Fonction publique territoriale : des adaptations sont nécessaires, mais lesquelles ?
Pour célébrer les 40 ans de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, le CNFPT organisait vendredi 26 janvier un colloque réunissant des représentants des employeurs et des personnels territoriaux. L'occasion de revenir sur cette loi et ses apports, et de débattre des perspectives de la fonction publique territoriale, à l'heure où le gouvernement prépare une réforme controversée de la fonction publique.
La fonction publique territoriale "est le lieu de l'excellence de la pratique démocratique, où se trouvent réunis, ensemble, pour le même objectif, l'élu, le fonctionnaire et l'usager", se réjouit Anicet Le Pors, qui fut ministre délégué, puis secrétaire d'État chargé de la Fonction publique entre 1981 et 1984. Accueillant près de 2 millions d'agents, elle est aujourd'hui "le point fort de l'ensemble de la construction" statutaire mise en place au cours du premier septennat de François Mitterrand, a estimé le nonagénaire au cours d'un webinaire organisé par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) pour célébrer le quarantième anniversaire de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. Une loi fondatrice, puisqu'elle a créé un véritable statut au profit des agents des collectivités territoriales, lesquelles voyaient au même moment leurs prérogatives renforcées par les lois de décentralisation.
Il s'agissait d'une petite révolution, puisque auparavant, "il y avait un statut pour les fonctionnaires de l'État", mais pas pour les agents publics territoriaux, qui avaient été "exclus de cette construction statutaire". Fraîchement nommé au poste de ministre délégué chargé de la Fonction publique, Anicet Le Pors s'était indigné de cette situation inégalitaire. "Il ne peut y avoir deux systèmes de fonction publique dans notre pays. Il faut que tous les agents publics soient reconnus comme fonctionnaires", avait-il lancé à la tribune de l'Assemblée nationale. Un programme qu'il allait mettre en œuvre, avec le soutien du Premier ministre, Pierre Mauroy. Mais sous le regard plutôt indifférent – selon les souvenirs de l'ancien ministre – du président de la République, François Mitterrand, qui avait "délégué ce dossier à son conseiller technique" – une jeune femme sortant de l'ENA, qui allait connaître une riche carrière politique – Ségolène Royal.
"Une protection pour les agents et les élus"
Le statut de la fonction publique territoriale s'articule avec le statut général, qui garantit "l'unité" de la fonction publique. Les agents territoriaux sont ainsi "des fonctionnaires à part entière qui servent l'intérêt général" et exercent leurs missions "en dehors de toute pression", a salué Christophe Couderc, représentant CGT et président du conseil national d'orientation du CNFPT. Le statut, qui couvre les trois versants publics, constitue une "protection pour les agents face à l'arbitraire éventuel d'un employeur" et le principe de la carrière qu'il promeut permet aux agents de changer de métier tout en conservant leur grade, ce qui est très utile aux reconversions professionnelles, a pointé de son côté François Deluga, président du CNFPT. Murielle Fabre, présidente de la commission de l'Association des maires de France (AMF) consacrée à la fonction publique territoriale, a préféré mettre en avant la "neutralité du service public" garantie par le statut. "Le statut protège aussi les élus, on l'oublie souvent", a complété François Deluga. "Il sécurise les procédures, les actes administratifs et permet d'avoir une gestion locale avec beaucoup de probité".
Cet ensemble de règles concernant les modalités d'emploi des agents publics n'est plus exactement celui qui a été mis sur pied il y a une quarantaine d'années, puisque quelque 130 modifications du statut sont intervenues depuis. Et, autant pour les représentants des employeurs que pour ceux des personnels, il est nécessaire que les évolutions se poursuivent. Des syndicats, dont la CGT, plaident par exemple, pour "le rétablissement du concours pour l'accès en catégorie C", des révisions de la "périodicité de l'organisation des concours" et de "l'organisation même des concours", ou encore pour l'allongement des formations d'intégration des nouveaux fonctionnaires.
