulique", a estimé le rapporteur UMP Michel Houel, laissant entendre que cela suspend de facto les activités d'exploration. Même avis de la part de Jacques Blanc, sénateur UMP de Lozère : "en interdisant la fracturation hydraulique, et vu qu'il n'y a pas d'autres techniques, les permis de recherche tombent ipso facto". Mais si elle juge nocive une "utilisation massive de cette technique", la majorité ne veut pas barrer définitivement la route aux projets d'expérimentation. "Sommes-nous certains que nous pourrons nous priver définitivement de cette opportunité, alors que des pays peu suspects de laxisme dans la protection de l'environnement s'y engagent ?" a questionné Michel Houel citant l'Allemagne et les pays scandinaves. Ladislas Poniatowski, sénateur UMP de l'Eure, a évoqué de son côté l'importance des gaz de schiste pour l'approvisionnement énergétique de la France jugeant que "la plupart des critiques se fondent sur les excès constatés aux Etats-Unis". Il a estimé "une recherche indispensable" pour "maîtriser les conditions de mise en oeuvre" de la fracturation hydraulique.

"Précipitation, imprécision, opacité" ou "habileté" ?

Au cours de la séance, Nicole Bricq, sénatrice PS de Seine-et-Marne a mis en avant la mobilisation du groupe socialiste qui avait déposé le 24 mars dernier une proposition de loi similaire, destinée "à réparer les erreurs du gouvernement : précipitation, imprécision, opacité. […] Les documents publics consultables le prouvent. […] La technique de fracturation est clairement explicitée. On nous a menti : c'est grave, pour la crédibilité de l'action publique. […] Il faut abroger les permis accordés". "Vous cherchez à éteindre la contestation. Vous n'y parviendrez pas", a-t-elle lancé à l'attention de la majorité. "Pouvez-vous croire que les sociétés, après avoir obtenu les permis, vont déclarer désormais qu'elles utilisent la technique de fracturation hydraulique ? [...]. Ce serait de votre part une grande naïveté." Le président du groupe RDSE (à majorité PRG), Yvon Collin, sénateur du Tarn-et-Garonne, s'est indigné du "manque de concertation" avec les élus. Les élus PS des départements concernés par les permis de recherche, Didier Guillaume (Drôme), Michel Teston (Ardèche) et  Alain Fauconnier se sont succédé pour dénoncer "l'opacité", "l'incohérence", la "précipitation" du gouvernement. Ils demandent l'interdiction pure et simple de l'exploration et de l'exploitation des gaz de schiste, l'abrogation des permis accordés et une consultation de la population. "Nous légiférons dans l'urgence et sous l'emprise de l'émotion, alors que l'expertise n'est même pas achevée", a souligné Yvon Collin. La mission d'information parlementaire confiée aux députés François-Michel Gonnot (UMP, Oise) et Philippe Martin (SRC, Gers), doit en effet rendre ses conclusions le 8 juin tandis que le rapport final du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l'industrie, de l'énergie et des technologies (CGIET) prévu pour le 31 mai n'a pas encore été rendu public.
A l'issue de la discussion générale, Nathalie Kosciusko-Morizet a estimé que "ce qui est reproché [à la proposition de loi], c'est son habileté". Il y a selon elle "deux manières" d'abroger les permis d'exploration d'hydrocarbures de schiste : "Interdire la décision administrative, donc s'exposer à des recours. Ou interdire la technologie. C'est aboutir au même résultat, de manière plus habile, et qui n'entraîne pas de risques financiers pour l'Etat et pour les citoyens."