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Réforme territoriale - François Hollande esquisse un report des élections de 2015

Le chef de l'Etat préconise le report d'un an des élections régionales et départementales afin que l'on vote une fois qu'aura été actée la nouvelle carte de France faite de "onze ou douze" régions. Le projet de loi attendu à la mi-mai en Conseil des ministres pourrait être modifié en ce sens. François Hollande entend en outre "accélérer" la réforme. Et considère comme Manuel Valls que "les conseils généraux ont vécu". De quoi créer une certaine confusion autour d'une réforme censée apporter de la "lisibilité".

François Hollande et le gouvernement envisagent désormais de faire la réforme territoriale - suppression des départements et réduction drastique du nombre des régions - avant les nouvelles élections régionales et cantonales, ce qui implique de reporter ces scrutins de 2015 à 2016.
"Si c'est 2016, ça permettrait d'avoir le temps. Je pense que ça serait intelligent de faire des élections régionales et départementales avec le nouveau découpage", a en effet déclaré François Hollande ce mardi 6 mai lors de son interview matinale sur BFMTV et RMC. "Je pense que douze régions ou onze régions, la moitié, pourraient être la bonne carte de notre territoire, et pour les départements, j'ai moi-même été président de conseil général, une réforme majeure doit être portée, il n'y a plus de temps à perdre", a ajouté le président de la République. "Il faut aller vite sur les réformes de notre territoire", a-t-il indiqué, tout en se disant "très attaché aux territoires". Et le chef de l'Etat d'insister : "Je considère qu'aujourd'hui toutes ces structures ne sont plus lisibles pour les Français. Il faut à la fois de la proximité et en même temps de l'efficacité, donc j'ai demandé au gouvernement de Manuel Valls d'accélérer la réforme territoriale". "On verra qui sont les réformateurs et qui sont les conservateurs", a-t-il prévenu. Avec une phrase couperet. "Je pense que les conseils généraux ont vécu", a aujourd'hui lâché celui qui affirmait le 18 janvier en Corrèze : "Je sais ce que ça représente, un département. Ils gardent leur utilité (…) et je ne suis donc pas favorable à leur suppression pure et simple".
Le calendrier tel qu'exposé par Manuel Valls dans sa déclaration de politique générale le 8 avril prévoit de "diviser par deux" le nombre des régions au plus tard au 1er janvier 2017, de supprimer les départements "à l'horizon 2021" et de refondre la carte des intercommunalités d'ici à 2018. Et c'est effectivement ce qui figure dans le "projet de loi clarifiant l'organisation territoriale de la République" qui devait être présenté en Conseil des ministres le 14 mai (voir notre article du 24 avril, avec l'avant-projet en téléchargement) : remise des propositions des régions avant le 30 juin 2015, présentation par le gouvernement d’une nouvelle carte des régions au 31 mars 2016, inscription de cette nouvelle carte dans la "loi spécifique adoptée avant le 1er janvier 2017". Pour les départements en revanche, la version du projet de loi qui a circulé ne dit rien de précis, seul l'exposé des motifs indiquant qu'un "débat sera engagé sur l’avenir des départements."
Mais le 29 avril, en présentant son programme de stabilité aux députés, Manuel Valls avait envisager d'aller "plus vite encore". Et le lendemain, il s'était dit prêt à "examiner" l'idée d'un report des élections régionales et départementales. "Il serait important que lors des prochaines élections régionales, les Français sachent déjà exactement dans quel cadre institutionnel ils votent", déclarait-il sur France-Inter(voir notre article du 30 avril).
Selon une source gouvernementale, ce report pourrait figurer dans le projet de loi, moyennant du coup une reprogrammation d'une semaine - du 14 au 21 mai - du passage de ce texte en Conseil des ministres.

Pour l'ARF, le calendrier actuel était en effet intenable 

Les propos de Manuel Valls puis de François Hollande font suite à plusieurs interpellations. Ainsi, le président de l'Association des régions de France (ARF), Alain Rousset, réclame depuis plusieurs jours un "calendrier réaliste". Dans un courrier daté du 30 avril adressé à Matignon, le président de l'ARF et de la région Aquitaine écrit : "Le calendrier qui résulterait du projet de loi est totalement intenable et doit être revu dans son ensemble".
D'autres élus ont tenu à peu près le même discours, qu'il s'agisse par exemple du président du groupe PS du Sénat, Didier Guillaume, ou du président de la région Lorraine, Jean-Pierre Masseret. Celui-ci s'est étonné qu'en l'état actuel du projet, les électeurs aient à élire en mars 2015 des conseils régionaux sur la base du découpage actuel, alors que les régions seraient fusionnées moins de deux ans plus tard : "Les électeurs seront appelés à se prononcer sur un avenir encore en discussion".
Manuel Valls "est bien conscient que c'est difficile de nous envoyer aux élections l'année prochaine", alors même qu'il a programmé la disparition des élus départementaux, rapportait de même dès le 22 avril Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), à sa sortie de Matignon.
Se référant justement à cette rencontre du 22 avril entre le Premier ministre et des représentants des conseils généraux et régionaux, Alain Rousset, dans son courrier du 30 avril, déplore d'ailleurs le "net décalage" du projet de loi avec la teneur de l'entrevue. Les régions "regrettent vivement que le projet de loi ne tienne pas compte de leurs propositions".
Sur le fond, le président de l'ARF considère que la loi doit "définir précisément une répartition des compétences exclusives aux régions" et qu'hormis "deux ou trois compétences qui peuvent rester partagées (notamment la culture et le sport), l'ensemble des compétences doivent être confiées de manière exclusive à une collectivité". Il estime aussi que le projet de loi "ne traite pas de l'indispensable" : "La réforme de l'Etat et de sa présence sur le territoire".  Et que le regroupement des régions doit être apprécié en tenant compte de la suppression de l'échelon départemental "pour éviter de 'lâcher' des territoires". "En d'autres termes, les très grandes régions se justifient si les départements perdurent"… Un soutien aux départements que l'on n'attendait pas forcément. Mais qui est finalement assez logique étant donné la vision de la région que défend Alain Rousset.

