Frédérique Espagnac : "Une péréquation peut opérer entre les territoires de montagne riches et les autres"
L'Association nationale des élus de la montagne (Anem) tenait son congrès ces 10 et 11 octobre à Superdévoluy (Hautes-Alpes). Au cœur des débats : l'avenir du tourisme en montagne. Frédérique Espagnac, vice-présidente de l'Anem et sénatrice des Pyrénées-Atlantiques, revient sur cette question pour Localtis.
Localtis - L'évolution du modèle touristique montagnard était au cœur de vos débats. Quels problèmes pose-t-il aujourd'hui ?
Frédérique Espagnac - Je ne veux pas poser la question sous la forme d'un problème. Nous avons fait un état des lieux et des perspectives de développement. On voit bien que la question de l'enneigement des stations est un souci réel, alors que, quoi qu'on dise, l'économie du tourisme de montagne l'hiver est essentiellement basée sur le ski. C'est ce qui est rentable en montagne. La question est de savoir comment faire évoluer cette offre, en la diversifiant et en faisant face potentiellement au réchauffement climatique et aux problématiques de l'enneigement qui touchent de plus en plus de stations, même si on voit bien aujourd'hui quand la neige n'est pas forcément là que le réflexe de venir en montagne l'hiver demeure. Quand il n'y a plus de neige, il y a forcément d'autres activités, le thermalisme notamment, des offres d'activités aqualudiques, etc. Tout ça est en train d'être repensé. On est en pleine transition sur ces communes de montagne.
Quels points saillants sont ressortis de vos débats ?
D'abord la complémentarité qui existe aujourd'hui entre les différents échelons de collectivités locales qui travaillent ensemble sur les projets de territoire. De ces projets de territoire découlent forcément des planifications de transformation, de reconversion, de transition. Sur l'accompagnement financier, nous avons interrogé Marina Ferrari, la ministre déléguée à l'économie du tourisme [présente lors du congrès, ndlr], sur un plan Montagne II qui serait indispensable dans la période. Mais au vu des annonces du gouvernement, on voit très bien que la question budgétaire va potentiellement pénaliser la possibilité d'un tel plan. Par ailleurs, la question de la péréquation peut opérer, avec des territoires qui sont riches, qui ont des ressources, notamment dans les territoires de montagne dont les stations de ski fonctionnent très bien, au profit de stations qui fonctionneraient moins bien et ont besoin de financement pour aller vers une transition. Après, la question de l'existence de certaines stations de ski se pose évidemment. On ne va pas maintenir sous dialyse des stations dont le modèle économique, au vu du réchauffement climatique, des questions environnementales, de la gestion de l'eau, ne peut plus tenir. C'est du cas par cas et cela doit s'opérer avec les élus et les services de l'État main dans la main et pas en opposition les uns avec les autres.
À propos de gestion de l'eau, une récente étude de la direction générale des entreprises (DGE) nous apprend que la production de neige constitue le troisième poste de prélèvement en eau de tout le secteur du tourisme (lire notre article du 8 octobre). Dans ces conditions, faut-il se passer de neige artificielle ?
Je ne suis pas sûre que la direction dont vous parlez soit très objective et je me permets de remettre en question ses chiffres. Elle ne prend pas en compte le fait que beaucoup de stations font de la neige artificielle en circuit fermé. C'est toujours la même eau qui est réutilisée. D'autre part, c'est très simpliste de poser une question comme ça. La question est d'abord de savoir quelles quantités d'eau on prélève et ensuite, si on est en circuit fermé, quelle part de pertes on observe dans les réseaux. Ce qui est important ce sont les évaluations de ces réseaux qui peuvent être faites. Si tout cela se fait en circuit fermé avec des réseaux de qualité, avec des pertes en dessous de 25%, il n'y a pas de raison de s'en passer.
Autre sujet de préoccupation dans les stations de montagne : la rénovation thermique des bâtiments. Dans ce domaine, l'accompagnement de l'État est-il à la hauteur ?
Le cas des stations de ski est très particulier. La plupart des bâtiments sont des copropriétés où il y a une grosse difficulté d'accord de financement et de délai de rénovation. C'est aussi cela que l'État doit maintenant simplifier. Après, il y a l'aide apportée par l'État aux populations, voire aux collectivités. Pour les logements qui appartiennent aux communes, je tire la sonnette d'alarme après les récentes annonces faites lors du Comité des finances locales, avec notamment la ponction qui va s'opérer sur le Fonds vert [ramené, dans le cadre du projet de loi de finances, de 2,5 à 1 milliard d'euros en 2025, ndlr]. Je vous rappelle quand même que le Fonds vert, pour partie, a été fait pour accompagner les collectivités dans la rénovation énergétique...
Donc, aujourd'hui, les moyens n'y sont pas pour atteindre les objectifs de rénovation thermique...
C'est le moins qu'on puisse dire. On n'a pas les moyens pour permettre de financer les rénovations dans les délais.
Autre sujet intéressant les stations de montagne : la proposition de loi (PPL) sur les meublés de tourisme, actuellement dans les tuyaux parlementaires. D'un côté, des maires de stations touristiques plaident pour garder des avantages fiscaux en la matière afin de préserver l'activité touristique de leurs territoires. De l'autre, des élus souhaitent rééquilibrer l'offre de logements de longue durée en faveur de la population locale. Quel est le bon équilibre ?
J'ai été cheffe de file de mon groupe sur ce texte au Sénat. Premièrement, sur les littoraux, on est sur des zones en tension et la question des plateformes de type Airbnb n'est indéniablement pas la même qu'en montagne, même si on a potentiellement dans les communes de montagne des soucis pour loger les habitants. À l'inverse, dans les stations de ski où l'on a des copropriétés qui ne vivent que de la location, la vérité est que si on a une interdiction des meublés de tourisme, qui va aller vivre dans ces stations de ski l'hiver ? Personne ! Il faut rester pragmatique et réaliste. Sur cette PPL, à la différence de certains de mes collègues, j'ai insisté pour que ce soit le maire qui ait la main sur la volonté finale de restreindre ou non le recours aux plateformes de meublés de tourisme. La communauté d'agglomération du Pays basque a mis en place une réglementation très restrictive qui peut être partagée sur le littoral aquitain ou ailleurs, mais encore une fois, en montagne, la question n'est pas du tout la même. Toujours au Pays basque, sur la commune de Sare, les gîtes ruraux constituent des compléments de revenus pour les exploitants agricoles. Et on va les interdire demain ? C'est ridicule, car c'est aussi ce qui permet de faire vivre l'exploitation et de préserver l'activité agricole.
La PPL prévoit des outils de régulation à disposition des maires, mais l'évolution de la fiscalité des meublés de tourisme ne doit-elle pas avoir une dimension nationale ?
Quand j'ai défendu ce texte, j'ai bien montré qu'il fallait que ce soit à la main des élus concernés, et que c'étaient eux qui décidaient de la restriction de l'abattement fiscal ou non. Je le crois sincèrement. Je reprends le raisonnement par l'absurde : aujourd'hui, on considère paradoxalement les stations de ski comme des zones tendues. Ça veut dire que demain on va y interdire la location des meublés de tourisme qui ne peuvent pas être loués à l'année ?