Fusion AFB-ONCFS : au Sénat, la chasse gagne sa place
Sans surprise la chasse a largement occupé le débat, lors de l’examen par le Sénat du projet de loi relatif à la création du futur Office français de la biodiversité. De nouvelles mesures de sécurité ont en particulier été votées, contrebalancées en retour par la création d’un délit d’entrave sanctionnant plus sévèrement l’obstruction à la pratique de la chasse.
Après l’Assemblée nationale, les sénateurs ont adopté à leur tour ce 11 avril (par 235 voix et 94 abstentions) le projet de loi dédié au futur opérateur né de la fusion de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) et de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), parachevant l’évolution institutionnelle amorcée en 2016 mais non aboutie faute de consensus dans le camp des chasseurs. Pas si anecdotique que cela, les sénateurs ont donné le ton, dès le passage en commission, en rebaptisant le futur établissement, qui verra le jour en 2020, "Office français de la biodiversité et de la chasse" (OFBC). D'autres ajouts plus significatifs ont également confirmé le retour en force du "monde cynégétique" - auquel le texte consacre tout un volet pour asseoir la réforme engagée l’été dernier -, et ce notamment au sein du conseil d’administration du nouvel office dont la composition sera volontairement restreinte à une trentaine de membres répartis en cinq collèges.
Baliser davantage le financement
Les débats ont en outre permis de sécuriser le soutien financier aux fédérations de chasseurs. Pas encore créé, le futur office voit déjà ses financements "amputés" de 41 millions d’euros (notamment en raison de la baisse du permis de chasse), s’est inquiété Jean-Claude Luche, craignant que "les agences de l'eau ne soient mises à contribution". Le rapporteur a donc oeuvré en commission pour que soit inscrit dans la loi l’abondement par le gouvernement de dix euros au futur fonds pour la biodiversité quand les fédérations mettent cinq euros d’écocontribution par chasseur ayant validé un permis dans l’année. En séance, un principe de "stabilisation" de la contribution financière des agences de l’eau au budget du nouvel office a été ajouté "afin de préserver la politique locale de l’eau". Les sénateurs ont également adossé aux missions du futur opérateur la compétence d’évaluation des politiques publiques impactant la biodiversité (art. 1er). L’établissement assurera un appui aux acteurs publics et privés "dans leurs actions en faveur de la lutte contre les espèces invasives". Il sera en outre consulté "sur l’application du plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage en lien avec les collectivités locales et leurs groupements". Ses agents seront d’ailleurs chargés d’une mission d’observation au sein des parcs animaliers pour le comptage des loups.
Création d’une réserve civile de l’environnement
Sur les prérogatives de police judiciaire des 1.700 inspecteurs de l’environnement que comptera l’office, le projet de loi acte un élargissement des pouvoirs d’investigation (art. 2). Le gouvernement a proposé quelques évolutions sur cet autre volet du texte pour certaines identifiées par la mission sur la justice environnementale, lancée par la Chancellerie et le ministère de la Transition écologique. La société civile y fait par ailleurs son entrée à travers la création d’une "réserve civile de l’environnement" affectée au sein de l’office (art. 2 bis AA), au terme d’un amendement défendu par le Républicain Roger Karoutchi (Hauts-de-Seine), qui y voit un moyen de remédier à la baisse des effectifs. De nombreux agents partant à la retraite pourraient ainsi venir grossir les rangs des inspecteurs pour "des périodes de renfort".
Le texte accroît un peu plus les moyens d’actions des maires concernant le fléau des décharges sauvages : ces derniers pourront agir sans délai lorsque l'auteur des faits est surpris "en flagrance" (art. 2 bis C). L’Assemblée avait déjà voté un recours facilité à la vidéosurveillance dans la lutte contre le dépôt sauvage de déchets. L’article 2 quater nouveau rappelle aussi l’urgence à appliquer la possibilité donnée aux agents assermentés des parcs naturels régionaux de rechercher et constater les infractions en matière de protection du patrimoine naturel. "Le projet de décret est prêt et les consultations vont débuter. Il devrait être publié au plus tard à l’automne", a de son côté assuré la secrétaire d’Etat Emmanuelle Wargon. Le texte vient combler un vide juridique en sanctionnant pénalement le non-respect d'une mise en demeure de remettre en l'état une installation ou un ouvrage qui n'est plus exploité (art. 2 bis AC nouveau).
Chasser en toute sécurité
Un autre article additionnel (art. 2 quinquies) porté par le gouvernement dans le but "d’améliorer la sécurité à la chasse", élargit les possibilités judiciaires de suspension du permis de chasser et crée un dispositif de rétention et de suspension administrative en cas de manquement grave aux obligations de sécurité à l'occasion d'une action de chasse. L’accent est également mis sur la prévention, à travers une homogénéisation des règles de sécurité (port du gilet fluorescent, pose de panneaux, remise à niveau etc.) et l’instauration, dans chaque fédération départementale des chasseurs, d’une commission de sécurité à la chasse (art. 3). Les professionnels des fédérations des chasseurs se voient quant à eux habilités à rechercher et constater toutes les infractions de chasse sur l’ensemble du territoire départemental pour lequel ils sont assermentés, sauf opposition des propriétaires (art. 2). Autre contrepartie, le texte reclasse en délit - puni d’un an d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende - le fait "d’empêcher, entraver ou gêner l’acte de chasse" (art. 2 sexies). "Les chasseurs font des efforts importants en matière de sécurité, mais il faut aussi que les autres, même s'ils sont anti-chasse, respectent le droit à pratiquer cette activité", a expliqué Jean-Noël Cardoux (LR), pour défendre la création d'un délit d’entrave.
Sur le sujet sensible du fichier national du permis de chasse, le gouvernement a proposé une rédaction de compromis. Le texte distingue un fichier des titres permanents, géré par l'OFBC, et celui des validations et autorisations de chasser, géré par la Fédération nationale des chasseurs. Celle-ci ne sera donc pas dépossédée de tout rôle en la matière. Sur la gestion adaptative, tous les acteurs concernés seront consultés, dont les propriétaires d'étangs. Leurs retours d'expérience contribueront à la définition et à la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif. Un comité d'experts a été créé début mars. La liste des espèces concernées est renvoyée à un décret.
Présenté en procédure accélérée, le texte doit à présent faire l’objet d’une commission mixte paritaire, laissant présager quelques bras de fer sur les nombreuses concessions faites aux chasseurs.