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Départements - Financement des allocations : la proposition de loi de l'ADF reste lettre morte

C'est dans un hémicycle particulièrement clairsemé que les sénateurs étaient invités à débattre, en cet après-midi du jeudi 9 décembre, de la proposition de loi relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements. Cette proposition de loi, préparée de longue date par l'Assemblée des départements de France (ADF), avait il est vrai été rejetée quelques jours plus tôt par la commission des finances du Sénat, après un rapport signé Charles Guéné, sénateur UMP et vice-président du conseil général de la Haute-Marne (département présidé par Bruno Sido, porte-parole du groupe des présidents de droite et du centre au sein de l'ADF). Un rapport qui, tout en reconnaissant la difficulté des départements à faire face au financement de l'APA, du RSA et de la PCH, estimait que le dispositif proposé par la proposition de loi était "inadapté" (voir ci-contre notre article du 2 décembre).
Jeudi en séance, Charles Guéné a réexposé ses arguments : la proposition de loi risque de "court-circuiter" le débat sur la prise en charge de la dépendance annoncé par le chef de l'Etat ; elle conduirait à "déresponsabiliser complètement les départements" ; le ticket modérateur de 10 % proposé pour l'APA est "particulièrement faible" ; "le coût pour l'Etat, qui s'élèverait à 3,34 milliards d'euros", est "excessif". De même, le sénateur UMP Philippe Dallier a estimé que la proposition représentait "une réponse simple voire simpliste".

"Nous ne pouvons attendre le 1er janvier 2012"

Les sept articles de la proposition de loi avaient donc fort peu de chances d'être adoptés. Effectivement, ils ne l'ont pas été. L'article 1er a été rejeté par 182 voix contre 154, en sachant que nombre de sénateurs UMP n'étaient physiquement pas présents jeudi – notamment d'ailleurs parmi les sénateurs présidents de conseil général. Une absence que les présidents de département de gauche ont regretté haut et fort, rappelant que le principe d'une proposition de loi visant à "rééquilibrer le financement des trois allocations de solidarité" figurait pourtant bien dans la résolution adoptée à l'unanimité en octobre en Avignon à l'issue du congrès de l'ADF. "Notre confiance [vis-à-vis des présidents UMP, ndlr] a été largement entamée", a ainsi déclaré Claudy Lebreton, président PS de l'ADF, venu au Sénat écouter le débat.
Chargé de défendre le texte en séance, Yves Daudigny, sénateur et président du conseil général de l'Aisne, cosignataire de la proposition de loi, a répondu point par point aux arguments invoqués par le rapporteur Charles Guéné. Notamment sur "la nécessité de ne pas court-circuiter le chantier de la réforme de la dépendance". "Nous ne pouvons attendre le 1er janvier 2012 pour que ne soit traitée qu'une seule des allocations", à savoir l'APA, alors que la proposition de loi traite aussi du RSA et de la PCH, a-t-il notamment souligné, avant d'ajouter que la réforme annoncée "n'exclut en rien que soit acté le principe du financement par l'Etat de ces trois allocations".

La dépendance "au coeur du sujet"

Michel Dinet, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle, artisan actif de la proposition de loi, a lui aussi expliqué juste avant la séance que "rien ne s'oppose à ce qu'il y ait deux textes", celui de l'ADF et le futur projet présidentiel, le premier venant tout simplement poser un principe : "Les droits universels que constituent les trois allocations doivent être financés sur une base de solidarité nationale." Et Michel Dinet, comme d'autres présidents, de redire à quel point il y a urgence, tant les départements sont financièrement "étouffés". Pour son seul département du Val-de-Marne, Christian Favier évalue par exemple la "non-compensation" par l'Etat des trois allocations à 95 millions d'euros, soit l'équivalent de "la construction de cinq collèges".
Représentant le gouvernement au Sénat, Marie-Anne Montchamp, la nouvelle secrétaire d'Etat en charge des Solidarités, a assuré que "le constat est partagé" – celui des "difficultés structurelles et conjoncturelles des départements" – mais a aussi estimé que "les réponses proposées ne sont pas adaptées à la nature du problème qui nous est posé". Elle a encore affirmé que le mécanisme de compensation quasi-intégrale proposé "déresponsabiliserait" le département, limiterait son rôle à celui de la "gestion" des allocations, le département n'ayant par exemple "plus aucun intérêt à vérifier l'éligibilité des bénéficiaires" ou à continuer son travail d''accompagnement personnalisé". Et dans la mesure où "le nombre d'allocataires du RSA et de la PCH n'a pas vocation à augmenter", c'est bien, a-t-elle insisté, "la question de la dépendance qui est au coeur du sujet".

Poser la QPC

La secrétaire d'Etat a par ailleurs passé en revue toutes les "mesures ciblées, de court terme" prises par le gouvernement en attendant la réforme de la dépendance : mise en place d'une mission d'appui "déjà sollicitée par plusieurs départements", élargissement du rôle de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) par rapport à la question des normes, mesures de péréquation prévues par le projet de loi de finances pour 2011, fonds d'aide de 150 millions d'euros prévu par le projet de loi de finances rectificative… "150 millions, c'est bien… sauf qu'il manque un zéro", a d'ailleurs commenté Claudy Lebreton sur ce dernier point.
Comme ils l'avaient annoncé depuis plusieurs mois, suite au rejet de cette proposition de loi et à l'absence de réponse au courrier adressé à François Fillon en octobre, les 58 départements de gauche comptent maintenant "passer au niveau supérieur et poser, dans les prochains jours, la question prioritaire de constitutionnalité" (QPC) pour non-respect du principe de libre administration des collectivités locales, selon les termes de la présidente de leur groupe au sein de l'ADF, Marie-Françoise Pérol-Dumont. "Nous allons maintenant saisir individuellement les tribunaux administratifs pour leur demander d'interroger le Conseil d'Etat sur la pertinence de la QPC", précise Michel Dinet. En n'excluant pas d'être rejoints par quelques présidents de droite dans cette démarche contentieuse.