Fonds vert : toutes les collectivités ne sont pas logées à la même enseigne
La question de l'allocation des financements du fonds vert entre les collectivités territoriales a occupé une grande partie des discussions au sein de la commission des finances de l’Assemblée nationale, ce 15 mai, qui a auditionné Christophe Béchu, dans le cadre de la commission d’évaluation des politiques publiques relative à la mission "Écologie, développement et mobilité durables". Les rapporteurs spéciaux du programme 380 ont en effet choisi cette année de se pencher sur la mobilisation du fonds vert pour les territoires. Principal constat : toutes les collectivités n’en ont pas bénéficié au même degré et certaines aides financées par le fonds ont été plus sollicitées que d’autres.
"Disparités et usages des dépenses du fonds vert entre les territoires", le titre choisi par les rapporteurs spéciaux du programme 380, les députés (LFI-Nupes) Alma Dufour et Sébastien Rome, pour présenter leurs travaux d'évaluation donne déjà le la. Réunie ce 15 mai, dans le cadre de la commission d’évaluation des politiques publiques relative à la mission "Écologie, développement et mobilité durables", pour auditionner le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, la commission des finances de l’Assemblée nationale s’est saisie de l'occasion pour consacrer une thématique entière à la mobilisation du fonds vert pour les collectivités territoriales.
Selon un premier bilan dressé par le ministère (lire notre article du 19 avril 2024) l'enveloppe de 2 milliards d'euros, qui devrait finalement être stabilisée en 2024, après le coup de rabot budgétaire acté en février dernier (lire notre article), a été entièrement attribuée l'an dernier à 10.689 projets, tous portés par des collectivités. Le ministère relève que tous les départements ont déposé des dossiers et que les petites communes ont largement répondu à l’appel. La photographie de famille exposée par le rapport d’information dédié se révèle toutefois plus nuancée…
Quatre aides concentrent l’essentiel des financements
Avec un taux d’exécution des crédits de la quasi-totalité des autorisations d’engagement (AE) ouvertes - soit 99,97% -, le succès du fonds vert auprès des collectivités est incontestable. Quant au taux d’exécution en crédits de paiement (CP), de seulement 60%, il s’explique entre autres par le rythme de mise en œuvre des projets, variable selon les aides. Quatre aides - sur les 17 financées par le fonds vert – tiennent d’ailleurs le haut du pavé.
Particulièrement plébiscitée, la "rénovation énergétique des bâtiments publics locaux" figure en tête avec 38,2% des AE consommés (25,3% des CP) et 35% des dossiers acceptés pour l’ensemble du programme. Également en bonne place l'aide "rénovation des parcs de luminaires d’éclairage public" (10% des AE, 11,2% des CP et près de 26% des dossiers acceptés), un volet pour lequel les collectivités sont désormais encouragées à recourir aux autres modes de financement disponibles pour ce type d'investissements rentables, notamment les certificats d'économies d’énergie ; la "renaturation des villes et des villages" (7,4% des AE, 11,7% des CP et près de 9% des dossiers acceptés) ; et l'aide "recyclage foncier" (18,4% des AE,18,5% des CP et un peu plus de 7% des dossiers acceptés).
Le rapport souligne également que "tous les dossiers matures n’ont pas pu être acceptés du fait du manque de crédits et certains ont dû être reportés sur l’année 2024". Ce sont ainsi plus de 5 milliards d’euros qui auraient été demandés au total par les collectivités. Sur 2023, "près de 18.000 demandes de subvention fonds vert ont été déposées, et près de 10.800 ont été acceptées", détaille Christophe Béchu. "Dans les demandes écartées, ce n’est pas seulement parce que l’on a été capé d’un point de vue budgétaire", précise-t-il, mais "c’est aussi que certaines d’entre elles n’étaient pas éligibles à l’objet du fonds vert ou que les projets n’étaient pas sur le point d’être financés". Autrement dit, il ne faut pas y voir un "stock" de demandes insatisfaites… "Il n'y a pas un stock de 10.000 demandes, on démarre avec un stock en début d’année [2024] un peu inférieur à 5.000, et donc on a écarté plus de 3.000 dossiers de manière directe, et même sur ces 5.000, tous ne rempliront pas les conditions", rectifie-t-il.
