Lutte contre la disparition des terres agricoles : attention, terrain miné
Le 10 mars, les députés examinent une proposition de loi visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole. Un texte bref, qui vise surtout à réguler l'appétit pour les maisons de campagne et le détournement de leur vocation agricole. De quoi aviver les tensions entre les Safer et les agences immobilières qui se voient un peu plus lésées.

© Capture vidéo Sénat/ Peio Dufau
Alors que la loi d’orientation agricole a fait l’impasse sur la question du foncier, pourtant primordiale pour assurer le renouvellement des générations, les députés tentent, modestement, de corriger le tir. Le 5 mars, la commission des affaires économiques, présidée par Aurélie Trouvé (LFI), a adopté une proposition de loi transpartisane portée par le député socialiste des Pyrénées-Atlantiques Peio Dufau "visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole". Un texte qui, de l’aveu même de son auteur, ne règlera pas tout, mais a vocation à répondre "aux besoins les plus urgents".
"Le foncier agricole vit une crise qui n’est que très peu évoquée : sa disparition progressive", a alerté le député, lors de l'examen du texte, pointant l’acquisition croissante de terres par des non‑agriculteurs, échappant ainsi au contrôle des Safer (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) créées au début des années 60 pour réguler et contrôler le marché du foncier agricole. Phénomène qui s’est intensifié depuis la crise sanitaire avec l’engouement pour les maisons de campagne. "Cette proposition de loi trouve sa source à Arbonne au Pays basque, où une maison à rénover, une dépendance quasiment en ruine et 15 hectares de terres agricoles devaient être vendus en 2021 pour la modique somme de 3,2 millions d’euros", a-t-il évoqué. Si la mobilisation des agriculteurs, des élus et des habitants ont conduit l’acheteur à se retirer, cette affaire a "mis en lumière l’incapacité de la Safer à réguler cette dérive".
"Faute de grand soir on est obligé d’avoir des petits matins"
D’où l’ambition de ce texte de donner plus de pouvoir aux Safer face au détournement d'usage des terres agricoles pour en faire des terrains d'agrément. Les Safer se verraient "octroyer le droit de demander la notification disjointe d’une maison d’habitation et de son jardin d’agrément afin de renforcer sa capacité à agir sur le foncier agricole". Leur zone d’intervention serait par ailleurs étendue dans les communes côtières, les zones côtières et les zones tendues. Et elles bénéficieraient d'un "droit de visite" afin de leur permettre d'évaluer correctement le bien avant d’user ou non de leur droit de préemption.
Selon l’exposé des motifs du texte, en 2023, entre 15.000 et 20.000 hectares ont été détournés de leur vocation agricole et plus de 5 millions d’hectares de terres agricoles changeront de main d’ici 2030 du fait des nombreux départs à la retraite qui se profilent. Voilà qui pourrait "accélérer la disparition des terres et des exploitations".
Depuis 2014, le monde agricole est en attente d’une vraie loi foncière et n’a obtenu que des aménagements à la marge, comme la loi Sempastous de 2021 sur le contrôle des cessions de parts sociétaires, qui déjà était présentée comme une loi d'urgence (voir notre article). Reconnaissant des améliorations dans le travail des Safer depuis quelques années, le député du Puy-de-Dôme André Chassaigne (GDR) a regretté l’absence de cette "grande loi foncière". "Comme l’Arlésienne, on en parle toujours on ne la voit jamais arriver (…). Faute de grand soir on est obligé d’avoir des petits matins", a-t-il commenté.
Vive polémique entre la Fnaim et les Safer
Sauf que le sujet a déclenché une violente polémique entre la Fnaim, qui regroupe les agences immobilières, et la Fédération nationale des Safer. Ce texte représente un "risque majeur pour l'équilibre du marché immobilier rural en accordant de nouveaux pouvoirs disproportionnés aux Safer, qui dépassent déjà leurs prérogatives, au détriment des droits des particuliers", s’insurge la Fnaim. Pour son président Loïc Cantin, il s’agit d’une "ingérence totale, au détriment des particuliers, portant atteinte à leur droit de propriété" puisqu’un bien mis en vente par un propriétaire pourrait se voir "ôter tout ou partie de son terrain, et subir ainsi une dépréciation considérable de sa valeur". Mercredi, la Fnaim a annoncé avoir officiellement saisi la Commission européenne, avec deux plaintes, l’une visant directement les Safer pour abus de position dominante (sur la base de ce qu'elle considère être un "monopole d’information" sur toutes les transactions en cours), l’autre contre l’État français pour aides d’État illégales, du fait que les Safer n’acquittent pas de DMTO, même pour les transactions sans lien avec une activité agricole. Rien ne justifie cette exonération, estime Loïc Cantin pour qui "le manque à gagner pour les collectivités locales est évident".
La FNSafer a aussitôt tenu à laver l’affront. "L’intervention des Safer sur le marché immobilier rural n’est pas motivée par des ambitions financières ou pour concurrencer les professionnels privés", rétorque-t-elle dans un communiqué. Et leurs interventions sur le marché résidentiel "représentent moins de 0,4% des ventes de maison à la campagne", soit 300 à 600 maisons par an, alors que 30.000 ha perdent chaque année leur usage agricole "soit l’équivalent de 450 exploitations agricoles".
A défaut de régler véritablement le problème de l’accaparement des terres dénoncé par Terre de Liens dans un rapport de 2023 (voir notre article du 28 février 2023), cette proposition de loi, qui sera examinée en séance à partir du 10 mars, a donc surtout soulevé le couvercle. La commission des affaires économiques planche déjà sur la création d’une mission d’information sur le foncier agricole. Une de plus.