Finances publiques - Finances locales : encore trop de "zones d'ombres" et de "données non fiables"
En octobre 2013, la Cour des comptes soulignait, dans son premier rapport annuel sur les finances publiques locales, qu'il restait "encore beaucoup à faire" pour améliorer la qualité de l'information financière locale, un enjeu considéré comme "essentiel". Trois ans après, les participants du colloque annuel que le Réseau Finances locales, lieu fédérant les chercheurs et experts en finances locales, organisait le 24 novembre dernier, en partenariat notamment avec la Caisse des Dépôts, ont dressé le même constat.
"Les chambres régionales des comptes sont encore assez critiques sur la fiabilité des données", a ainsi affirmé Christian Martin, président de la formation de la Cour des comptes dédiée aux finances locales. Pointant la responsabilité des ordonnateurs locaux, il a estimé que les nomenclatures fonctionnelles doivent être mieux tenues, en particulier si l'on veut évaluer les politiques publiques. Une meilleure collecte des données financières serait, selon lui, également souhaitable. L'amélioration de la fiabilité des informations financières locales passe par un meilleur dialogue entre les administrations de l'Etat en charge de l'Intérieur et des Finances, a déclaré pour sa part Charles-Eric Lemaignen, le président de l'Assemblée des communautés de France (ADCF).
"Les communes de moins de 1.000 habitants sont en dehors des radars"
Partielle à ce jour, l'intégration des budgets annexes pour l'analyse des comptes locaux donnerait une image plus fidèle de la réalité, surtout s'agissant de l'investissement. Pour "consolider" les données, il faudrait aussi "harmoniser les périmètres de l'action publique", a considéré Charles-Eric Lemaignen. En suggérant que les périmètres d'action "des communautés, de la CAF, des agences de l'Etat et de l'ARS" soient rapprochés.
Pour analyser le secteur public local, "on manque cruellement d'outils", a déploré Christian Martin. Parmi les instruments qu'il serait utile de mettre en place, le magistrat a cité des indicateurs sur les coûts des services publics locaux, tout en excluant un dispositif "trop lourd". Il serait également intéressant, selon lui, de connaître "les facteurs qui influent sur les coûts". Autre domaine dans lequel "il faudrait avancer" : les prévisions. On pourrait "définir un panel de communes comparables et (…) envisager des prévisions de dépenses et de recettes", a suggéré Christian Martin.
Le conseiller maître à la Cour des comptes a aussi pointé des "zones d'ombres" en matière de connaissance des finances locales. Ainsi, les finances des communes de moins de 1.000 habitants sont "en dehors des radars", a-t-il dit. Dans ces collectivités, "où en est-on en termes de coûts et de services ?", s'est-il interrogé.
Enrichir les données sur l'investissement local
"Il est urgent de mieux analyser l'investissement public local, qui a baissé de plus de 20% en 2014 et 2015", a-t-il souligné. En ajoutant que "si l'on doit poursuivre la contribution [des collectivités locales] au redressement des comptes publics, il faut connaître la portée des évolutions en cours". Or, "on ne sait pas aujourd'hui sur quels types d'équipements porte l'investissement et quelles ont été les variables d'ajustement depuis deux ans". Charles-Eric Lemaignen a plaidé lui aussi pour que puisse être menée une analyse fine de l'investissement permettant d'éclairer les élus locaux.
Premier poste de dépenses des collectivités, les charges de personnels et tout ce qui concerne en général la fonction publique territoriale souffrent aussi d'un déficit de connaissance. Les administrations centrales de l'Etat ne disposent pas d'outils suffisants pour suivre les évolutions dans ce domaine, a estimé Christian Martin. Et les données sont imparfaites car elles rendent compte de la situation avec deux ans de retard.
La recherche au service des politiques publiques
Si les finances locales restent un terrain à défricher, des progrès ont quand même été enregistrés. "On dispose de plus de données" et "on prend mieux en compte l'hétérogénéité des territoires qu'auparavant", a relevé Matthieu Leprince. Cet enseignant-chercheur à l'université de Rennes 1 constate aussi que les travaux de recherche tiennent davantage compte de données non financières, par exemple sur les élections. Les données établies intègrent dorénavant les flux financiers entre les communes et les intercommunalités, a ajouté Nicolas Portier, délégué général de l'ADCF.
Les chercheurs apportent leur pierre à l'amélioration de la connaissance des finances locales. Le reconnaissant, Christian Martin a souhaité que la Cour travaille "de plus en plus" avec eux. Charles-Eric Lemaignen a été tout aussi clair. "Nous avons besoin de vous", a-t-il lancé à l'attention des experts en finances locales. Pour bâtir les projets de territoires, choisir les investissements les plus utiles, améliorer le financement des politiques publiques, rendre plus efficace la péréquation, les analyses des chercheurs seront précieuses, a-t-il considéré. Mais, "il faut des chercheurs qui soient des trouveurs", a nuancé un élu local présent dans la salle.
Thomas Beurey / Projets publics
Finances locales : le programme des travaux de la Cour des comptes
Le rapport qui paraîtra en octobre 2017 sur les finances publiques locales se penchera sur "les dépenses sociales des départements" et "leur impact" sur ces derniers. Dans ce rapport, la Rue Cambon réalisera pour la première fois un état des lieux financier du bloc communal, sans distinguer comme auparavant la situation des communes et celle des communautés. Christian Martin a aussi précisé qu'en 2018, la Cour s'intéressera à "la compétence scolaire et périscolaire". "Il faudra arriver à mesurer le coût de la réforme des rythmes scolaires et les changements qu'elle a apportés", a dit le magistrat. Enfin, on saura que le rapport qui sera publié en octobre 2019 portera "sans doute" notamment sur la fusion des régions intervenue le 1er janvier 2016.