Un mandat de huit ans ?

"Nous devons faire évoluer nos institutions. Plus vite cela sera décidé, mieux cela sera. Si cette réforme peut être bouclée avant 2016 comme envisagée par le président de la République ce matin, il deviendra normal et logique que les élections aient lieu sur la base du nouveau paysage plutôt que dans une période d’interrogations et d’incertitudes", a réagi ce 6 mai Martin Malvy, le président de la région Midi-Pyrénées.
Mais les propos de François Hollande ont aussi provoqué des réactions fort hostiles. "Il n'a pas dit que c'était fait, mais la ficelle est un peu grosse (...) On ne peut pas dans notre pays se comporter comme dans une République bananière. Le gouvernement ne peut pas ainsi manipuler les calendriers électoraux à son gré", a par exemple lancé Jean-Christophe Lagarde, le secrétaire général de l'UDI. Toujours à l'UDI, le président de Côte d'Or, François Sauvadet, juge "choquant" qu’"un président de la République annonce comme ça, un mardi matin au détour d’une interview, le report des élections départementales et régionales après avoir modifié la quasi-totalité des modes de scrutins en moins de deux ans".
D'aucuns rappellent aussi que les élections cantonales et régionales ont déjà été repoussées d'un an. Et donc qu'en cas de nouveau report, le mandat des élus actuels aura été de non plus six mais huit ans. André Chassaigne par exemple, le chef de file des députés Front de gauche, estime qu'un tel allongement "n'est pas très sérieux", réclamant par ailleurs "des référendums" dans toutes les régions concernées par d'éventuels changements, sans évoquer de référendum national.
Interrogé mardi dans les couloirs de l'Assemblée, le secrétaire d'Etat à la Réforme territoriale, André Vallini, a jugé "périlleux" de soumettre la réforme à référendum, tout en précisant ne "pas y être opposé par principe". Un référendum national serait-il préférable à des référendums régionaux ? "Ah, je crois, oui", a estimé l'ancien président du conseil général de l'Isère, ajoutant : "Je ne désespère pas, loin de là - et c'est mon job, ma mission - que cette réforme puisse être votée à l'Assemblée nationale et même au Sénat, parce que chez les élus, de droite comme de gauche, il y a beaucoup de réformateurs, et aussi des conservateurs".

C. Mallet, avec AFP

Et pendant ce temps, Marylise Lebranchu…
Malgré le brouhaha des petites phrases, malgré les virages, la ministre de la Décentralisation semble pour sa part imperturbable, prête à continuer à faire sereinement avancer la réforme…
Il faut imaginer des dispositifs institutionnels différents suivant les régions et notamment suivant que les territoires sont ruraux ou urbains, a affirmé ce 6 mai dans la matinée, à l’Assemblée nationale, la ministre en charge de la décentralisation. Lors de la séance des questions sans débat, Marylise Lebranchu était interrogée sur l’approche du gouvernement concernant "l’évolution des structures territoriales".
Pour évoquer les zones urbaines, la ministre a cité l’exemple de la métropole du Grand Paris, qui doit voir le jour le 1er janvier 2016. "Il faut qu’il y ait sans doute une disparition des départements" sur le territoire de la future métropole, a-t-elle dit, en ajoutant qu’"il faut voir comment". Elle a justifié cette orientation en s’appuyant sur l'étude d'impact qui sera remise au cours de l’été. Une étude qui démontrerait que la suppression des départements de Paris et de la Petite Couronne permettrait à la fois "une attribution plus juste des compétences" et une réduction des inégalités de richesses.
S’agissant des départements ruraux, "j’en appelle à une réflexion avec les intercommunalités pour qu’on puisse garantir aux communautés de communes rurales aussi l’égalité d’accès aux services de nos concitoyens", a-t-elle indiqué. La ministre n’a pas évoqué explicitement la question de la suppression ou non des départements en milieu rural. "Le débat est extrêmement ouvert", avait-elle dit au début de son intervention.
Marylise Lebranchu a rappelé qu’elle comptait beaucoup sur les conférences territoriales de l’action publique pour définir localement l’organisation des compétences entre les collectivités, dans le cadre de "délégations de compétences". Ici, une région pourrait gérer les collèges, tandis qu’ailleurs ce pourrait être l’intercommunalité, a-t-elle indiqué à titre d’exemple.

T.B. / Projets publics