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Environnement - Hydrocarbures de schiste : la grande fracture

Avant l'adoption par l'Assemblée nationale ce 11 mai de la proposition de loi Jacob sur les hydrocarbures de schiste, la discussion en séance a donné lieu à de vifs échanges. Le consensus de départ a volé en éclats devant la nouvelle rédaction du texte qui ne prévoit pas directement d'interdire l'exploration et l'exploitation des gaz et huiles de schiste mais la technique de fracturation hydraulique.

L'Assemblée nationale a adopté le 11 mai la proposition de loi de Christian Jacob, député UMP de Seine-et-Marne, sur les hydrocarbures de schiste par 287 voix pour et 186 contre. L'UMP a voté en faveur du texte, de même que la majorité des députés centristes. Les députés socialistes, communistes et verts ont voté contre.  
Avant le débat dans l'hémicycle, qui a commencé le 10 mai dans l'après-midi, une manifestation avait été organisée  devant l'Assemblée nationale par plusieurs associations écologistes parmi lesquelles Greenpeace et le Réseau action climat pour protester contre le fait qu'aucune assurance n'était donnée selon elles sur le retrait des permis d'exploration accordés par l'Etat aux industriels. En ouverture de la séance, Michel Havard, député UMP du Rhône et co-rapporteur avec Jean-Paul Chanteguet (PS, Indre), a défendu les modifications qui ont été apportées au texte initial en commission (voir notre article ci-contre). Ainsi, il ne s'agit plus d'interdire directement l'exploration et l'exploration des huiles et gaz de schiste mais la technique de la fracturation hydraulique et les permis déjà accordés ne seront plus d'emblée abrogés, les industriels devant remettre aux pouvoirs publics un rapport sur les techniques qu'ils utilisent.

Des modifications justifiées pour des raisons juridiques 

La première version de la proposition de loi n'était pas "applicable en l'état actuel de notre droit", a justifié Michel Havard. "Le législateur doit avoir des formules non équivoques", a-t-il plaidé. La première version "incluait par exemple des permis sur des gaz de mines" qui aurait favorisé selon lui "le recours devant le juge administratif et le Conseil constitutionnel à travers la question prioritaire de constitutionnalité". "Il n'y a pas de dispositif parfait ou idéal, nous en sommes conscients. Mais c'est le meilleur que nous ayons trouvé", a -t-il estimé, jugeant qu'il s'agissait d'un "texte d'équilibre". Jean-Paul Chanteguet a reconnu, pour sa part, se trouver "dans une situation peu banale, peut-être un peu inconfortable" en étant co-rapporteur d'une proposition de loi écrite par le chef du groupe UMP à l'Assemblée nationale. Il a accepté cette responsabilité "par esprit de loyauté" et après que le Premier ministre s'est prononcé pour une annulation des permis le 13 avril dernier. Il a énuméré les "surprises" auxquelles lui et Michel Havard ont dû faire face, sur le fait que la technique de la fracture hydraulique n'était pas réservée aux hydrocarbures non conventionnels, que les permis de recherche étaient "muets" sur la technologie employée, ou encore sur l'absence de "définition juridique" des hydrocarbures non conventionnels. Le député socialiste a plaidé pour "le meilleur chemin entre la sécurité juridique et les engagements politiques".
Le texte est "absolument clair", a assuré pour sa part Serge Grouard (UMP, Loiret), président de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale. "Ceux qui voudraient revenir à la rédaction initiale se trompent […]. Ceux qui ne voteront pas le texte donneront un feu vert à la poursuite de l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste." Pour Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Ecologie, la proposition de loi est "l'occasion d'aller plus loin dans la mise en oeuvre du principe de précaution" qui ne consiste pas à "ne rien faire alors que le monde évolue", mais à "faire pour écarter le risque". Elle a évoqué l'argument de l' "indépendance énergétique" - "45 milliards d'euros d'hydrocarbures ont été achetés à l'étranger en 2010" - tout en s'interrogeant : "Est-ce le moment d'ouvrir un nouvel âge fossile pour la planète ?"

