Fibre : face aux promesses non tenues d’Orange, l'agglo de Brive en appelle à l’État

Exaspéré par les retards de déploiement de la fibre, Brive agglo saisit le gouvernement pour lui demander de sanctionner Orange et lui donner la possibilité de reprendre la main sur la zone Amii. Brive invite les territoires dans la même situation à l’imiter.

Le 6 novembre 2022, Brive agglo a annoncé saisir le gouvernement sur les défaillances d’Orange, opérateur qui s’était porté candidat en 2011 à l’appel à manifestation d’intention d'investissement (Amii) pour couvrir Brive et son agglomération en fibre optique.

6.000 habitants privés de fibre

Car voici tout juste 11 ans, Orange s’engageait dans un courrier à la collectivité à raccorder "100% de la population d’une commune [sur la totalité des communes de l’agglomération de Brive] en 5 ans, sans trous de couverture à compter de l’initialisation du déploiement [prévu pour 2015]". En théorie, les déploiements FTTH auraient donc dû être achevés en 2020. En 2018, Orange obtient un délai supplémentaire du gouvernement, les engagements deviennent "opposables" au titre du L33-13 du CPCE mais avec une marge de 15% de locaux "raccordables sur demande" en 2020. L’accès à la fibre pour l’ensemble du territoire reste cependant promis pour fin 2022. Or, selon l’évaluation réalisée par la collectivité, cette échéance ne sera pas tenue. La couverture FTTH était en novembre 2022 de 88% sur l’ensemble de l’agglomération, trois communes sur 14 n’atteignant pas le chiffre de 80%. "Cela concerne 6.000 habitants qui ne sont toujours pas connectés, 10% de notre population", déplore Frédéric Soulier président de Brive agglo. Pire, la collectivité constate un ralentissement des déploiements en 2022 avec 170 prises par mois, soit deux fois moins qu’en 2021. Et de conclure : "À ce rythme il faudra trois ans pour que l’opérateur termine les déploiements." Une situation d’autant plus inacceptable que dans le même temps, le syndicat mixte Dorsal a achevé la couverture de la zone d’initiative publique "y compris dans des zones très rurales".

Épuisement des voies amiables

Las des courriers (une quinzaine au total), actions de communication et autres tentatives de médiation auprès de l’Arcep, les élus estiment "avoir épuisé toutes les voies 'amiables' pour qu’Orange honore sa signature". "Nous avons perdu la confiance et voulons reprendre la main", résume Frédéric Soulier qui se dit aussi fatigué des "filouteries" d’Orange, jamais avare d’un bon prétexte pour expliquer ses retards. Les engagements L33-13 ayant été signés par l’État, la collectivité n'a cependant pas d’autre choix que de s’en remettre au gouvernement. Dans un courrier parti le jour même, la collectivité adresse un ultimatum à Orange tout en ne se faisant guère d’illusion sur un achèvement des travaux début 2023. Le courrier exige donc l’application des sanctions prévues par la loi. Selon les calculs de la collectivité, les amendes pourraient aller "de 9 millions d’euros - soit 1.500 euros par logement non raccordable et 5.000 euros par local à usage professionnel - à 25 millions d’euros, sur la base de 450.000 euros par zone arrière de point de mutualisation sans complétude de déploiement". Parallèlement, la collectivité annonce vouloir arrêter de payer les redevances pour l’usage des infrastructures d’Orange. "Cet argent servira à achever la complétude de la couverture", précise le président de l’agglomération. En pratique, la collectivité demande l’établissement d’un constat de carence afin de pouvoir confier l’achèvement des travaux au syndicat mixte Dorsal.

Un AMI lancé aux autres collectivités

Car la démarche a le plein soutien du réseau d’initiative publique limousin qui constate des retards également à Limoges où 12.000 prises sont toujours manquantes dans le périmètre de la zone Amii. Un retard que le syndicat ne s’explique pas. "Sur les trois départements couverts par Dorsal, nous avons fibré la totalité du territoire en 36 mois mais il est vrai que nous y avons mis les moyens nécessaires. Est-ce l’incompétence ou s’agit-il d’une opération montée de toute pièce ?", s’interroge Jean-Marie Bost, président de Dorsal. Lançant "un appel à manifestation d’intérêt" à destination des autres collectivités victimes des lenteurs d’Orange ou de SFR/Xp Fibre en zone Amii, les élus espèrent que leur initiative fera boule de neige afin de pouvoir se faire entendre des pouvoirs publics. D’autant plus qu’au-delà des zones Amii, les collectivités s’inquiètent aussi des risques de complétude pesant sur les zones Amel. On rappellera que ces zones Amel, lancées en 2018, correspondent à des zones non couvertes par des RIP sur lesquels des opérateurs privés se sont positionnés. Or, comme le relève régulièrement l’Avicca dans son analyse des statistiques, les Amel suivent le chemin des zones Amii en matière de retards et lenteurs. Un positionnement de l’État est, dans tous les cas, attendu de pied ferme par les collectivités. Car lors de son audition devant les sénateurs la semaine dernière (voir notre article du 30 novembre 2022), Christel Heydemann, la directrice générale d’Orange, s’était étonnée de potentielles sanctions "pour quelques milliers de prises manquantes", l’opérateur contestant les chiffres avancés par les collectivités.

Ralentissement généralisé des déploiements dans les agglomérations

Dans son dernier état des lieux des déploiements FTTH (novembre 2022), l’Arcep relève "qu’en zone dense et en zone Amii, le rythme chute de moitié par rapport à le même période l’an dernier". Une diminution d’autant plus préoccupante que les taux de complétude sont de 87% des locaux dans les communes pilotées par Orange et de 95% pour celles gérées par SFR, loin des 100% promis pour 2022. Des chiffres nationaux qui cachent d’importantes disparités entre territoires. Selon l’Avicca, la situation la pire serait en Saône-et-Loire où une collectivité n’a que 38% de son territoire desservi ou encore Avignon avec 67% des locaux câblés. Pour le moment, le régulateur se contente cependant de qualifier ces chiffres "d’insuffisants". Concernant les sanctions, le régulateur s’est toujours défaussé sur l’État, seul signataire des engagements Amii avec Orange et SFR.