Il y a eu aussi quelques "effets d’aubaine", souligne le ministre, affirmant sa volonté de "rationaliser le dispositif ", en particulier pour le réseau éclairage public caractérisé par "des taux de retour très rapides et pour lequel la pertinence des subventions est moins élevée que sur de la préservation de biodiversité, des trames noires ou du développement de covoiturage".
Des collectivités concernées à des degrés divers
C’est l’arbre qui cache la forêt. Si le fonds vert a été fortement sollicité par les collectivités dès son lancement, toutes "n’en ont pas bénéficié au même degré", pointe le rapport. Le bloc communal est le grand bénéficiaire avec 77% des dossiers acceptés en 2023, pour un montant d’aides de plus de 1,22 milliard d’euros. Les communes représentaient ainsi 60% des dossiers acceptés (soit 754,74 millions d’euros de subventions) et les EPCI 23% (471,88 millions d’euros). Tandis que les départements ne représentaient que 4% des dossiers acceptés (191,26 millions d’euros) et les régions même pas 1% (pour moins de 17 millions d’euros).
Pour 40% des dossiers acceptés, les projets sont en outre situés sur un territoire faisant l’objet d’un zonage spécifique : zones de revitalisation rurale (12% des dossiers), Petites Villes de demain (10%), Opérations de revitalisation du territoire (près de 7%), Quartiers prioritaires de la politique de la ville-QPV (près de 4%) et territoires Action cœur de ville (un peu plus de 3%). Pour 2024, un objectif de financement de 15% en faveur des projets situés en QPV demeure malgré un retard à l’allumage.
Au sein du bloc communal, la répartition du fonds vert est loin d’être homogène. Complexité des dossiers à monter pour obtenir des aides, études parfois coûteuses et défaut d’ingénierie peuvent conduire à dissuader les porteurs de projets, regrette Sébastien Rome. Le rapport relève une "sur-représentation" des communes dont la population est comprise entre 1.000 et 10.000 habitants : elles concentrent plus de 40% des dossiers acceptés alors qu’elles ne représentent que 25,60% des communes et 36,40% de la population. A l’inverse, les communes de moins de 1.000 habitants sont "sous-représentées" parmi les bénéficiaires du fonds vert. Celles de moins de 500 habitants concentrent 14,85% des dossiers acceptés alors qu’elles représentent 52,5% des communes. Et celles qui ont entre 500 et 1.000 habitants concentrent près de 11,5% des dossiers et représentent 19% des communes. "Cette analyse pourrait être nuancée par le fait que ces deux catégories de communes représentent, chacune, moins de 7% de la population", note le rapport.
Remettre à plat le dispositif
C’est d’ailleurs précisément sur ce point que le ministre déplore "un biais à la réflexion", relevant qu’"il y a nettement moins d’écart si vous rapportez les pourcentages d’aide accordée à la population". Démographie et besoins propres à chaque territoire constituent en effet les clefs de répartition du fonds vert entre les départements. Le ministre y voit "une répartition équitable" et en "correspondance" avec les problématiques rencontrées par les collectivités. En Corse, c’est par exemple la préservation de la biodiversité qui arrive en premier, dans les Hauts-de-France, c’est la dépollution des friches.