"Juste équilibre à trouver"
Du côté des employeurs, on a souligné aussi la nécessité d'une adaptation des modalités des concours, pour que leurs épreuves aient des contenus moins académiques, l'enjeu étant notamment que la fonction publique territoriale soit vraiment "à la couleur de notre pays", selon François Deluga. Sa collègue du conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), Françoise Descamps Crosnier – qui est par ailleurs présidente du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) – s'est interrogée également sur le sort à réserver aux agents en CDI, de plus en plus nombreux. Selon elle, "il faut trouver les modalités permettant de [les] intégrer dans la fonction publique".
Aujourd'hui, le statut "garde toute sa force", mais "il est rigide dans certains éléments", a dénoncé de son côté Murielle Fabre, pointant dans ces "difficultés" l'une des causes de la perte d'attractivité de la fonction publique territoriale. Tout en admettant que certaines "conventions collectives du secteur privé sont beaucoup plus contraignantes". "Plutôt que de renforcer le statut, il faut l'assouplir, mais dans le bon sens" (…), l'adapter à nos besoins et à la mise en œuvre des services publics de demain (…), c'est ce juste équilibre qu'il faut aujourd'hui trouver", a estimé la secrétaire générale de l'AMF. Des propos qui ont fait réagir le président du CNFPT : "Tous ceux qui parlent de statut trop rigide souhaitent en réalité qu'il n'y ait pas de statut". Ce dernier est-il contraignant ? Oui, "c'est dans la logique même d'un statut", fait valoir le conseiller municipal du Teich. En considérant qu'il possède en fait "beaucoup de souplesse – si on sait l'utiliser – et de capacité d'évolution".
"Des mesures réglementaires sont demandées"
"Il y a énormément de points d'amélioration", par exemple concernant les "parcours professionnels", "la rémunération" et les "mobilités", a poursuivi Murielle Fabre. En faisant référence à une trentaine de propositions mises au point par la Coordination des employeurs territoriaux au terme de plusieurs mois de travaux (voir notre article du 13 décembre). "Il y a aujourd'hui des attentes, il faudra qu'elles soient très clairement prises en compte", a souligné la maire de Lampertheim. "La majorité des mesures que nous demandons, au niveau employeurs territoriaux, sont du domaine réglementaire", a complété François Deluga. Qui, pour cette raison, a dit n'avoir "aucune attente" vis-à-vis du projet de loi de réforme de la fonction publique annoncé pour le premier semestre 2024, par l'ex-ministre chargé de la Fonction publique, Stanislas Guerini.
"Une ou deux mesures législatives" sont certes demandées pour traduire l'accord passé en juillet dernier avec les syndicats sur la protection sociale complémentaire (voir notre article dédié), mais elles pourraient très bien trouver une place dans des textes législatifs dont la discussion est à venir, sans qu'il soit besoin de présenter un projet de loi spécifique, a estimé le président du CNFPT.
"L'urgence" de la hausse des rémunérations
Le développement de la rémunération au mérite doit figurer dans le projet de loi du gouvernement : le président de la République l'a confirmé lors de sa conférence de presse du 16 janvier (voir notre article). L'ex-ministre chargé de la Fonction publique aurait aussi évoqué en fin d'année dernière son intention d'autoriser le recrutement direct d'agents publics sur la base d'un CDI et de supprimer les catégories A, B et C, qui structurent aujourd'hui l'emploi public. Des annonces qui n'ont pas du tout plu au président du CNFPT. "Je suis intervenu (…) pour dire que nous n'étions d'accord avec aucune de ces propositions. Je ne souhaite qu'une chose à l'égard de ce projet de loi : que nous n'en entendions plus parler", a tonné l'élu.
Si l'exécutif devait confirmer son projet, la CGT appellerait à la "mobilisation", a prévenu Christophe Couderc. Selon lui, l'urgence est à la revalorisation de la valeur du point d'indice, à la révision des grilles de rémunération et à la réduction des écarts de rémunérations entre hommes et femmes. Ou encore à la création d'un fonds de prévention de l'usure professionnelle… qui pourrait être rendue possible par l'inscription d'une mesure dans le projet de loi sur la fonction publique. La baisse d'attractivité de la fonction publique ne vient pas du statut, mais de l'insuffisance des rémunérations des agents, après des années de gel du point d'indice, diagnostique le représentant syndical.