Un texte jugé ambigu

Les groupes GDR et socialistes n'ont pas été convaincus par l'argument de la faiblesse juridique de la première version de la proposition de loi. Pour Yves Cochet, député EELV de Paris, "l'ambiguïté juridique" peut être évitée en parlant d'hydrocarbures de "roche-mère" au lieu du terme "non conventionnels" remis en cause en commission. "Si cette loi scélérate est votée, bien sûr que les citoyens vont continuer leur mouvement d'opposition." S'agissant du risque que les industriels exigent des compensations financières en cas d'abrogation de leur permis, Yves Cochet évoque le remboursement d'un "trou" creusé et de "quelques photocopies", soit "quelques millions d'euros éventuellement". Selon Franck Riester (UMP, Seine-et-Marne), la position d'Yves Cochet révèle "beaucoup de démagogie" : "Il n'y a pas de double langage, le gouvernement est clair."
Jean-Marc Ayrault, président du groupe SRC, a justifié le changement de position de son groupe qui avait voté en faveur du texte en commission le 4 mai dernier. Depuis, "nous avons nous-mêmes consulté des juristes". Le texte leur apparaît "ambigu", puisqu'il laisse la décision finale sur l'abrogation des permis de recherche "au gouvernement" et non au Parlement, et permet aux industriels de "faire le dos rond" pendant "quelques mois" pour mieux "recommencer en catimini" quand "la mousse sera retombée". L'abrogation directe des permis de recherche est possible, à ses yeux, en s'appuyant sur "la charte de l'environnement et son article 5" sur le principe de précaution. "Rien n'oblige la collectivité publique, rien, à indemniser les industriels", a-t-il poursuivi. Le seul cas prévu par la loi, a-t-il précisé , est "en cas d'atteinte du droit de propriété" qui ne peut être évoqué dans ce dossier. Pour André Chassaigne (GDR, Puy-de-Dôme), le cas des gaz de schiste est "une énième contradiction environnementale de ce gouvernement". "En adoptant le texte en l'état, vous serez suspecté de vouloir ménager la chèvre et le chou."
Pour sa part, Jean-Louis Borloo (apparenté UMP, Nord), qui, en tant que ministre en charge de l'Energie entre 2007 et 2010, est responsable de la délivrance des permis de recherche mis en cause, a déclaré avoir "plutôt confiance dans l'analyse juridique" qui a conduit au texte de la commission du développement durable. Toutefois, "si par extraordinaire, dans le délais des deux mois, il arrive des turpitudes, on pourrait faire en sorte d'être à nouveau saisi". Le député a indiqué avoir été "amené à regarder précisément ce qui s'était passé". Il a déclaré notamment que la procédure pour obtenir un permis de recherche est allégée par le législateur "depuis "994". Chaque année, "des centaines de permis de recherche sont attribués de la même manière, sans enquête publique". "Pourquoi cette énorme erreur ? La recherche elle-même peut être un facteur extrêmement aggravant pour l'environnement et la santé." Le député du Nord déclare par ailleurs faire de la réforme du Code minier "une affaire personnelle". Plusieurs autres députés, dont Gérard Gaudron, ont réclamé cette réforme "le plus rapidement possible". Claude Gatignol (UMP, Manche), au contraire, s'est dit "très réservé" sur certaines dispositions du texte qui "ferme la porte à la recherche". "Il faut toujours chercher, explorer, expérimenter […]. Soyons raisonnables et responsables."
En réponse aux interventions de la vingtaine de députés, Nathalie Kosciusko-Morizet a assuré qu'"il n'y a pas d'autres techniques que la fracturation hydraulique pour exploiter les gaz de schiste", et que donc, cette exploitation sera interdite de fait.
L'examen des articles a commencé après le rejet d'une motion de rejet préalable défendue par Yves Cochet  et d'une motion de renvoi en commission d'André Chassaigne (GDR, Puy-de-Dôme). Une seule modification a été apportée à l'article 1er, suite à l'adoption de deux amendements identiques du groupe socialiste et de Martial Saddier (UMP, Haute-Savoie) soutenus par la commission et le gouvernement. Selon la nouvelle rédaction, "l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national" au nom, désormais, "du principe de précaution prévu à l'article 5 de la charte de l'environnement et du principe d'action préventive et de correction", et non plus au nom du principe de précaution et de prévention.

