Foncier agricole : les députés adoptent la proposition de loi donnant plus de pouvoir aux Safer

L'Assemblée nationale a adopté dans la nuit du 11 au 12 mars la proposition de loi visant à "lutter contre la disparition des terres agricoles". Objectif : donner davantage de pouvoir aux Safer pour éviter que des non-agriculteurs acquièrent des terres agricoles et modifient leur usage. Plusieurs amendements sont venus affiner le texte.

Les députés ont adopté dans la nuit du 11 au 12 mars 2025 la proposition de loi "visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole" (voir notre article du 7 mars 2025). Il s'agit de freiner la "consommation masquée" du foncier agricole, "lorsque des non-agriculteurs acquièrent des terres et en modifient l'usage", explique la proposition de loi transpartisane portée par le député socialiste des Pyrénées-Atlantiques Peio Dufau. En 2023, entre 15.000 et 20.000 hectares ont ainsi été détournés de leur vocation agricole pour devenir des zones tampons entre voisins ou pour faire de ces terres des espaces de jardins non exploités d'une zone d'habitation. Un chiffre établi pour la première fois qui s'ajoute aux 13.000 hectares d'espaces agricoles perdus en 2023 "au profit d'une expansion urbaine irréversible, soit plus que la superficie de la ville de Paris", insiste l'exposé des motifs. Des dispositifs de protection existent, notamment à travers les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) mais ces dernières ne disposent pas de moyens suffisants pour éviter ou diminuer cette spéculation foncière.

Le texte, organisé en quatre articles, compte renforcer le pouvoir de ces Safer. Premier point : consolider le droit de préemption partielle dont elles disposent. Elles pourront ainsi obtenir un acte de cession qui sépare les terrains à usage agricole des bâtiments d'habitation, pour pouvoir préempter uniquement les seuls terrains agricoles. Il s'agit d'éviter les contournements au droit de préemption : quand une habitation se trouve sur les terres mises en vente, le propriétaire peut aujourd'hui refuser de scinder ses biens (cela arrive dans plus de huit cas sur dix). Le droit de préemption des Safer devient alors inopérant pour éviter la spéculation sur le prix du foncier (notamment quand le prix du bâti flambe).

Mieux réguler les prix

La proposition de loi prévoit aussi d'étendre les droits de préemption des Safer dans les communes limitrophes des communes littorales et les communes de la zone tendue. Elle habilite aussi le préfet à étendre ces dispositifs à d'autres communes lorsque les circonstances locales le justifient et instaure un droit de visite du bien par la Safer avant d'exercer son droit de préemption, la désignation des biens ne suffisant souvent pas à leur appréciation. Un moyen de renforcer l'expertise des Safer et de leur permettre de mieux réguler les prix.

Plusieurs amendements adoptés ont permis de préciser encore la portée des dispositifs. Exemple avec l'amendement n°38 qui vise à ventiler de manière systématique le prix du foncier agricole et celui du bâti non agricole, pour "une lisibilité accrue des prix", selon Peio Dufau. L'amendement entend renforcer l'obligation d'information sur les ventes de biens immobiliers agricoles tout en intégrant la dimension protection du patrimoine également défendue par plusieurs autres amendements. La disposition n'a pas totalement convaincu la ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Annie Genevard, laquelle a estimé que le patrimoine en question (un "patrimoine remarquable") ne correspondait pas à une définition juridique très précise, contrairement à celle des bâtiments classés et inscrits. Avec la fusion des amendements, "nous passons de la protection des bâtiments classés et inscrits, qui font l'objet d'une définition juridique très précise, à celle de bâtiments présentant des caractéristiques patrimoniales non définies en droit, a souligné la ministre, cela revient à geler toute négociation entre le vendeur et l'acquéreur".

Des guerres picrocholines à prévoir ?

L'amendement n°22 a lui aussi fait l'objet de vives discussions. Finalement adopté, il donne à la commune, et non au préfet, la possibilité d'étendre le droit de préemption sur les bâtiments ayant eu un usage agricole ces vingt dernières années. "Je suis tout à fait défavorable à cet amendement, a signalé la ministre. Je suis favorable à ce que l'on redonne de la liberté aux pouvoirs locaux mais, en matière de foncier, je peux vous prédire que cela va donner lieu à des guerres picrocholines, entre ceux qui auront intérêt à agir et ceux qui auront intérêt à ne pas bouger, entre ceux qui auront intérêt à encourager le mouvement et ceux qui auront intérêt à le freiner. Et cela va mettre le maire dans une position intenable." Des arguments qui ont étonné Dominique Potier. "Alors qu'il conviendrait d'étendre les possibilités d'action de la Safer de façon universelle, vous n'arrêtez pas, par des mesures de prudence, de donner raison à ceux qui fraudent massivement en retirant des biens agricoles à l'agriculture et à ceux qui pratiquent le démembrement de propriétés", a insisté le député socialite de Meurthe-et-Moselle.

Un rapport sur l'élargissement du droit de préemption des Safer aux cessions partielles

Autre ajout : l'amendement (n°4) qui prévoit la remise d'un rapport au Parlement par le gouvernement évaluant l'opportunité d'élargir le droit de préemption des Safer aux cessions partielles des parts ou actions d'une société ayant pour objet principal l'exploitation ou la propriété agricole. Car actuellement, une Safer ne peut exercer son droit de préemption qu'en cas de cession totale des parts ou actions. Et le dispositif peut être contourné, via une fragmentation des cessions, et donc le transfert de contrôle du foncier agricole sans intervention de la Safer. "Il conviendrait d'accompagner cet élargissement du champ du droit de préemption en introduisant une nouvelle garantie contre le contournement du droit de préemption en permettant à la Safer d'intervenir également en cas de cumul d'opérations sur une période de 24 mois", indique l'amendement : "Cela permettrait de capturer les stratégies de concentration foncière progressives qui ne franchissent pas immédiatement le seuil de contrôle, mais qui, par accumulation, aboutissent à une concentration excessive du foncier agricole".

L'amendement n°20 propose lui aussi l'élaboration d'un rapport, cette fois sur les pistes envisagées pour améliorer l'articulation des différents droits de préemption des collectivités territoriales avec celui de la Safer "lorsque ces droits de préemption entrent en concurrence sur une même parcelle de terrain".

Un "hold-up rural"

Si la proposition de loi a été votée à une large majorité (203 pour, 3 contre), elle rencontre on le sait l'opposition de la Fnaim, qui regroupe les agences immobilières. Pour la fédération, le texte représente en effet un risque pour l'équilibre du marché immobilier rural. La Fnaim va jusqu'à parler de "hold-up rural". "Avec cette nouvelle loi, les Safer risquent de voir leur champ d'action et leurs moyens renforcés notamment par la possibilité de proposer une révision de prix même sur des biens pour lesquels elles n'ont pas de droit de préemption, indique la Fnaim dans un communiqué du 6 mars. Cette extension de leurs prérogatives accroît leur emprise sur le marché foncier rural et accentue les distorsions de concurrence déjà constatées." La fédération estime que la loi ne répond pas aux vrais défis du terrain et ne propose aucune mesure structurelle pour encourager l'installation des agriculteurs ou lutter efficacement contre l'artificialisation des sols.  Bon nombre de parlementaires ont regretté, lors des discussions, l'absence de mesures liées au foncier agricole dans le projet de loi d'orientation agricole adopté par le Parlement fin février.

La proposition de loi Peio Dufo doit maintenant être examinée par le Sénat.

Référence : proposition de loi visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole.
 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis