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Marché foncier - Flambée des prix des terrains constructibles : pour l'Autorité de la concurrence, le salut viendra de la transparence de l'information

Saisie par la Confédération Logement et Cadre de vie sur les phénomènes tendant à faire bondir depuis 2006 les prix des terrains constructibles (et par conséquent de faire grimper les prix des logements neufs), l'Autorité de la concurrence a rendu son avis le 17 novembre. Selon elle, favoriser l'accès à l'information des prix de marché du foncier "devrait permettre d'améliorer le fonctionnement du secteur". En revanche, elle ne s'est pas sentie compétente pour émettre un avis sur les conséquences des phénomènes de rétention foncière ni des possibles situations de positions dominantes de certains acteurs sur des marchés locaux.

En septembre 2015, la CLCV (Confédération Logement et Cadre de vie) publiait une étude sur le fonctionnement des marchés fonciers dénonçant la flambée des prix des terrains constructibles sur le long terme et une très grande hétérogénéité de ces prix, y compris dans des territoires comparables : le prix moyen d'un mètre carré de terrain aurait ainsi, depuis 2006, augmenté trois fois plus vite que le prix d'un mètre carré de bâti (voir notre article ci-contre du 16 septembre 2015). Dans la foulée de cette étude, la CLCV avait saisi, pour avis, l'Autorité de la concurrence, en vue de "créer les conditions d'un véritable marché du foncier qui permettrait de corriger les dérives constatées". L'avis "relatif à la demande d'avis de l'association CLCV sur le fonctionnement concurrentiel du secteur du foncier constructible" a été rendu le 17 novembre 2016.
Verdict : l'Autorité de la concurrence est "favorable, ainsi que le prévoient les textes (*), à favoriser l'accès de tous les professionnels du secteur et des particuliers aux bases de données renseignées par les notaires et les services fiscaux sur les transactions des terrains constructible (volumes, prix…)". Elle estime que "cette meilleure connaissance des marchés fonciers devrait permettre d'améliorer le fonctionnement du secteur et aider notamment les particuliers qui veulent vendre ou acheter des terrains à mieux les évaluer".

La rétention des terrains, "un comportement économique rationnel"

Pour la CLCV, l'avis de l'Autorité "conforte certaines demandes de notre association en faveur d'une plus grande transparence du secteur du foncier constructible". Il s'agit d'une "première étape indispensable", certes, mais suffira-t-elle ?
Car la CLCV avait demandé à l'Autorité de la concurrence d'examiner deux autres phénomènes qui pourraient bien, selon elle, expliquer les hausses démesurées des prix du foncier : le phénomène de rétention des terrains et les situations de positions dominantes sur certains marchés fonciers locaux. Deux points que l'Autorité a bien examiné puis... écarté.
Elle ne nie pas le phénomène de rétention, ni même que ce comportement des vendeurs puisse "influer sur le niveau des prix et sur la fluidité des transactions sur le marché du foncier". Mais selon elle, "ce comportement ne semble pas soulever prioritairement des questions de concurrence" dans la mesure où "la rétention des terrains constitue pour les propriétaires fonciers, un comportement économique rationnel, lié par exemple, à des anticipations fondées ou non de futures hausses de prix". Un comportement qui serait en outre "favorisé par un coût de portage faible du foncier non bâti qui résulte notamment de la fiscalité foncière". Dès lors, il lui semble "difficile d'agir sur cet effet de rétention, si ce n'est au travers de la fiscalité".

Des pratiques anticoncurrentielles ? Où ça ?

Sur la question de "l'influence du poids des acteurs locaux sur la formation des prix", l'Autorité n'a pas voulu entrer dans le jeu de la CLCV qui lui demandait "de procéder à la définition de marchés pertinents locaux, d'établir d'éventuelles positions dominantes sur ces marchés et d'identifier des situations où des pratiques anticoncurrentielles pourraient être suspectées dans le contexte d'oligopoles étroits".
Elle n'a donc pas voulu "identifier les phénomènes de pouvoirs de marché abusifs sur les marchés locaux du foncier" ni "établir une cartographie des offreurs fonciers par département", ainsi que le lui demandait la CLCV "afin de mettre en évidence des zones où les transactions n'ont été réalisées que par un nombre très limité d'opérateurs et de répertorier les cas où un lien peut être établi entre un nombre limité d'offreurs et des prix plus élevés, non justifiés par des critères objectifs". Il n'était pas possible à l'Autorité de la concurrence de mener ce travail, au risque d'"identifier un opérateur précis" et donc de ne pas entrer dans le champ de ses compétences qui doit se borner à répondre à des demandes au "caractère de généralité suffisant".

Le jeu des acteurs dans la formation des prix

Avant de parvenir à ces réponses, l'Autorité de la concurrence décrit dans une première partie très didactique le jeu des acteurs sur les marchés du foncier constructible (propriétaires fonciers, aménageurs, lotisseurs, promoteurs, bailleurs sociaux ou privés, ménages qui souhaitent construire leur maison individuelle...) et leur rôle dans la formation des prix des terrains sachant que lui-même est lié au prix de l'immobilier.
C'est l'occasion d'appréhender le mécanisme de "compte à rebours" que tout promoteur a en tête quand il discute avec une collectivité locale, ou encore de se familiariser les phénomènes d'"effet levier" (qui fait que lorsque les prix du secteur de l'immobilier augmentent, les prix du foncier connaissent une augmentation plus que proportionnelle) à ne pas confondre avec l'"effet de cliquet". Ce dernier s'apparenterait à un effet levier corrompu par le phénomène de rétention : lorsque le prix de l'immobilier baisse, le prix du foncier baisse également, mais dans une moindre mesure, "les propriétaires fonciers préférant attendre des jours meilleurs plutôt que brader leur terrain", selon les propres mots de l'Autorité de la concurrence qui précise que, réciproquement, "en phase ascendante des prix, les propriétaires préfèrent différer la vente dans l'attente de nouvelles augmentations de prix". Mais tout ceci étant "un comportement économique rationnel", il n'y a pas lieu d'y voir un comportement concurrentiel. Pour les politiques qui voudraient influer sur les prix, il faudra donc trouver d'autres modes de régulation. Les rapports Goldberg et Figeat (voir nos articles ci-contre) proposent des pistes.

Valérie Liquet

(*) Des textes législatifs et réglementaires récents ont ouvert cet accès aux professionnels (aménageurs, promoteurs, agences immobilières...) et aux particuliers. Mais un dernier arrêté, fixant les tarifs de communication des données fournies par les notaires, est en attente. Il devrait être publié "rapidement", selon l'Autorité de la concurrence.