Rejet de l'interdiction de l'exploration marine et en eaux profondes

Yves Cochet a tenté en vain d'interdire l'exploration marine qui selon lui "met en danger tout l'écosystème aquatique" mais la commission et le gouvernement ont jugé l'amendement déjà "satisfait". Christiane Taubira (SRC, Guyane) a demandé pour sa part, également sans succès, l'interdiction de "l'exploration et l'exploitation de gisements d'hydrocarbures en eaux profondes" mais Michel Havard s'est opposé à cet amendement en s'appuyant notamment sur l'absence "de définition juridique des eaux profondes". Claude Gatignol (UMP, Manche) a proposé, puis retiré, un amendement excluant de l'interdiction générale "les recherches expérimentales et exploratoires visant à l'acquisition de connaissances scientifiques sur la géologie du sous-sol et sur les ressources minières présentes". "J'ai repris une idée du gouvernement", a-t-il argumenté. "Le texte n'empêche pas la recherche", lui a répondu Michel Havard en rendant un avis défavorable. Gérard Gaudron (UMP, Seine-Saint-Denis) n'a pas non plus obtenu que l'interdiction ne soit "effective qu'à la condition de conclusions scientifiques définitives sur la dangerosité de l'exploration et de l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels". Michel Havard a qualifié de "cavalier législatif" l'amendement de Claude Gatignol, non adopté, qui entendait compléter le 1er article par  la phrase suivante : "Les forages relatifs à l'énergie géothermique sont autorisés, dans le cadre du développement des énergies renouvelables, notamment pour les puits captant l'eau à une température supérieure à 20°C." "Nous soutenons le développement de la géothermie, je souhaite la modification du code minier pour les opérations simples […]. Oui, il y aura des modifications, mais ce n'est pas l'endroit", a répondu Nathalie Kosciusko-Morizet.
Yves Cochet s'est vu refuser un amendement visant à créer un article additionnel selon lequel "l'interdiction d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures non conventionnels et des gisements d'hydrocarbures en eaux profondes s'applique également à l'extérieur du territoire national pour les sociétés ayant leur siège social dans le territoire national ou leurs filiales dont l'activité est incluse à l'intérieur du périmètre de consolidation". Autre amendement refusé, comme article additionnel à l'article 1 : celui de Claude Gatignol proposant de créer un "haut comité des ressources minières chargé de l'évaluation, de la validation et du suivi des techniques nécessaires à l'exploitation des ressources minières, notamment des hydrocarbures de roche-mère". "C'est sûrement une bonne idée", a jugé Michel Havard mais il a préféré renvoyer l'éventuelle création de ce comité aux conclusions du rapport parlementaire sur le sujet.

Nouvelles précisions sur les rapports des industriels

Le groupe socialiste a présenté comme décisif son amendement réécrivant l'article 2 sur les permis de recherche de la manière suivante : "Sous réserve de décision de justice ayant acquis autorité de chose jugée, les permis de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux sont abrogés avec effet rétroactif." Cela "apporte tous les éléments juridiques", a insisté Pascal Terrasse (SRC, Ardèche), et seule son adoption entraînerait un vote favorable de la proposition de loi par le principal groupe de l'opposition. Yves Cochet a proposé quant à lui la même rédaction que le texte initial de Christian Jacob  : "Les permis exclusifs de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels sont abrogés." "Aucun des amendements n'atteint l'objectif visé par l'article", a tranché Nathalie Kosciusko-Morizet. Quatre modifications ont finalement été apportées à l'article 2 : les rapports que les industriels doivent remettre dans un délai de deux mois décrivent les techniques employées "ou envisagées" dans le cadre de leurs activités de recherche ; ces rapports seront rendu publics par les autorités administratives ; ces dernières devront publier au Journal officiel "la liste des permis exclusifs de recherches abrogés" dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi ; enfin, "le fait de procéder à un forage suivi de fracturation hydraulique de la roche sans l'avoir déclaré à l'autorité administrative dans le rapport […] est puni d'un an d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende".
Enfin, à l'article 4 (nouveau, après la suppression de l'article 3),  le rapport que doit remettre le gouvernement au Parlement portera, précise le texte adopté en séance publique, sur "les conditions de mise en oeuvre d'expérimentations réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, la conformité du cadre législatif et réglementaire à la charte de l'environnement dans le domaine minier et les adaptations législatives et réglementaires envisagées au regard des éléments communiqués dans ce rapport".

 

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