Le rapport avance toutefois d’autres arguments dans la discussion. Il convient, explique-t-il, "de prendre en compte le fait que les communes peu peuplées situées en zone rurale peuvent être très étendues, ce qui a un impact sur certains coûts comme ceux liés à l’entretien de la voirie ou encore son éclairage". Un raisonnement également développé par la députée Véronique Louwagie (Orne-LR) lors des échanges avec le ministre. "Je partage totalement le fait que la limite de la population, c’est l’espace. (…) On est dans un tel enchevêtrement des règles de subventions que cela peut être aussi l’occasion de regarder les choses", reconnaît Christophe Béchu, citant l’exemple du linéaire de voirie pris en compte pour le calcul de la DGF. "Si je prends le kilomètre de voirie pour en faire un élément du fonds vert, alors qu’il sert déjà à calculer la DGF, je peux amplifier les écarts car tout ne s’explique pas quand on regarde les écarts de DGF historiques d’un territoire à l’autre".
La réflexion n’est pas fermée. Preuve en est, avec la mise en place d’une dotation au titre de la biodiversité dans les territoires ruraux "qui repose sur l’espace". "Cela montre que le gouvernement a bougé pour la première fois pour ne plus regarder que la population et intégrer l’espace", souligne le ministre. "Je ne plaide pas pour l’évolution d’un paramètre, je pense que le moment est venu dans la continuité du 'rapport Woerth', des réflexions qui sont confiées au Haut conseil des finances publiques locales, d’essayer de mettre à plat le dispositif et de regarder comment on structure les choses".
Miser sur l’ingénierie
L’articulation entre les degrés de collectivités et la place de l’intercommunalité est d'ailleurs "à interroger", selon lui. "Là où on a une intercommunalité qui partage, qui fonctionne de manière collégiale, elle est un relai à l’investissement. Il arrive que dans certains endroits au contraire, elle grippe et accentue les difficultés d’investissement", observe Christophe Béchu. Un écho au constat fait par le rapporteur, Sébastien Rome, des "différences de méthodes" et "d’implication" selon les départements dans la gestion du fonds vert. "Lorsque il y a une mobilisation, des moyens mutualisés, par exemple avec des syndicats mixtes ou la mise à disposition de moyens des départements, il y a un gain en fluidité et en répartition des aides", remarque-t-il.
Certaines préfectures, comme celle de l’Hérault, ont mis en place des dispositifs efficaces pour informer les communes et les aider à constituer leurs dossiers. C’est pourquoi les rapporteurs spéciaux demandent à ce que les effectifs des services déconcentrés de l’État soient renforcés à l’occasion de la prochaine loi de finances pour venir en appui aux collectivités qui ne disposent pas d’une ingénierie suffisante. Ils proposent également de consacrer systématiquement une quotité de la subvention aux dépenses d’ingénierie nécessaire pour la mise en place des projets. Un ‘mix’ est à trouver "entre mettre en place des enveloppes d’ingénierie qui auront comme conséquences d’augmenter le recours aux cabinets de conseil et le fait de mieux structurer l’offre d’ingénierie publique qui dépend de l’Etat, Cerema, ANCT, Banque des territoires, Ademe, etc.", estime de son côté le ministre.
Stabilisation du fonds vert
Il serait opportun, selon Sébastien Rome, de réfléchir à une dotation globale d’investissement qui regroupe DETR, DSIL et fonds vert, avec une clef de répartition selon les besoins locaux. Pour permettre la pérennisation du fonds vert, le rapporteur propose aussi une contractualisation pluriannuelle avec les collectivités. Plutôt que de parler de baisse concernant l’enveloppe accordée au fonds vert en 2024, Christophe Béchu préfère mettre l’accent sur "la stabilisation". Il soutient ainsi que "les AE sont maintenues à 1,99 milliard d’euros pour 2024, soit exactement ce qui était prévu en 2023" (après l’annulation de 500 millions d’euros) et "694 millions en CP " (après annulation à hauteur de 430 millions). "Les CP ont été multipliés par 2,5 puisque nous devons couvrir les AE de l’année en cours et faire en sorte d’honorer les sommes de l’année précédente", précise-t-il. Avec comme l’année dernière à hauteur de 20% "une cible de surgel" - qui ne représente pas, selon le ministre, une diminution des enveloppes disponibles - pour laquelle "les sommes seront débloquées au fur et à mesure de l’année comme l’année dernière".